Intervention de Brigitte GIRARDIN à la table ronde sur le tourisme de la FEDOM du 26 septembre
TOP RESA Table ronde FEDOM 26 septembre 2013
Les enjeux du développement du tourisme Outre-mer
Une conviction : le tourisme est une part essentielle et un secteur incontournable de l’économie de l’outre-mer. Même pour les collectivités d’Outre-mer qui ont d’autres ressources, comme des ressources minières, le développement du tourisme est une nécessité, car c’est une contribution indispensable pour relancer la croissance et créer des emplois.
Un constat : le développement du tourisme outre-mer reste chaotique et ce n’est pas un hasard si l’essor de ce secteur a réellement commencé à partir de 1986, date de la première loi de défiscalisation, qui fut le point de départ d’un accompagnement fort de l’Etat qui reste plus que jamais nécessaire pour compenser les handicaps structurels des économies d’outre-mer.
Que faire pour relancer ce secteur ? Comment faire pour que les atouts naturels, culturels mais aussi humains tout à fait exceptionnels de l’outre-mer, qui offre en outre une grande diversité, ne soient pas gâchés ?
Il faut agir sur deux types de paramètres :
1) Surmonter des handicaps conjoncturels en tous cas non permanents et réversibles.
Il s’agit par exemple de remédier à :
-Un manque de confiance des décideurs économiques liée à une instabilité politique couplée à une situation économique et financière très dégradée. C’est la situation qu’a connue, par exemple, la Polynésie française de 2004 à mai 2013, toute cette période ayant été ponctuée de crises gouvernementales et d’aventure indépendantiste. Il peut s’agir également d’évènements imprévus après lesquels le secteur doit rebondir. Je pense aux conséquences du 11 septembre sur le flux de touristes nord américains, à la période de nos essais nucléaires en Polynésie ou encore aux retombées négatives des conflits sociaux et des grèves qui ont agité les Antilles en 2009.
-Une insuffisance de formation professionnelle dans ce secteur qui rejaillit sur la qualité de l’accueil. La formation sur place des jeunes ultra-marins dans des lycées hôteliers et écoles spécialisées doit sans doute être développée.
-Une mauvaise adaptation des produits touristiques à la demande. Les choix stratégiques doivent être judicieux et, même si l’accent n’est pas forcément mis de façon prioritaire sur le très haut de gamme, comme c’est le cas en Polynésie française, il faut savoir privilégier la qualité qui correspond à l’image de la France dans le monde. Il faut surtout s’adapter à la clientèle, accompagner le touriste et le facteur humain est bien sûr déterminant.
-Une desserte aérienne problématique .Le coût élevé du transport est un réel obstacle, souvent lié à une situation de quasi monopole d’une compagnie aérienne. Je citerai là encore les efforts d’une collectivité très éloignée comme la Polynésie qui, à côté d’un tourisme très haut de gamme essaie de développer un tourisme d’affaires qui sera facilité par l’ouverture prochaine d’une ligne aérienne reliant la Chine et le Brésil via Papeete.
-Une procédure de délivrance de visas touristiques trop contraignante. On peut bien sûr prendre en compte le risque migratoire lorsqu’il existe, mais lorsque ce risque est inexistant comme en Polynésie, la possibilité de délivrer à l’arrivée des visas touristiques pour des courts séjours inférieurs à 15 jours serait une avancée pour renforcer l’attractivité de nos collectivités.
Tous ces obstacles sont surmontables, à condition de mettre en place une politique volontariste associant tous les acteurs socio-économiques, aboutissant à une réelle mobilisation collective.
2) Compenser des handicaps structurels
Ces handicaps sont connus mais il faut sans cesse les rappeler pour faire comprendre qu’on ne lutte pas outre-mer contre le chômage et le manque de compétitivité des entreprises ultra-marines avec les mêmes remèdes qu’en métropole.
Il faut des outils particuliers pour répondre à une situation particulière. Cette particularité, c’est à la fois un coût du capital plus élevé en raison de l’insularité, de l’enclavement, des difficultés d’approvisionnement, de l’étroitesse du marché, des aléas climatiques facteurs de destruction comme après un cyclone, et un coût du travail beaucoup trop élevé en raison d’un environnement régional composé de pays en développement dont le coût de la main d’œuvre est très bas ce qui constitue bien sûr une concurrence insupportable pour les économies d’outre-mer.
