Biodiversité, pour une reconquête réussie dans les outre-mer
Les 18 et 19 septembre derniers, le Président de la FEDOM, Jean-Pierre Philibert intervenait aux « RENCONTRES ET ATELIERS : biodiversité, pour une reconquête réussie dans les outre-mer » organisées par le Ministère de la transition écologique et solidaire.
Participant à la table-ronde intitulée « Valoriser la biodiversité, pour le développement des territoires des outre-mer », Jean-Pierre PHILIBERT a été amené à répondre aux deux questions suivantes.
La valorisation de la biodiversité est-elle perçue comme un levier de développement par les entreprises ?
En préalable, je voudrais souligner que la situation géographique et climatique de nos territoires – tous petits et pour la majorité insulaires -, prédispose l’ensemble de leurs citoyens à considérer comme essentielle la préservation d’un écosystème dont la fragilité leur est malheureusement rappelée de façon régulière.
Tous les ultramarins ont leur territoire chevillé au corps.
Les chefs d’entreprise n’échappent pas à cette sensibilité.
Les phénomènes qui menacent l’intégrité du territoire sont présents à tous les esprits, et chacun accepte sa part de responsabilité (érosion du littoral, appauvrissement des sols, acidification des océans, dégradation des récifs coralliens par exemple. Les mesures de restauration sont aujourd’hui saluées (réimplantation de la mangrove, évolution des procédés phytosanitaires, réintroduction d’insectes régulateurs) …
Cela étant dit, la plupart des chefs d’entreprise, en particulier ceux dont l’activité n’est pas directement dépendante de ressources issues de la biodiversité, ou dont l’exploitation ne constitue pas un débouché commercial, ont le légitime sentiment de remplir d’ores et déjà leur devoir, en respectant l’abondante et prolifique réglementation environnementale qui leur est imposée à un rythme de plus en plus soutenu.
La différence entre le respect de l’environnement et l’engagement en faveur de la biodiversité dans l’exercice global de son activité mérite encore d’être explicitée, même si cela peut paraître étonnant pour les initiés présents dans cette salle.
Si le premier relève de l’application de normes et l’instauration de mesures préventives et correctives, le second constitue un nouveau cadre de référence.
On est entré dans une autre dimension qui interroge le rôle social de l’entreprise, qui dans ce nouveau référentiel, va bien au-delà de la création de richesse et d’emplois !
Le processus est complexe pour les PME et TPE qui FONT le tissu économique de nos territoires.
L’engagement en faveur de la biodiversité, au sens Stratégie Nationale de la Biodiversité du terme, est donc aujourd’hui encore diversement intégré, car :
- Il procède de différentes motivations : conviction d’un dirigeant, culture du groupe, accès potentiel à un nouveau marché, demande des consommateurs, lien étroit avec le territoire ou besoin de structuration.
- Sans qu’il ne faille pour autant faire de généralité, il est dans l’ensemble différent selon la taille des entreprises et leur secteur d’activité. Au même titre que la RSE (responsabilité sociétale et environnementale) dont les grands groupes se sont emparés depuis maintenant de longues années, l’engagement des TPE-PME est plus compliqué,.
- La biodiversité est un vaste champ d’innovation ; à ce titre, elle mobilise de lourds moyens de R&D et nécessite d’importants investissement dans la perspective de conquête de marchés à haute valeur ajoutée. La création des filières d’excellence que tout le monde appelle de ses vœux pour l’outremer a un prix, en temps et en moyens financiers. Tout le monde n’est pas égal devant ce prix.
C’est ce qui explique le très faible pourcentage (0.04%) que représente aujourd’hui les activités liées à la biodiversité dans le PIB.
Trois secteurs se distinguent pourtant car la biodiversité est au cœur de leur métier et constitue un facteur immédiat de compétitivité et de différenciation.
- Le tourisme
- L’économie bleue
- La valorisation des ressources végétales, qu’elles soient marines et terrestres
Le tourisme
L’avenir touristique de nos territoires est dans le tourisme de sens.
Le patrimoine, dans toutes ses acceptions, en est le pilier : culturel, industriel, environnemental (dont littoral et marin). La préservation de la biodiversité est capitale et les opérateurs économiques des territoires l’ont compris
Exemples :
- la valorisation de la biodiversité marine en Guadeloupe et dans la Caraïbe avec notamment la réintroduction de mammifères marins menacés au bénéfice d’offres alternatives de tourisme de nature ; outre son aspect culturel et touristique, cette opération a également permis la formation à de nouveaux métiers
Ou encore
- Les éco-balades de la Maison de la Nature et de l’Environnement de Saint-Pierre et Miquelon. Ces tours guidés en nature ont pour objectifs la découverte des milieux naturels de l’archipel et des espèces animales et végétales qui y vivent.
L’économie bleue
Inutile de revenir sur le caractère déterminant de l’économie bleue pour tous nos territoires.
Elle navigue aujourd’hui, c’est le cas de le dire, entre activités historiques et émergentes. Dans les activités émergentes, des entreprises à fort potentiel se distinguent, autour par exemple des énergies renouvelables, des biotechnologies et de l’exploitation durable et raisonnée des ressources biologiques.
