Retours sur 70 ans de Départementalisation

Retours sur 70 ans de Départementalisation

 La départementalisation : 70 ans de « décolonisation par le haut »

Il a fallu attendre 1946 pour que les « quatre vieilles colonies » accèdent au statut de département et les droits sociaux des « domiens » n’ont été alignés que bien plus tard, et seulement dans les quatre DOM « historiques ». On rappellera que la politique sociale nationale (y compris le droit du travail et la règlementation relative au salaire minimum) s’applique en métropole, dans les DOM et dans les COM de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et indirectement dans la COM de Saint-Pierre et Miquelon (DOM entre 1976 et 1985), soit 99,25 % de la population française. Les autres COM et la Nouvelle-Calédonie (560 000 hab.) disposent, en application du principe de spécialité législative d’une politique sociale déterminée localement, et bien moins généreuse.

La mise en place de l’égalité sociale a été longue et parsemée de combats politiques et sociaux. Quelques dates emblématiques peuvent être rappelées :

  • 1955 : fin de l’extension des assurances sociales « de base » aux salariés
  • 1980 : indemnisation du chômage…13 ans après l’ordonnance du 19 juillet 1967 relative aux garanties de ressources des travailleurs privés d’emploi   ;
  • 1991 : suite aux engagements de campagne de François MITTERRAND (1988), début de la mise en place de l’« égalité sociale » et alignement des allocations familiales en 1993 ;
  • 1996 : suite aux engagements de campagne de Jacques CHIRAC, alignement du SMIC ;
  • 2000 : loi d’orientation sur l’outre-mer (13 décembre 2000, Gvt de L. JOSPIN) : le RMI est aligné sur 2 ans (2002) et l’API sur 7 ans (2007).

Cette profonde et rapide mutation a, en l’espace de quelques décennies, transformé des économies pauvres à dominante agricole en économies modernes de services. Les progrès sanitaires ont été remarquables : en 1951, le taux de mortalité infantile, à La Réunion équivalait à 164.4 pour 1000, soit le taux métropolitain de 1900. Ce retard d’un demi-siècle n’était plus que de 7 ans en 1984. L’espérance de vie s’est rapprochée des standards hexagonaux : par exemple, en Martinique (2013), les femmes vivent désormais plus longtemps que leurs compatriotes métropolitaines (85,1 ans contre 85 ans). 

Ces progrès se sont déroulés dans un contexte de forte augmentation démographique, puisqu’au recensement de 1954, les DOM ne représentaient que 770 500 habitants (soit moins que la population réunionnaise actuelle : 850 000 hab.). Ainsi, en près de soixante-dix ans, la population de la Guyane a été multipliée par dix. Pour autant, les comportements ont tendance à s’aligner sur ceux de métropole : désormais, l’indice de fécondité à La Réunion (2,40 enfants/femme en 2013) se rapproche des standards métropolitains (1,98), alors qu’il s’établissait encore à 6,1 en 1967 (le niveau de Mayotte à la fin des années 1980) et à 3,9 en 1974 (le niveau actuel de Mayotte) ; en Martinique (1,90), il est désormais inférieur à la moyenne nationale.

En 13 ans, les 5 DOM ont, en moyenne, rattrapé quasiment 10 points de retard sur la métropole, en terme de PIB/hab. La croissance du PIB des DOM, sur la période 2000-2013, a en effet été presque deux fois supérieure à celle de la France métropolitaine. Mais la progression du niveau de vie est surtout perceptible sur longue période : en Martinique, par exemple, le PIB/habitant est passé, entre 1970 et 2013, de 32 % à 70 % de la moyenne nationale.

Ce processus se poursuit avec, depuis 2011, la départementalisation de Mayotte (230 000 habitants, soit un peu moins peuplée que le XVème arrondissement de Paris). Cette aventure administrative, mais surtout humaine, constitue un défi ambitieux et une espérance solide en la capacité de la France républicaine et humaniste de réussir l’intégration harmonieuse d’un territoire aux caractéristiques culturelles et cultuelles spécifiques.

  • Les DOM en 2016 : des acquis à consolider, des combats à mener…

Les retards sont encore significatifs dans les DOM. Et ils sont d’autant moins « médiatisés » que les statistiques ultra-marines, lorsqu’elles existent, ne sont guère prises en compte, y compris au sein de documents « officiels », les Outre-mer étant perçus uniquement comme des « coûts » -et jamais comme des richesses…Ces inégalités, longtemps persistantes ont engendré de l’amertume, les habitants des DOM n’étant pas, selon la formule d’Aimé CESAIRE, « des Français à part entière mais des Français entièrement à part »…Encore aujourd’hui, les 2,1 millions de DOMiens s’estiment parfois « oubliés » par l’Etat, et craignent de constituer des variables d’ajustement en cas de politiques budgétaires restrictives, comme entre 2010 et 2012.

En outre, contrairement à ce que l’on croit souvent, l’égalité sociale n’est pas totalement achevée, et il persiste encore aujourd’hui des différences au détriment des DOM, aussi bien dans les prestations versées que dans leurs modes d’attribution et leur montant (par exemple, le complément familial : le taux de cette prestation reste inférieur de 42,9 % au taux métropolitain). De même, l’alignement est en cours à Mayotte, mais il est censé s’étaler encore sur une douzaine d’années (2026), délai risquant d’être politiquement et socialement guère soutenable. Le RSA a été étendu dans l’île en 2012 à …25 % de son niveau national. Depuis le 1er Janvier 2014, le taux a été porté à 50 %. Sur l’ensemble des prestations de la branche Famille qui existent au niveau national (plus d’une vingtaine), seules cinq sont servies à Mayotte, aucune n’étant appliquée à taux plein (sauf l’ARS depuis Août 2015).

L’égalité économique réelle reste à accomplir. En 2013, les cinq DOM présentent, en moyenne, un PIB par habitant équivalant à 59,1 % du niveau métropolitain, 80 % du niveau de la région Limousin mais seulement 36,3 % du niveau de la région Ile de France. Sur onze territoires ultra-marins, quatre présentent un PIB/habitant inférieur ou égal au seuil de 50 % du niveau métropolitain, dont deux DOM (Guyane et Mayotte). Un habitant de la région Ile de France est ainsi, en moyenne, six fois plus «riche » que son compatriote mahorais

Aujourd’hui, deux indicateurs sont particulièrement inquiétants :

  • Le chômage. Dans les 4 DOM « historiques », toutes catégories confondues, le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 128 400 personnes entre Décembre 2007 et Décembre 2015 pour atteindre 335 000, soit un nombre…supérieur à celui des salariés du secteur concurrentiel. Le taux de chômage atteint (2014) 24,1 %, soit 2,4 fois plus qu’en métropole (9,9 %). Et le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) varie de 40 % (Guyane) à 56,3 % (Guadeloupe), contre 23,6 % dans l’Hexagone.
  • Le taux de mortalité infantile. On constate une interruption des progrès outre-mer. En 2011-2013, le retard par rapport à la moyenne hexagonale s’établit entre 21 ans (Martinique et Réunion) et 39 ans (Mayotte). Le taux de mortalité infantile stagne, Outre-mer, autour de 8 pour 1000 naissances depuis 2006, alors qu’il n’est que de 3,5 en métropole et 5,2 en Seine-Saint-Denis. Pire, entre 1994 et 2013, dans les quatre DOM « historiques », le retard s’est creusé, doublant quasiment (voire triplant à La Réunion) ; les seuls véritables progrès sont intervenus en Guyane.
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