Le casse tête de la défiscalisation en outre-mer (L’Opinion du 24 juin 2013)
Les faits – Le Premier ministre se rend aux Antilles du 26 au 28 juin. Il devrait y annoncer une réforme de la fiscalité des territoires d’Outre-mer, qui bénéficie de plus d’un milliard d’euros de niches fiscales, principalement sur le secteur productif et le logement social. Pour faire des économies, le gouvernement veut transformer ces niches fiscales en crédit d’impôt. Patronat et parlementaires ultra-marins sont vent debout.
Un round décisif de négociations s’ouvre cette semaine sur la fiscalité de l’Outre-mer, avant le déplacement de Jean-Marc Ayrault aux Antilles de mercredi à vendredi, à l’occasion de la célébration du centenaire de la naissance d’Aimé Césaire. Depuis avril, entrepreneurs et parlementaires ultra-marins sont vent debout contre la réforme du gouvernement qui veut transformer en crédit d’impôt le gros milliard d’euros de niches fiscales dont bénéficient les départements d’outre-mer, principalement sur le logement social et le secteur productif. En pleine chasse au gaspi, Bercy veut limiter «l’évaporation» d’une partie importante de cette dépense : plus du quart des fonds n’arrive jamais jusqu’aux entreprises, les cabinets de conseil spécialisés en défiscalisation croquant au passage environ 28% en frais de dossier divers et variés. Un pactole d’environ 300 millions.
Pour y parvenir, Bercy veut «budgétiser» la dépense fiscale en transformant la baisse d’impôt sur le revenu ou sur les sociétés par un système de crédit d’impôt appliqué sur du crédit bail d’équipement et au bénéfice des bailleurs sociaux (un taux de 38% est évoqué). Une réunion technique sur sa mise en place s’est tenue jeudi dernier à Bercy avec les banques. Mais ces dernières ont refusé de porter seules le dispositif public d’aide aux territoires d’Outre-mer, malgré la carotte de Bercy qui leur promet entre 4% et 10% du crédit d’impôt. Trop compliqué, trop lourd à financer : les banques n’en veulent pas.
Une bonne nouvelle pour les représentants de l’Outre-mer qui proposent un deal à mi-chemin : d’accord pour la mise en place d’un crédit d’impôt, mais uniquement sur les entreprises de plus de 250 salariés et 50 millions d’euros de chiffre d’affaires. En échange, le gouvernement devra maintenir la défiscalisation sur les plus petites entreprises et les dossiers de plein droit impliquant des investissements inférieurs à 250 000 euros (au-delà, Bercy doit examiner le dossier et donner son aval). Le logement social devra aussi être épargné. Grâce à la défiscalisation votée en 2010, les mises en chantier ont fortement augmenté.
Le dernier mot revient aux politiques. Et les échanges vont bon train. Jeudi 20 juin, le député PS Dominique Lefebvre, qui milite pour l’équité fiscale en Outre-mer, a déjeuné avec le ministre des Outre-mer Victorin Lurel, en compagnie du rapporteur de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Christian Eckert. Le matin même, autour d’un petit déjeuner, ce dernier s’entretenait du sujet avec le ministre délégué au Budget Bernard Cazeneuve. Christian Eckert affirme qu’ «il y a eu beaucoup de discussions entre le premier ministre et le président de la République. Mais l’idée d’un crédit d’impôt pour les plus grandes entreprises et le maintien d’une défiscalisation pour les plus petites progresse ». Mardi, Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d’outre-mer (Fedom), rencontrera le président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée, François Brottes ainsi que le cabinet du ministre des Outre-mer, avant une réunion jeudi avec Bernard Cazeneuve. Des discussions prolongées qui font croire à certains que les derniers arbitrages pourraient finalement n’être rendus qu’après le déplacement du premier ministre. «Il faut laisser le temps au temps. Tout cela sera décidé au mois de décembre lors du vote du projet de loi de finances pour 2014», estime Christian Eckert.
Par Raphaël Legendre, Journaliste