Citons quelques exemples bien entendu non exhaustifs
- La pêche : la protection de la ressources, outre son volet écologique, est également un gage de pérennité de l’activité et d’innovation
- la lutte contre le pillage des ressources et l’encadrement scientifique des captures est un mode opératoire pour les armements de pêche à la légine de l’Océan indien. N’oublions pas qu’ils embarquent à chaque marée un observateur du Museum d’histoire naturel, et qu’ils ont contribué à la transformation d’un ancien bateau pirate en gendarme du secteur, pour lutter contre le pillage illégal de la ressource. La nécessité de protéger les oiseaux les a également amenés à développer de nouvelles techniques de capture
- En Guyane, les pêcheurs et le WWF ont étudié les prises de dauphins et tortues par les filets et cherchent à les limiter en évitant certaines zones lors des concentrations.
- L’exploitation des microalgues à usage industriel : à La Réunion, BIOALGOSTRAL développe, à partir de souches endogènes au bassin maritime Océan indien, des molécules destinées notamment au marché des peintures antifouling pour les navires : de la mer à la mer en quelque sorte…. biodiversité et économie circulaire !
Autre exemple d’économie circulaire liée à la mer : la valorisation des déchets de poissons pour la fabrication d’engrais, en Polynésie et à La Réunion notamment
- L’énergie marine : le SWAC de l’hôtel BRANDO en Polynésie
- Le transport maritime : nouveaux systèmes de propulsion (hydrogène) développés par les grands armements
- La croisière: des milieux conservés – mer et terre- sont le facteur clé de succès
- La valorisation de la biodiversité végétale
- production de pigments et colorants naturels pour remplacer dans leur composition les produits issus de la chimie de synthèse (projet Tinctonea en Nouvelle Calédonie), ou encore la valorisation du bois de santal dans la cosmétique de luxe
- production de plantes médicinales en Martinique (PARM) et à La Réunion (APLAMEDON), dont certaines sont désormais inscrites dans la pharmacopée nationale
Quels sont d’après vous les freins à lever, ou les mesures à prendre, pour une meilleure appropriation de la nécessité de cet engagement par toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité ?
De manière générale, pour que des entreprises se projettent dans l’avenir et investissent en R&D (sur le plan technique mais aussi organisationnel et social), encore faut-il qu’elles soient solides sur leurs bases, c’est-à-dire améliorent leur compétitivité, dégagent des profits et disposent de visibilité.
Sans m’appesantir sur la revue des dispositifs de soutien aux entreprises ultramarines, dont les derniers arbitrages sont en cours, je voudrais néanmoins en pointer deux aspects :
- le recentrage sur les bas salaires est une erreur stratégique, car il est contraire à l’objectif d’excellence que tout le monde nous assigne notamment dans le cadre de la valorisation économique de la biodiversité
- le crédit impôt-recherche : il faudrait l’aménager et le rendre attractif Outre-mer en permettant aux établissements de pouvoir bénéficier, lorsque les montants en matière de R&D dépassent les 100 Millions d’euros de coût éligible Outre-mer, d’un taux de crédit d’impôt de 30% (aujourd’hui plafonné à 5%). Il s’agirait par cette mesure de rattraper le retard en matière de dépenses R&D et de favoriser le développement d’activités à forte valeur ajoutée. Un certain nombre de grands groupes peuvent trouver un intérêt nouveau à délocaliser une partie de leurs moyens en Outre-mer et participer ainsi à la création d’une masse critique nécessaire à la floraison d’innovations adaptées au contexte. Des perspectives sont régulièrement évoquées en matière d’applications industrielles sur la biodiversité régionale, d’adaptation des matériaux au contexte tropical ou encore d’énergies renouvelables alternatives.
L’engagement des entreprises en faveur de la biodiversité postule que celles qui s’y engagent soient valorisées.
En effet, les retours d’expérience des entreprises engagées dans la SNB montrent que si les bénéfices internes sont patents (implication et adhésion des salariés au projet d’entreprise, impact sur l’acceptabilité sociale de l’entreprise), ils ne suffisent pas à convaincre les dirigeants et managers à poursuivre leur engagement car les bénéfices externes sont insuffisants.
Nous en revenons donc aux mesures qui doivent être mises en œuvre dès maintenant pour permettre aux entreprises de se projeter dans le long terme :
- une meilleure articulation entre le territoire et ses entreprises, dans laquelle la commande publique a un rôle déterminant d’exemplarité à jouer. La structuration de filières, et donc leur devenir économique commun, en dépend. L’exemple de l’interprofession bois en Guyane est une belle illustration d’une filière qui s’organise
- une ingénierie financière et une fiscalité innovantes : un travail est à mener avec tous les bailleurs, notamment l’AFD et la BPI, pour soutenir les projets locaux qui vu leur taille peinent à intéresser des fonds d’investissement, et pour créer de nouveaux outils accessibles aux petits porteurs de projets
- une implication à tous les niveaux pour permettre la concrétisation de projets portés par la population : que l’agrément du projet d’hôtel à LIFOU, dans les îles Loyautés, soit bloqué depuis 4 ans est inacceptable
- une communication appropriée qui valorise aux yeux de tous (salariés, consommateurs, clients, fournisseurs, partenaires publics) les initiatives prises par les entreprises