La mer, un atout essentiel pour la France, par Jean-François Tallec

La mer, un atout essentiel pour la France, par Jean-François Tallec

Présent d’abord à terre, l’homme a consacré ses efforts à améliorer ses conditions de vie en maîtrisant progressivement des techniques de plus en plus complexes.

Au contraire, il lui a fallu d’abord maîtriser certaines techniques pour s’aventurer en mer. Le premier marin a bien dû creuser d’abord un tronc d’arbre.

C’est peut-être le caractère premier de la technique qui explique que plus que jamais à notre époque d’accélération du progrès technologique, la terre, la mal-nommée, mérite son nom de planète bleue.

Si la mer a toujours été un enjeu majeur des puissances mondiales, si au cours de l’histoire les empires militaires, commerciaux et coloniaux ont été bâtis par des nations maritimes, jamais les enjeux géopolitiques et économiques de la mer n’ont été aussi importants qu’aujourd’hui.

La mer, un enjeu majeur pour l’humanité du 21eme siècle.

Enjeux d’échanges et de communication d’abord :

Sans possibilité de transporter à bon marché de grandes quantités de marchandises, avec le bilan écologique à la tonne transportée le plus favorable de tous les modes de transport, le visage de l’économie  mondialisée n’aurait pas été le même. La mondialisation des économies repose sur la libre circulation des flux maritimes car c’est par voie de mer que voyagent 90 % des marchandises échangées dans le monde.

La généralisation de l’utilisation de conteneurs a permis de réduire les coûts de manutention, d’accélérer les rotations, permettant un renforcement de la division internationale des processus de production.

La régularité des dessertes permet une réduction des stocks et une production à flux tendu.

Le transport des matières premières se fait massivement par voie maritime

Au total, il n’est pas exagéré de dire que le fonctionnement mondial de l’économie repose aujourd’hui sur le transport maritime.

A la mondialisation de l’économie correspond donc une maritimisation du monde, d’autant que l’échange des marchandises s’accompagne nécessairement de l’échange de masses considérables d’informations. On ne sait généralement pas que plus de la moitié de ces informations passe par les câbles sous-marins posés au fond des mers.

La navigation des porte-conteneurs, des minéraliers, des pétroliers  sur les mers du globe est évidemment accompagnée de transactions financières dont les canaux empruntent les fonds marins.

Au côté des câbles sous-marins de télécommunication, de nombreux réseaux sillonnent les mers : pipe-lines et gazoducs pour transporter l’énergie, conduites d’eau douce, réseaux de transport routier, ferroviaire qui, dans de nombreuses régions du monde sont construits sur la mer.

Les ressources naturelles marines présentent un autre enjeu majeur pour le 21eme siècle.

Les ressources énergétiques d’abord.

L’océan fonctionne comme un immense capteur solaire qui accumule la chaleur et la restitue sous de nombreuses formes : énergie cinétique, énergie potentielle, énergie chimique, énergie thermique.

On sait déjà aujourd’hui, ou l’on saura dans les prochaines années, capter l’énergie du vent, des vagues, de la houle, des courants marins, l’énergie osmotique, l’énergie thermique des mers. Déjà, des éoliennes posées sur le fond ou flottantes sont en service. L’expérimentation des hydroliennes a démontré la viabilité de cette technologie. Les premières machines exploitant la différence de température entre le fond et la surface des mers chaudes sont en construction et le potentiel de cette dernière technologie est probablement considérable.

Au total, on estime aujourd’hui que les énergies marines renouvelables pourraient dans l’avenir subvenir à une part significative (peut-être plus de la moitié) des besoins de l’humanité.

Les ressources biologiques issues de la mer sont, pour certaines, bien connues.

Les ressources halieutiques, dont la gestion raisonnée est un enjeu majeur de gouvernance internationale car elles jouent un rôle de premier plan dans l’alimentation de l’humanité, proviennent soit de la pêche, soit de cultures marines.

