Jean-Pierre Philibert dans le JIR du 12.04.2014 » Nous ne sommes pas quittes avec les déclarations de Manuel Valls »
Nous ne sommes pas quittes avec les déclarations de Manuel Valls »
JEAN-PIERRE PHILIBERT, PRÉSIDENT DE LA FEDOM
Les mesures annoncées par le Premier ministre sont-elles suffisantes pour nos économies ultramarines ?
« La ministre a bien conscience que les dispositions annoncées par Manuel Valls sont des dispositions qui ne suffisent pas pour l’Outre-mer puisque les réductions de charges sur les bas salaires bénéficient déjà aux Outre-mer comme les dispositifs de réduction de charges d’allocations familiales qui concerneront les salaires compris entre 2,6 et 3,5 SMIC. De même, les mesures sur la contribution sociale sur les sociétés ne concerneront que les grands groupes… Il faut donc aujourd’hui une déclinaison du pacte de responsabilité et de solidarité qui soit spécifique à l’Outre-mer pour améliorer d’une façon encore plus sensible notre différentiel de compétitivité.
Lui avez-vous fait des propositions ?
Nous avons proposé que le pacte prévoie une augmentation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) au moins pour les entreprises des secteurs exposés au titre de la loi de développement économique (LODEOM). Elle n’a pas montré d’hostilité à cela, même si ses services travaillent sur d’autres pistes, parallèlement ou en complémentarité. Nous serons amenés à nous revoir rapidement, dès que nous aurons les chiffres des déclarations de salaire de l’année 2013. Ils nous permettront de calculer ce que coûte un point de majoration du CICE dans chaque territoire. Nous sommes venus nous assurer que nous n’étions pas quittes avec les déclarations de Valls et que le gouvernement entendait bien aller au-delà pour l’Outre-mer. Elle a été sensible à un argument soulevé par l’entrepreneur réunionnais Jérôme Isautier qui redoute qu’en améliorant la compétitivité des entreprises françaises, on améliore celle de nos principaux concurrents. Du coup, cela rend encore plus nécessaire que l’on traite bien notre différentiel de compétitivité.
La ministre a-t-elle aussi fait des propositions ?
Aujourd’hui, on a un abattement sur les bas salaires avec un coefficient de 0,281. Il devrait être un peu supérieur, à 0,2825, puisqu’on n’a pas tenu compte, en 2014, de l’augmentation des cotisations vieillesse. La ministre n’exclut pas d’aller au-delà de ces 0,28 pour prendre en charge autres choses que les simples cotisations vieillesse et famille… Pourquoi pas, c’est une autre piste.
Vous a-t-elle donné l’impression qu’elle bénéficierait du même soutien du Premier ministre que son prédécesseur avait auprès de Jean-Marc Ayrault ?
Elle était déjà membre de l’ancienne équipe gouvernementale et elle est sortie confortée du remaniement. Elle a beaucoup d’appuis au gouvernement et je ne crois pas que, de ce point de vue, elle soit une ministre plus affaiblie que ne l’était Victorin Lurel. Mais nous sommes bien conscients l’un et l’autre que l’on a nommé à Bercy un homme redoutable en la personne de Christian Eckert. Nous avons donc des combats à partager. On a mis sur la table un certain nombre de propositions sans rentrer dans les détails. Cela fera l’objet de la concertation avec ses services et nous sommes déjà prêts à argumenter sur le CICE, mais aussi sur un dispositif spécifique au secteur vital du bâtiment. Les chiffres sont calamiteux que ce soit à la Réunion, en Guadeloupe ou en Martinique. Elle en est convenue.
Les mesures des zones franches vont commencer à être dégressives à partir de 2015…
Nous le lui avons rappelé et nous lui demandons leur prorogation.
Et la mise à plat fiscale proposée par Lurel ?
Ça fait toujours partie du projet, mais tout ça va prendre un peu de temps et nous, nous avons une exigence immédiate : qu’est-ce qu’on va mettre en plus outre-mer par rapport à ce que le Premier a annoncé. Ensuite, on pourra redéfinir les quanting des lois fiscales et la cohérence d’une loi d’ensemble sur l’Outre-mer.
Vous avez spécifiquement abordé les incompréhensions qu’il y a eues avec la communauté économique réunionnaise. Qu’en est-il ?
Ce sont des industriels, des chefs d’entreprise qui ont besoin que le ministre des Outre-mer soit à leur écoute. J’ai donné à Mme Pau-Langevin le dossier du projet Energreen. Je ne lui ai pas demandé d’intervenir pour que le dossier soit choisi, mais pour faire en sorte qu’il n’y ait pas d’intervention néfaste pour que le dossier ne soit pas choisi sur des critères non objectifs. Ce projet préfigure des emplois d’un type nouveau autour de la bioénergie. Ça aurait du sens si elle pouvait poser la première pierre et ça scellerait une forme de réconciliation. Elle est assez d’accord avec le fait que, en tout cas, il y ait des initiatives à prendre pour que tous les Outre-mer ne se sentent pas exclus.
La ministre attend elle aussi du patronat ultramarin des contreparties en termes d’emploi…
Nous jouons le jeu. Quand on signe une convention avec Ladom et que ça se traduit par 300 jeunes réunionnais formés en métropole et qui vont trouver un emploi à la Réunion, quand on va conventionner avec le Service militaire adapté… Nous sommes dans cette dynamique et nous ne rechignerons pas à la condition qu’on ait les bons indicateurs et les bons outils de développement. Ça viendra naturellement, même si nous sommes incapables aujourd’hui de quantifier et de dire qu’un point d’exonération de charge correspond à une centaine ou un millier d’emplois.
Certains ont mis en cause les capacités de la ministre en matière d’économie. Êtes-vous rassuré ?
Elle nous a rassurés de ce point de vue-là, car je crois qu’elle a la volonté de prendre les choses à bras le corps. Elle garde le cabinet de son prédécesseur. Brice Blondel, le conseiller fiscal de Victorin Lurel, va rester. Il connaît tout le dossier et c’est un pragmatique avec lequel on a déjà bien travaillé. Nous avons pu évoquer la réforme de l’octroi de mer et la TVA NPR (non perçue récupérable, ndlr). La ministre a bien signalé que Bercy n’aimait pas ce dispositif, mais nous lui avons rappelé que c’est surtout le terme que Bercy n’aimait pas. Son conseiller fiscal lui a confirmé que c’était une aide extrêmement précieuse pour l’investissement au service de la production locale. Elle a évoqué la loi sucre pour savoir ce qu’on en pensait, où ça en était, le problème des filières courtes agricoles qui est en discussion au Sénat. On a le sentiment qu’elle est déjà dans les dossiers ».
Propos recueillis par FXG, à Paris