La parole à Philippe Leyssene
Philippe LEYSSENE, ancien ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l’océan indien et ancien directeur des affaires économiques, sociales et culturelles de l’outre-mer
Doter les territoires d’Outremer européens (RUP et PTOM) d’un dispositif réglementaire et financier adapté
Question : lors de l’Assemblée générale de la FEDOM, vous avez présenté vos propositions concernant les fonds européens. Pouvez-vous nous indiquer, en quelques mots, l’objectif que vous poursuivez ?
Je vous précise tout d’abord que ce travail est effectué pour le compte de l’AfD qui en a eu l’initiative et qui le pilote. L’objectif poursuivi est de doter l’UE, ses Etats membres concernés et leurs territoires ultrapériphériques (RUP et PTOM) d’un dispositif réglementaire et financier adapté, leur permettant, au sein d’un bassin géographique donné, de construire une politique de coopération et de faciliter la mise en place d’une dynamique régionale de développement, mutuellement profitables. La proposition consiste, d’une part, à décloisonner les différents instruments financiers de l’UE, actuellement ceux du FED et ceux des fonds structurels et, d’autre part, à rechercher une plus grande cohérence entre les politiques de l’UE et de ses Etats membres. Cette proposition permettra de faire émerger des projets de développement ayant une forte valeur ajoutée régionale et mieux insérer nos territoires dans leur environnement géographique.
Question : pourquoi une telle proposition ? N’y-a-t-il pas déjà actuellement des projets cofinancés par le FED et le FEDER?
C’est vrai qu’il y a des projets de coopération FED/FEDER en cours mais il est très difficile de les faire vivre car la réglementation qui s’applique n’est pas conçue pour eux. Tous les porteurs de projets de coopération vous le diront : le cadre réglementaire actuel ne permet pas d’accompagner, de manière efficace et pertinente, les projets de coopération régionale car le dispositif en place est extrêmement compliqué et particulièrement décourageant pour ceux qui sont en charge des projets car, concrètement, ces règles cohabitent dans une logique de cumul de contraintes. Il est donc nécessaire de définir un cadre qui soit adapté aux contraintes propres à ce type de projets. Actuellement les projets de coopération sont appréciés uniquement sous l’angle des règles du FED et du FEDER mais jamais définies en fonction des besoins des projets de coopération eux-mêmes. D’une certaine façon, nous proposons d’inverser la logique et de partir des besoins des projets de coopération et non des attentes règlementaires. Nous devons avoir les instruments de notre politique et non l’inverse !
Question : pouvez-vous expliquer en quoi concrètement va consister ce que vous proposez ?
La proposition consiste dans la mise en place d’un mécanisme particulier pouvant accueillir des crédits européens, quelle que soit leur origine, budgétaire ou extrabudgétaire, et susceptibles d’être abondés de crédits nationaux ou internationaux, publics ou privés, pour financer un projet de coopération commun à une RUP, un PTOM ou un Etat tiers, les deux ou les trois à la fois, dans un bassin géographique donné et dans la mesure où chacun de ces partenaires en a clairement exprimé le souhait et participé à la définition du projet.
L’ensemble de ces crédits serait géré par un partenaire financier compétent, reconnu comme tel par chacun des acteurs et qui aurait reçu préalablement un agrément communautaire valable par l’ensemble des fonds, FED comme fonds structurels. Les crédits ainsi mobilisés seraient fongibles par principe et feraient l’objet de modalités de suivi comptable, de compte rendus d’emploi, de contrôle et d’évaluation adaptées aux exigences découlant d’un dispositif unique et de crédits fongibles. Ce dispositif bénéficierait d’un cadre réglementaire spécifique qui ne serait pas la somme des contraintes de leurs fonds d’origine mais l’adaptation aux réalités d’un projet de développement de dimension régionale porté dans un cadre multilatéral.
Question : comment ce dispositif fonctionnera-t-il concrètement ?
De manière assez simple. Si l’on se réfère à la règlementation actuelle où nous avons, par exemple, un FED et un FEDER, chacun dans son tuyau budgétaire respectif, avec son propre cadre règlementaire et son processus décisionnel, décidera des fonds destinés à financer un projet FED/FEDER qui aurait été identifié en commun. Ces fonds seront versés dans un fonds, un 3ème tuyau si l’on peut retenir cette image, celui que nous voulons mettre en place, dédié au financement de projets de coopération régionale. Dans ce 3ème tuyau, ces crédits seront fongibles et soumis à un règlement spécifique, disposant de règles propres : il n’y aurait donc pas un cumul de réglementations comme actuellement mais un ensemble de règles cohérentes avec les caractéristiques des projets à financer.
Cette idée d’un 3ème tuyau aurait pour avantage de préserver l’intégrité de chaque fonds de provenance des crédits et de rendre possible l’abondement par d’autres sources de financement, budgétaires ou bancaires, et donc avoir un effet de levier significatif.
Question : pensez-vous enfin que cette proposition peut être acceptée par la Commission européenne ?
Je n’ai pas à préjuger de décisions qui ne m’appartiennent pas. Mais il faut observer que cette proposition ne fait que prolonger les orientations prises ces dernières années par la Commission européenne elle-même pour faciliter la coopération régionale. Nous poursuivons donc la démarche : il ne s’agit pas d’une révolution mais d’une évolution logique et cohérente avec les actions entreprises jusqu’alors. D’une certaine façon, ce qui est proposé devrait permettre de faire aboutir un processus engagé depuis plusieurs années. Elle capitalise les nombreux acquis et tirent les enseignements des difficultés rencontrées. L’objectif est d’être très pragmatique et d’offrir le cadre le plus opérationnel possible pour conduire des projets de coopération et de développement régional.
Dans le même temps, cette proposition rejoint totalement le souhait de la Commission européenne de simplification des procédures et ce, à toutes les étapes d’un projet. Sur ce simple aspect, notre proposition devrait recevoir un accueil favorable car aujourd’hui, il y a unanimité pour souligner combien les procédures actuelles sont compliquées.