Le caractère permanent de ces handicaps nécessite la mise en place de mesures de compensation et jusqu’à ce jour, on n’a pas trouvé de réelles alternatives à la défiscalisation pour faire baisser le coût du capital et à l’exonération de charges sociales pour faire baisser le coût du travail. Ces outils ont montré leur efficacité dans le secteur du tourisme. Il faut toutefois savoir les adapter et les rénover plutôt que les décrier sans rien proposer d’efficace à la place. Il faut aussi bien évidemment prendre en compte les contraintes budgétaires difficiles que connait notre pays aujourd’hui et être conscient qu’un effort de solidarité est demandé à tous.
Je rappelle que la loi de 2003 que j’ai portée, prévoyait une évaluation tous les 3 ans et une adaptation des dispositifs si nécessaire.
Je saisis l’occasion de ce débat pour lancer quelques propositions et pistes de réflexions.
-Sur la défiscalisation, je pense que son application au secteur hôtelier doit être repensée. Nous avons tous en tête des exemples d’hôtels fermés et laissés à l’abandon, qui sont de véritables verrues enlaidissant le littoral ultra-marin. J’ai quelques souvenirs aux Antilles comme à Saint Martin et à Tahiti, sur la plus belle plage de l’île, nous avons le fantôme d’un Sofitel depuis plusieurs années.
En 2003, j’avais rendu éligible à la défiscalisation la rénovation hôtelière pour favoriser la reprise d’anciens établissements et améliorer la qualité de l’offre hôtelière.
Je crois qu’aujourd’hui, il faut aller plus loin, en gelant la défiscalisation sur toutes les opérations nouvelles pendant une période à déterminer et en ne la rendant éligible que sur les opérations de rénovation et de reconstruction après démolition d’anciennes structures touristiques. Une telle mesure irait dans le sens du respect de l’environnement.
Elle pourrait être complétée par des taux attractifs de défiscalisation sur tout ce qui va dans le sens de la transition énergétique pour la construction hôtelière. Je pense par exemple au système SWAC (sea water air conditionning) de climatisation à l’eau naturellement froide.
Il faut aussi cibler la défiscalisation sur des produits touristiques qui marchent bien et qui sont concurrentiels. Je pense par exemple au tourisme de plaisance (et non pas de croisière, car il faut là aussi faire inlassablement de la pédagogie pour expliquer que les bateaux de croisière sont interdits à la défiscalisation depuis la loi de 2003 , inutile donc de ressortir toujours les vieux exemples d’abus liés à ce secteur). Cette activité florissante et créatrice d’emplois aux Antilles notamment (exemple du Marin en Martinique) autour de circuits en catamaran doit pouvoir continuer à bénéficier d’une défiscalisation favorable, si on ne veut pas prendre le risque de la voir se délocaliser dans les îles étrangères voisines
-En ce qui concerne le régime d’exonérations de charges sociales, qui concerne les DOM et qui est un sujet sensible en ce moment, je redis que l’alignement sur le régime métropolitain serait une erreur et qu’il faut absolument garder un différentiel favorable à l’outre-mer.
Mais là encore, essayons d’évoluer en proposant de traiter différemment les secteurs d’activités plutôt que de prévoir un régime uniforme .Il me semble que l’activité touristique de nos collectivités d’outre-mer qui subit une concurrence très forte liée aux bas salaires des Etats voisins, devrait bénéficier de mesures d’exonérations spécifiques pour les emplois de ce secteur.
Je voudrais terminer par une note d’optimisme. Tous ces défis et enjeux que j’ai brièvement rappelés et que vous aurez l’occasion de développer dans le cadre des 3 tables rondes, sont à mettre en parallèle avec la forte mobilisation de tous les acteurs socio économiques de l’outre-mer et la politique volontariste des élus d’outre-mer, car chacun a bien compris aujourd’hui que le tourisme est une industrie d’avenir, créatrice de richesses et d’emplois.
Le rôle de l’Etat, j’en suis persuadée, restera déterminant pour réussir. Les outils d’accompagnement qui ont permis au tourisme de se développer devront sans doute à l’avenir être rénovés et adaptés pour mieux coller à la réalité du terrain. Qu’il s’agisse de la défiscalisation ou du régime d’exonérations de charges sociales, je pense qu’il est aujourd’hui nécessaire, dans le contexte de crise que connait notre pays aujourd’hui, de renoncer à l’uniformité pour privilégier le « sur mesure ».
Cette réussite se fera aussi par la prise en compte de toute la dimension humaine et culturelle de l’outre-mer dans l’accueil et l’accompagnement de chaque touriste. Et nous savons tous que dans ce domaine, nos compatriotes d’outre-mer ont des atouts et des qualités incontestables.