Mais d’autres sont moins connues : les ressources biologiques et génétiques des océans font aujourd’hui l’objet de programmes de recherche et de compétitions acharnées entre laboratoires. En effet, la mer recèle, dans les organismes vivants des profondeurs, des molécules qui peuvent faire gagner un temps précieux à l’industrie pharmaceutique ou cosmétique.

Au fur et à mesure que le progrès des technologies permet de travailler à de plus grandes profondeurs, l’accès aux ressources minières des fonds marins donne lieu à des efforts d’exploration, mais aussi à des compétitions de plus en plus violentes dont la mer de Chine ou la Méditerranée nous donnent l’exemple.

30 % des hydrocarbures consommés dans le monde proviennent de la mer. Des ressources en terres rares, en métaux, en divers minéraux sont ou seront à très court terme à portée d’exploitation rentable avec des matériels et des procédés déjà amortis par la recherche et l’exploitation pétrolière au large et à grande profondeur.

Enfin, n’oublions pas la plus abondante ressource des océans, l’eau, de plus en plus rare sur terre au fur et à mesure que la population grandit et que des terres arides sont occupée en permanence.

L’industrie de dessalement de l’eau de mer se développera, accompagnée d’ailleurs par la production d’énergie marine renouvelable dont nous avons vu plus haut les riches perspectives.

La mer est devenue aussi un espace à coloniser. L’occupation permanente de l’espace marin était naguère impossible. Désormais, on peut construire en mer et des infrastructures s’étendent à partir du littoral : ports, ponts, tunnels, îles artificielles, installations industrielles. Sont même envisagées des structures flottantes ou reposant sur le fond constituant, sans lien avec la terre, des ports offshore où seraient débarquées les marchandises et les matières premières que des usines transformeraient au large.

Recouvrant 70 % de la surface du globe, héritière d’une évolution commencée bien plus tôt que sur terre, la mer représente un enjeu environnemental majeur. La biodiversité marine est pour une grande part, probablement encore inconnue. Des écosystèmes de grande valeur y représentent un fabuleux potentiel. Le couplage océan atmosphère produit sur le climat des effets régulateurs qui, sans que nous nous en rendions compte, rythment notre vie.

Longtemps considérée comme infinie, la capacité des océans à absorber les pollutions d’origine tellurique est proche de la saturation, sauf à subir des dégâts non réversibles. Les océans présentent ce paradoxe d’être encore très largement inexplorés dans leur profondeur et d’être néanmoins menacés dans la préservation de certains de leurs précieux écosystèmes. Protéger ces richesses naturelles est donc un défi qu’il nous faudra relever.

Enfin, mettre en évidence les enjeux de la mer, c’est souligner l’importance de l’espace littoral, espace où se concentre une part de plus en plus grande de la population mondiale, où se situent les faibles profondeurs, essentielles pour la vie marine.

L’espace littoral est précieux pour les marins car toute activité maritime nécessite une interface avec la terre. Il est souvent le lieu d’une vie culturelle d’une particulière richesse pour les populations qui, depuis des siècles, y maintiennent des traditions nées de leur proximité avec la mer.

On le voit, les enjeux de la mer sont majeurs pour la planète, pour la survie des hommes et pour le développement de nos économies.

Ce sont de nouvelles dimensions qui apparaissent : dimension des profondeurs, des écosystèmes à l’échelle du globe, d’un monde mouvant où une molécule d’eau parcourt des milliers de kilomètres en quelques mois, dimension des ressources à découvrir et à exploiter sur des espaces sans propriétaires, dimensions éthiques aussi et de responsabilité à l’égard des générations futures.

Notre pays a rendez-vous avec cet enjeu global.

 

La mer constitue un enjeu particulier pour la France.

Le domaine maritime placé sous la juridiction de notre pays – mer territoriale et zone économique exclusive- représente 11 millions de kilomètres  carrés ? C’est le deuxième domaine maritime au monde par son importance, après celui des Etats-Unis mais avant celui de l’Australie. Ce domaine va s’étendre jusqu’à compter plus de 13 millions de km2. En effet la convention de Montego Bay sur le droit de la mer autorise les états à délimiter, au-delà des 200 miles de la zone économique exclusive, une zone adjacente où leur sera réservée l’exclusivité de l’exploitation du sous-sol marin, dès lors qu’ils pourront faire la démonstration de la continuité du plateau continental.

