Allocution de Jean-Pierre Philibert lors du colloque « Ville tropicale en métamorphose » le 08.06.16 au Sénat
La capacité de résilience : une opportunité pour l’économie verte
Le concept de résilience réinterroge la façon de penser le développement et ses perturbations. Appliqué à l’économie il peut être défini comme la capacité à surmonter des désordres et à retrouver ses fonctions à la suite de ces perturbations.
Dans les grands poncifs véhiculés complaisamment, la ville tropicale est sale, les campagnes et les mers et océans sont pollués.
Ayons cependant l’honnêteté de reconnaître qu’il y a une part de vérité.
L’habitat insalubre, non encore éradiqué, ne donne pas la meilleure image qui soit de nos villes. Le chlordécone est hélas une réalité comme la pollution de nos lagons – par exemple à Mayotte – ou dans les Mascareignes où les récifs coralliens sont probablement les écosystèmes marins les plus menacés à l’heure actuelle.
Nos économies n’ont pas été vertueuses et respectueuses de l’environnement, mais l’ont –elles été dans le monde ? cela ne constitue pas une excuse mais simplement reflète le constat qu’en Outre-mer comme ailleurs, la notion de développement durable est récente.
Si nous devons avoir une exigence et une obligation aujourd’hui, c’est bien celle de l’excellence dans ce domaine.
Parce que nous avons, grâce à nos territoires, le deuxième domaine maritime au monde, parce que la Guyane possède l’une des plus belles forêts primaires au monde et que nous savons qu’en zone tropicale (là où la biodiversité forestière est la plus élevée, mais aussi, souvent, là où les pressions humaines sont récemment devenues les plus élevées), que « pour maintenir cette biodiversité tropicale, il n’y a pas de substitut possible aux forêts primaires.
Saluons donc et encourageons la Mission Économie de la Biodiversité (MEB), lancée en 2012 par la Caisse des Dépôts, copilotée et gérée par CDC Biodiversité. Elle a en effet pour objectif de créer et expérimenter des outils innovants afin de concilier développement économique et préservation de la biodiversité. Il s’agit de développer des solutions d’avenir qui s’ancrent dans un développement économique à long terme, durable et prenant en compte la limitation des ressources naturelles.
Je voudrais évoquer brièvement trois axes de résilience
Il nous faudra d’abord réussir la transition énergétique.
Que faire en effet contre l’insécurité de l’approvisionnement, le lourd enjeu des péréquations, les risques climatiques forts, les mix électriques trop carbonés ou encore le manque de réseaux électriques comme en Guyane ou en Polynésie française ?
Or nos territoires outre-mer ont un point commun : la pluralité des ressources exploitables. Ainsi, de manière positive, des projets existent déjà. L’énergie thermique des mers et la géothermie se développent en Martinique et en Guadeloupe, le projet Swac à la Réunion, la biomasse en Guyane ou encore l’hydraulique en Polynésie française. L’exploitation des microalgues issues de la biodiversité calédonienne pour la production d’électricité est un bon exemple de la conjugaison entre connaissance et développement.
La loi sur la transition énergétique fixe des objectifs ambitieux : les DOM doivent atteindre l’autonomie énergétique en 2030. Mais dès 2020, 50% de l’énergie consommée par la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion devra être issue de sources d’énergie renouvelable.
Et puisque l’on parle aussi de la dimension de la « différenciation » et de l’autonomie « d’innovation », rappelons que la loi permet également aux collectivités ultra-marines de prendre des initiatives, par exemple relatives à la réglementation thermique des bâtiments. De même la Martinique et la Guadeloupe bénéficient par ailleurs déjà de l’initiative législative en matière d’énergie.
Deuxième axe : le tourisme sera vert ou ne sera pas…
La France a souhaité décliner, pour la biodiversité outremer, la démarche du « passeport vert » (ou Green Passport) lancée par le Programme des Nations unies pour l’environnement et destinée à favoriser le développement du tourisme durable.
L’objectif est double : sensibiliser les touristes à la protection de la biodiversité et valoriser cette biodiversité comme atout du développement touristique des territoires d’outre-mer.
Prenons le cas de nos récifs coralliens, indispensables aux populations tant par leur fonction de protection des littoraux, qu’en raison de leur réserve halieutique et touristique.
Nous ne pourrons jamais concurrencer les destinations voisines où de grandes barres hôtelières en bord de mer offrent des prestations standardisées à des couts inapprochables pour nous. Mais nous pouvons offrir un tourisme « de sens », mémoriel mais aussi avec de remarquables sites naturels à découvrir dans chacun des territoires.
Il y a quelques mois, ici même au Sénat, avait lieu un colloque intitulé « Une bannière verte et bleue pour un renouveau du tourisme dans les outre-mer ».
Ce colloque a permis d’illustrer les dynamiques de diversification de l’offre touristique à l’oeuvre dans les outre-mer.
Les nombreuses présentations de réalisations et projets ont mis l’accent sur ses possibles effets vertueux en matière de préservation et de mise en valeur des patrimoines naturels et culturels. Elles ont montré que le tourisme jouait un rôle de révélateur de potentiels territoriaux très diversifiés et constituait un puissant moteur d’innovation en faveur de l’environnement et de notre planète.
Ce colloque a permis enfin de croiser les regards et de confronter les expériences, afin de générer des synergies d’exemplarité et de contribuer à une plus large visibilité de nos outre mer.
Il nous faudra enfin convaincre la Commission Européenne de renoncer à la modification des règles qui permettent à la France de compenser les handicaps permanents structurels de nos territoires »
Il s’agit d’un dossier urgent car l’Europe a modifié unilatéralement les règles du jeu, il y a deux ans. La Commission Européenne vient justement d’ouvrir la procédure de négociation. Et si nous n’obtenions pas une révision de ces règles, ce sont de nombreuses filières d’entreprises qui seront menacées car l’Etat français ne pourrait leur accorder la compensation des handicaps dont ces entreprises sont victimes.
En conclusion je ne répondrai pas à la question que l’on ne m’a d’ailleurs pas posé : L’économie verte doit-on y croire, ou est-ce un leurre?
Tout d’abord parce que, pour plagier le journalise Hervé Chabalier, j’ai des convictions mais je n’ai pas de certitudes. J’observe cependant que, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, il n’y a pas d’opposition entre environnement et croissance économique.
Je sais cependant que nous n’avons pas le choix.
Le changement climatique n’est pas seulement une question environnementale, c’est dans nombre de territoires une question de droits de l’homme qui met en péril des millions d’êtres humains. À cause du réchauffement climatique, les îles Carteret, un groupe de petites îles appartenant à la Papouasie-Nouvelle Guinée, disparaissent sous l’océan.
Cinq îles des Salomon ont disparu, six autres sont très menacées. Ce sera demain le tour de Tuvalu, après demain peut-être du Vanuatu.
J’affirme ici solennellement que les entreprises prendront leur part de ce combat.
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