Les agences de notation évaluent l’Outre-mer
Les agences de notation et l’Outre-mer
Par Ivan ERHEL
Moody’s, Standard & Poor’s, Fitch, les grandes agences de notation ont évalué plusieurs départements et collectivités ultramarines. Réalisées à la demande des régions concernées, ces études révèlent les forces, les faiblesses et les perspectives pour la Guadeloupe, La Réunion, et la Polynésie.
Il peut être vexant pour un pays entier d’être jugé en tant qu’investissement. Si la ou les lettres qui forment cette note ne signifient pas grand-chose pour le profane en finances, elles sont un repère essentiel pour les banques et les investisseurs. Trois régions ultramarines ont commandé des études aux trois principales agences de notation : la Guadeloupe s’est adressée à Fitch, La Réunion à Moody’s, et la Polynésie à Standard & Poor’s. Les notes sont toujours assorties d’une perspective pour l’avenir. A titre d’exemple, la note de la France est de AA+, avec une perspective négative.
Des trois régions scrutées par les agences, c’est la Guadeloupe qui s’en sort le mieux. L’agence Fitch souligne la haute qualité de l’investissement en Guadeloupe et lui attribue la note AA-, assortie d’une perspective stable.
Pour justifier ce résultat, Fitch salue « les performances budgétaires de l’île« , dans un « contexte socio-économique défavorable« . En clair, l’agence apprécie la rigueur de la gestion des ressources du département, dont les 3/4 du budget sont engloutis par les impondérables prestations sociales. Ce dernier point est d’ailleurs source d’inquiétude pour les analystes qui rappellent que seuls cinq départements français dépassent les 70% dans ce domaine : le Nord, le Pas-de-Calais, la Guadeloupe, La Réunion, Paris et la Seine-Saint-Denis.
Les charges de personnels employés par le département sont en baisse de 0,1%, ce qui prouve la volonté du conseil général de ne pas laisser s’envoler les coûts. Du point de vue des investisseurs, le problème du chômage, très élevé, est compensé par la puissance de la fonction publique qui emploie un tiers des salariés. Le soutien de l’Etat français et de l’Union européenne est aussi considéré comme un facteur de stabilité économique, et ne devrait pas faiblir dans les années qui viennent.
Enfin, la Guadeloupe est un pays relativement peu endetté (316 millions d’euros fin 2010 dont 215 millions de dette garantie), et avec une capacité de remboursement importante, puisque le mètre étalon dans ce domaine, la « capacité dynamique de désendettement » (CDD) est de 2,8 années. Fitch estime que la Guadeloupe pourra continuer à emprunter à un taux intéressant jusqu’à cinq années de CDD.
La Réunion est présentée par Moody’s comme un débiteur légèrement moins solvable. La note A-1 par cette agence correspond à un simple A ou un A+ pour Fitch. Il s’agit donc d’un investissement de qualité moyenne, à cause de sa relative vulnérabilité face à de possibles changements des conditions économiques. La note est assortie d’une perspective stable.
Les analystes ont été particulièrement inquiétés par les hausses d’impôts survenues à La Réunion dans les années 2006-2009. D’un point de vue financier une forte variation des taxes est perçue comme un facteur d’instabilité peu propice aux investissements à long terme. Moody’s soulève également le fait que de grands programmes d’investissements sont nécessaires à La Réunion, et que ceux-ci augmenteront mécaniquement la dette du département. Selon les analystes, celle-ci pourrait s’envoler et atteindre 1,35 milliard d’euros d’ici à 2020, soit plus du double de sa capacité de remboursement. L’agence estime toutefois que La Réunion a pour l’instant les moyens de gérer sa dette.
Du côté des atouts de l’île volcanique, Moody’s insiste sur le soutien financier stable et important dont la Réunion bénéficie en tant que « région ultra-périphérique » de l’Europe et en tant que département d’Outre-mer français. L’essor du tourisme dans une économie traditionnellement basée sur l’agriculture est également perçu comme favorable au dynamisme de l’économie.
Pour augmenter sa note, La Réunion doit stabiliser ses dépenses à moyen terme, continuer à générer des profits et limiter ses emprunts. L’agence considère toutefois ce scénario comme hautement improbable au vu des programmes d’investissement en cours et à venir.
Pour les banques, le cas de la Polynésie est plus inquiétant. Standard & Poor’s vient d’abaisser sa note de BBB- à BB+. Après avoir été négative, la perspective associée à cette note est désormais stable. Cette dégradation est importante, car elle fait passer l’archipel de la catégorie « investissement » à la catégorie « spéculative« .
Le premier argument de l’agence pour justifier l’abaissement de la note est « la nouvelle crise institutionnelle et politique que connaît la Polynésie française et qui, selon [l’agence], ne permet pas la mise en œuvre effective de réformes structurelles importantes« . Par ailleurs, le budget de l’archipel fait l’objet d’un recours contentieux après que le président Témaru ait refusé d’y intégrer des amendements réclamés par l’Assemblée de Polynésie. Cette situation devrait avoir pour conséquence de restreindre l’accès aux financements privés extérieurs. Standard & Poor’s estime néanmoins que ce handicap sera probablement atténué par les financements de la très solide Agence française de développement (AFD).
Mais le pire facteur de dégradation de la note polynésienne est la situation de sa trésorerie, considérée par l’agence comme « très négative« . En effet, les revenus de l’archipel ne couvrent que 40% de sa dette sur un an. Pour remédier à cette situation critique, la Polynésie devra faire appel à l’Etat, soit par des financements directs, comme en 2010 et en 2011, soit en souscrivant des prêts à long terme auprès de l’AFD, soit négociant avec ses créanciers pour allonger ses délais de paiement.
Pour Christophe Parisot, analyste en charge des collectivités territoriales chez Fitch : « Il ne faut pas voir de jugement de valeur dans la notation. Notre travail consiste à évaluer les capacités de remboursement en temps et en heure des collectivités. Nous effectuons cette évaluation à leur demande« . Si la note est bonne, elle permettra à la collectivité concernée d’obtenir des prêts à un meilleur taux.