La France, grâce à l’efficacité des efforts d’IFREMER et du Secrétariat général de la mer, a pu déposer à temps les dossiers nécessaires devant la commission spécialisée des Nations-unies et réaliser les campagnes de relevés indispensables.

Au total, le potentiel des ressources marines – énergie, ressources halieutiques et minières – contrôlées par notre pays est donc considérable.

Nous devons naturellement ce domaine maritime à nos Outre-mer. Qui sait dans notre pays, que, si l’on excepte la large zone du continent Antarctique où nous sommes présents au voisinage de la zone australienne, notre plus longue frontière terrestre nous sépare du Brésil, grâce à la Guyane ?

Nos zones maritimes sont présentes dans les quatre océans et le soleil ne se couche jamais sur la mer et le littoral français.

Notre territoire représente 0,45% des terres émergées du monde mais 8% des zones économiques exclusives. 90% de la France est en mer et, pour sa plus grande partie, hors d’Europe.

Ainsi, si l’on a bien compris l’importance de la mer pour l’humanité du 21ème siècle, c’est une place nouvelle et éminente que nos Outre-mer, qui n’en ont pas toujours conscience, sont appelés à occuper au sein de la communauté nationale.

La mer est aussi pour la France un enjeu de trafic maritime et de navigation.

Chaque année plus de 100 000 navires transitent par le Pas de Calais transportant,  entre autres, 115 millions  de tonnes de marchandises dangereuses et 18 millions de passagers, imposant à notre pays des mesures de sécurisation et une organisation de l’action de l’Etat en mer qui ont fait la preuve de leur efficacité. Les approvisionnements en produits finis, carburant, matières premières, transportés par voie de mer, les routes maritimes qu’ils empruntent, sont vitaux pour notre pays.

Les parties d’Océan placés sous notre responsabilité recèlent une exceptionnelle biodiversité. Les récifs coralliens et l’Océan austral, par exemple, sont riches d’une vie foisonnante qu’il est de notre devoir de préserver.

Les ressources minières sont présentes dans le sous-sol de nos eaux : pétrole au large de la Guyane, de Saint-Pierre-et-Miquelon et sans doute dans le canal de Mozambique, métaux rares ayant déjà fait l’objet d’une exploitation expérimentale près de Walis et Futuna, nodules polymétalliques autour de Clipperton. La plus grande partie de ses ressources restent à découvrir.

Dans l’Océan Indien, le Pacifique, l’Atlantique, l’Océan Austral, autour de nos territoires abondent les ressources halieutiques.

Enfin l’énergie est partout présente pour celui qui saura la capter.

Savoir capter ces richesses ! L’enjeu est bien là.

Ce domaine maritime serait de peu de valeur si nous n’étions pas capables de le connaître, de le protéger, de l’exploiter tout en le préservant.

Or il se trouve que la France, riche de ses 310 000 emplois directs dans le secteur maritime – plus que l’aéronautique et autant que l’automobile- excelle dans toutes les activités liées à la mer.

Si de nombreux pays pratiquent une recherche océanographique côtière, peu nombreux sont ceux qui, comme nous, peuvent déployer une recherche de grand large. IFREMER est aujourd’hui l’une des références mondiales dans ce domaine.

Notre Marine Nationale fait partie des quelques rares marines au monde capables de se déployer sur tous les océans. J’espère qu’elle conservera longtemps encore cette position.

Dans le domaine du transport maritime, nos entreprises sont parmi les premières mondiales par leur importance mais aussi par la qualité de leurs navires et de leurs équipages et par leur capacité à intégrer la protection de l’environnement dans leur exploitation quotidienne.

Dans le domaine des services à l’offshore et des travaux à grande profondeur, nous sommes au premier rang et parfois les seuls.

Dans le domaine de la construction navale, de la plaisance, des énergies renouvelables, les entreprises françaises innovent, se développent, se font connaître partout dans le monde et exportent.

