Outre-mer : la France n’est pas Cuba

Tribune d’Hervé MARITON parue le 15 février 2025 dans La Tribune

Hervé MARITON : « La France n’est pas Cuba »

Depuis longtemps, l’Etat assure mal ses responsabilités régaliennes Outre-mer ; il est tenté de compenser ces carences par un interventionnisme économique d’un autre temps et d’autres lieux.

Le diagnostic est en grande part partagé : la situation économique et sociale des Outre-mer n’est pas satisfaisante. Le halo autour du chômage est entre 2.5 et 5 fois supérieur dans les départements d’Outre-mer de ce qu’il est en métropole. En 2024, le taux de chômage était autour de 12% en Martinique, de 19% à la Réunion, de 34% à Mayotte. L’illettrisme est souvent à 20% quand il est à 7% en Métropole. Outre-mer, 15% des foyers sont allocataires du RSA pour 4% en métropole. Les difficultés de logement sont plus graves. L’économie est bien plus carbonée, du fait de la prédominance des biens importés, de l’absence de production nucléaire. On ajoutera le poids du narcotrafic (dont la part est estimée à 400 millions d’euros en Martinique, 4% du PIB !), les difficultés de l’Etat à assurer la sécurité publique (ce qui engendre des frais de gardiennage plus élevés…) et aussi les ingérences étrangères … La part de l’économie marchande est trop faible ; le secteur public dans les départements d’Outre-mer (hors Mayotte) représente 40% des emplois, soit le double de la Métropole. Cette situation de sureffectif, en particulier dans les collectivités locales, pèse sur la fiscalité et induit des délais de paiement anormalement longs qui renchérissent les prix et découragent la concurrence. Le coût de la vie est nettement supérieur à ce qu’il est en Métropole, de 10 à 15% sur l’ensemble des produits de consommation avec une pointe à plus de 40% sur les produits alimentaires. Enfin la Martinique, la Guadeloupe sont en déclin démographique.

Des projets ont été accomplis ces dernières années. Le chômage a baissé, souvent plus vite qu’en Métropole, tout en restant, particulièrement pour les jeunes, à un niveau très élevé. La croissance a été meilleure ; l’industrie locale, quoiqu’insuffisamment développée, a mieux résisté. De nouveaux investissements sont annoncés dans le tourisme. Les chantiers de la transition énergétique se sont multipliés et le mix électrique évolue rapidement. Dans ce domaine, la contrainte de la décarbonation est sévère, mais les opportunités (solaire, éolien, géothermie…) nombreuses.

Ces dernières semaines, le malaise économique profond s’est exprimé par des revendications intenses, voire violentes, contre « la vie chère ». Le problème est réel ; les réponses politiques sont mauvaises. Résoudre « la vie chère », ce peut être la mise en œuvre de l’accord de réduction des prix des produits de première nécessité signé en Martinique en octobre, par la baisse des marges, de la fiscalité locale, de la TVA et des frais d’approche). Mais le problème reste pour la majorité des produits et le chemin accompli n’est que partiel (la moitié de l’écart). Fondamentalement, améliorer le pouvoir d’achat des ultra-marins, passe par l’amélioration de la situation de l’emploi, le dynamisme des entreprises, la fluidité de l’économie. Au contraire, le débat actuel tend à aggraver la suradministration de l’économie ultramarine, à décourager la concurrence et l’investissement, à occulter les rigidités.

La France est sortie du contrôle des prix depuis bientôt quarante ans. La tentation est grande d’y revenir, dans des conditions absurdes. L’Assemblée nationale vient d’adopter une proposition de loi qui vise à aligner les prix des produits de première nécessité sur ceux de la Métropole et même sur les prix les plus bas pratiqués sur le continent. Comment ? En permettant la vente à perte pour effacer le surcoût d’acheminement de produits importés de la Métropole. Les entreprises auront d’autant de possibilités d’absorber cette mesure absurde dans les marges que leur offre globale sera vaste ; cela favorisera les plus grandes entreprises et étouffera la concurrence.  A rebours du discours public. Des propositions sont aussi sur la table pour encadrer les loyers, plus sûre solution pour aggraver la crise du logement. Des dispositions ont été votées pour enclencher automatiquement des injonctions structurelles, durcir les règles (déjà plus sévères qu’en Métropole) de concentration. Oui, plus grande est la concurrence, plus efficace est l’économie. Mais la vérité est, lorsqu’une reprise d’entreprise est espérée, qu’il n’y a pas souvent pléthore de candidats, que les candidats étrangers ne sont pas bienvenus… Comment faire ? Un groupe en particulier – GBH – est stigmatisé par certains, jusqu’au ministre des Outre-mer. Le groupe vient de publier ses comptes, il a eu tort de ne pas le faire avant, c’est la loi. Son chiffre d’affaires est, en 2023, de 5 milliards, son bénéfice de 227 millions, soit 4%. L’entreprise est une réussite, elle fait des bénéfices et embauche. 4% est-ce scandaleux ? Au-delà, ce sont toutes les entreprises qui sont stigmatisées. Des bandes ont manifesté violemment, des responsables politiques ont tenu des propos inadmissibles. Ainsi un responsable d’organisation économique qualifié de « nègre maison » …

L’Etat déploie Outre-mer des politiques publiques qui ont démontré leur efficacité. La loi pour l’ouverture et le développement économique (LODEOM) a contribué à encourager l’emploi, pas assez. L’aide fiscale à l’investissement productif stimule la concurrence, pas assez. Mais l’Etat doit aussi résoudre ses carences. La sécurité publique doit être assurée. Les délais de paiement des collectivités ne doivent plus être tolérés. Les moyens de police de la concurrence renforcés. Les blocages de développement, ainsi de la Guyane mise sous cloche, doivent être résolus. En Guyane, l’or, le bois, les hydrocarbures, la pêche sont autant de ressources naturelles qui pourraient être valorisées dans une exigence de développement durable. Tel n’est pas le cas. Les souplesses que le droit permet pour mieux administrer ne sont pas mises en œuvre. Le bilan des adaptations normatives, des délégations législatives, des pouvoirs dérogatoires des préfets est maigre.

Le roi est nu. Le régalien est mal assuré, l’interventionnisme économique menace. Cette dérive risque d’isoler encore davantage les Outre-mer, de la Métropole comme de leur environnement régional. Cette approche se veut protectrice, elle est en vérité paternaliste, méprisante. Plutôt qu’une prospérité partagée, elle écrit l’avenir d’une précarité administrée. La situation économique et sociale n’est pas bonne et beaucoup de progrès doivent être recherchés et démontrés. Il ne s’agit pas d’étouffer l’économie mais de la stimuler. La France n’est pas Cuba.

Hervé MARITON

Président de la FEDOM

Retrouvez l’article de La Tribune