Jérôme Isautier : «Dans les années à venir, l’industrie devra changer d’échelle» ( JIR 03.10.2016)

Jérôme Isautier : «Dans les années à venir, l’industrie devra changer d’échelle» ( JIR 03.10.2016)

Industrie. Elu en octobre 2011 à la tête de l’Adir, Jérôme Isautier, directeur général du groupe éponyme, passera la main lors de l’assemblée générale qui a lieu demain. Retour sur 5 ans d’une présidence dynamique.

Passage de flambeau à l’Adir (association pour le développement industriel de la Réunion) où le conseil d’administration doit désigner un nouveau président demain. Après avoir succédé à Maurice Cérisola et reporté plusieurs fois son départ, Jérôme Isautier a décidé de se consacrer à temps plein au développement du groupe Isautier. Daniel Moreau, président de Royal Bourbon industries, devrait officiellement prendre la relève à l’issue de l’assemblée générale.

Quels moments forts retiendrez-vous ?
Les 40 ans de l’Adir l’an dernier ont été un moment particulier où j’ai reçu un message fort de tous nos partenaires qui nous ont assuré de l’importance de l’action de notre association qui regroupe 212 adhérents. Les réunions d’adhérents sont aussi pour moi des moments privilégiés car on plonge dans le quotidien des chefs d’entreprise. Je garderai également en mémoire une réunion de travail à l’Elysée et une autre avec Rodolphe Saadé dans la tour de CMA-CGM. Ces deux rencontres ont permis de placer la Réunion sur l’échiquier mondial, c’était passionnant.

L’Adir vient de fêter ses 40 ans. Comment définiriez-vous son rôle aujourd’hui ?
Notre premier rôle est d’accompagner nos adhérents au quotidien, mais surtout de faire remonter des problèmes collectifs. Nous travaillons pour maintenir l’activité économique et la développer à travers deux axes de travail. Le premier axe est de faire en sorte de garantir aux entreprises réunionnaises une compétition équitable avec ses concurrents métropolitains, européens et mondiaux, avec l’Asie en premier chef. Quand un industriel métropolitain fabrique pour un marché de 550 millions de personnes, un industriel réunionnais produit pour à peine 840 000 habitants : les économies d’échelle ne sont pas du tout les mêmes. Il faut donc compenser ce handicap de taille. Ensuite, face aux concurrents asiatiques, nous devons essayer de gommer la différence de coût de main-d’oeuvre. Pour cela nous avons des outils comme le différentiel d’octroi de mer, l’abaissement des charges sociales… Le second axe est de fournir du volume aux industriels. Nous voulons donc convaincre les consommateurs réunionnais d’acheter des produits locaux. Depuis quelques années, l’Adir travaille aussi sur le terrain de l’export : nous posons les jalons pour faire connaître les compétences réunionnaises. Nous avons par exemple un volontaire du progrès à Maurice qui fait le lien avec la technologie réunionnaise. Enfin, l’Adir accompagne l’amélioration de la performance interne des entreprises.

Justement, on parle beaucoup d’export ces dernières années. Est-ce un réel levier de croissance pour l’industrie locale ?
Tout à fait. C’est le levier de demain, même d’aujourd’hui pour certaines entreprises. On peut exporter des biens, mais on peut aussi créer directement une activité à l’étranger. C’est le cas par exemple de l’industrie du sucre qui a planté des champs de canne en Afrique, tout en maintenant les usines de Bois-Rouge et du Gol. Mais c’est un cheminement, il ne suffit pas de tourner un clé. C’est compliqué d’être compétitifs à l’export car nous som-mes en concurrence avec des pays où les coûts sont extrêmement bas. Pour pouvoir nous placer, il faut que nos produits soient technologiquement plus avancés ou à des prix identiques. Pour cela, les produits doivent être rentabilisés d’abord sur le marché local pour être exportés à coût marginal. A mon avis, le marché africain est plus intéressant que les autres îles de la zone car Maurice et la Réunion ont quasiment la même industrie. En revanche, l’Afrique a un gros retard en matière d’infrastructures.

Comment se porte l’industrie à la Réunion ?
L’industrie se porte bien car elle a pu investir. Elle innove sans cesse et est très performante. Mais pour pouvoir être vraiment solide et pérenne, il faudrait que chaque industrie double de taille. Sinon, la moindre importation à prix cassé peut remettre en cause la survie d’une entreprise. Nous pouvons changer de traille par croissance interne sur notre propre marché et par croissance externe via l’exportation.

Pourquoi la Lodeom et l’octroi de mer doivent-ils être préservés selon vous ?
Ce ne sont que des outils, le plus important, c’est le but recherché. Le différentiel d’octroi de mer est un outil qui permet de gommer le manque de compétitivité. Il s’est avéré efficace, mais insuffisant car la production locale a progressé moins vite que l’importation : la compétition n’est donc pas réellement équitable. La Lodeom gomme le coût de la main-d’oeuvre : plutôt que de casser cet outil, renforçons-le. N’oublions pas que le problème central reste le chômage, l’objectif final c’est d’arriver à le résorber. Certains candidats à la présidentielle parlent d’île détaxée, nous préférerions une zone de port franc avec zéro taxe qui créerait des emplois. Je ne suis pas sûr que le projet d’une zone franche globale ait un vrai sens et soit faisable… Nous militons pour une Réunion mieux connectée en aérien, en maritime et en numérique pour pouvoir exporter à bas prix et être compétitifs.

Pourquoi l’accès aux marchés publics est-il encore insuffisant pour les entreprises locales ?
Il est extrêmement insuffisant, malgré une bonne volonté affichée, par méconnaissance des productions locales. C’est encore loin de ce qu’on attend. L’Adir s’attache donc à expliquer aux donneurs d’ordre la performance des produits locaux. Le prix n’est pas tout. Si les cantines achètent les produits à la bonne saison, ils seront forcément moins chers que le reste de l’année. C’est du bon sens. Idem dans le BTP : utiliser une peinture qui résiste au climat tropical permet des économies à long terme.

L’Adir a lancé la marque Nou la Fé en 2009. Quel bilan après 7 ans ?
Une trentaine d’entreprises sont aujourd’hui regroupées derrière cette marque ombrelle, couvrant une quarantaine de secteurs d’activité. Nou la fé a réussi à élargir la vision de la production locale qui va bien au-delà de l’agroalimentaire. Nous avons atteint notre objectif en terme de notoriété : les Réunionnais identifient clairement Nou la fé comme marque d’identité de la production locale. D’ici la fin de l’année, nous présenterons les grandes valeurs de la marque.

L’Adir a participé activement aux différents boucliers qualité-prix (BQP). Que pensez-vous de ce dispositif ?
L’Adir a fait du BQP un outil politique, nous voulions profiter de cette vitrine pour valoriser la production locale. Cela a été un succès : la liste réunionnaise a été citée plusieurs fois en exemple à Paris… Mais comme tout dispositif, il s’essouffle. Nous devons trouver comment le relancer et bien redéfinir ses objectifs. En plus de donner de la visibilité aux produits locaux, il faudrait mettre en place une catégorie spéciale de produits de première nécessité.

Quels sont les grands chantiers qui attendent l’Adir ?
Nous devrons poursuivre le travail autour de l’équité compétitive. Mais nous devrons aussi réfléchir à des outils plus puissants pour donner un nouveau souffle à l’industrie locale. Il s’agira de changer d’échelle car des marges de manœuvre existent. Nous pouvons créer de l’emploi et pas seulement des contrats occupationnels comme le font les collectivités. Un port franc permettrait de créer une énorme zone d’emploi.

Propos recueillis par Emilie Marty

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