Ceux qui dans notre pays partagent cette passion de la mer sont aujourd’hui réunis au sein du cluster maritime français. Ils parlent d’une seule voix pour que le formidable potentiel maritime de notre pays soit préservé, protégé des convoitises et mis en valeur. Quelle plus belle « nouvelle frontière » offrir à notre jeunesse ? On estime que si la France est capable de capter seulement 10% des marchés maritimes mondiaux qui s’ouvriront d’ici 2020, ce sont 300 000 emplois nouveaux qui viendront s’ajouter à ceux qui existent déjà.

Un formidable vecteur de développement : pour une politique maritime.

 

Que faire pour atteindre ce résultat ?

Je voudrais formuler trois observations préliminaires :

–       Le monde de la mer est particulier, sans frontière, mouvant, changeant, unique, inconnu dans ses profondeurs mais déjà trop petit pour tous les usages que l’homme veut lui imposer. Il faut donc gérer la mer pour éviter les conflits d’usage, composer avec sa complexité, et l’appréhender dans sa globalité car les solutions « terriennes » du partage de l’espace ne fonctionnent pas.

–       Le rôle de la technique, nous l’avons vu, y est premier.

–       Les états jouent nécessairement un rôle de premier plan dans la gestion de la mer car elle un lieu de confrontation internationale.

Dès lors apparait pour notre pays l’utilité de construire et d’afficher dans le domaine de la mer une véritable politique qui permettrait d’exploiter tout en préservant, de protéger, de sécuriser, de créer les conditions du développement à l’instar de ce que furent les grandes politiques industrielles voulues par le Général de Gaulle dans l’après-guerre.

Les grands enjeux de la mer au XXIème siècle et les atouts maritimes de la France sont largement inconnus de nos concitoyens. Certes il ne faut pas se lasser d’en assurer la promotion et la diffusion. Mais cela ne suffit plus. Le temps est maintenant venu de passer à un autre stade.

Le livre bleu adopté en 2009 a mis en évidence les enjeux. Il faut maintenant bâtir une stratégie globale du maritime, c’est à dire fixer les objectifs, les moyens à mettre en œuvre, les échéances, les étapes à franchir.

Comment pourrait, très concrètement, se bâtir une telle stratégie ou, autrement dit, pourquoi a-t-on besoin de l’Etat ?

–       L’Etat montre  le cap à suivre, fixe les objectifs, désigne ceux qui sont  responsables de les atteindre.

–       Il sécurise les activités économiques par une réglementation simple et stable garantissant une exploitation des ressources qui tienne compte de la nécessaire préservation de l’environnement.

–       Il est donc le garant des permis accordés et de leur robustesse.

–       Il organise le partenariat entre la recherche et les activités économiques.

–       Il met en place une politique industrielle qui favorise les synergies entre les grands groupes et organise l’émergence et le développement d’un réseau de PME sous-traitantes et innovantes  irriguant le territoire.

–       Il assure la sécurité et la sureté des activités économiques et de préservation, particulièrement dans les zones à risque.

–       Il est actif sur la scène internationale pour promouvoir une gestion ambitieuse mais raisonnée des océans. Il met son réseau diplomatique au service des initiatives économiques prises à l’étranger par des opérateurs français.

–       Sans qu’il soit nécessaire de consacrer à ce développement d’importants crédits budgétaires, il apporte sa garantie aux opérations pilotes.

–       Il veille à ce que les entreprises françaises ne soient pas pénalisées et luttent à armes égales dans la compétition internationale.

Ainsi se bâtirait une véritable stratégie industrielle de la mer. Les processus de développement propres à chaque filière (transport maritime, construction navale, exploitation minière, ressources halieutiques…) seraient rendus cohérents entre eux par des fonctions transversales (protection de l’environnement, sécurisation, formation des hommes, recherche scientifique, surveillance des océans, action internationale…) dont la mise en œuvre s’appliquerait à tous et matérialiserait  le caractère global du milieu maritime.

Cette ambition est à la portée de notre pays.

Jean-François TALLEC

Préfet honoraire

Ancien Secrétaire général de la mer

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