Les outre-mers dans la République; Terra nova (Marc Vizy)
Projet 2012 – Contribution n°16
Les outre-mers dans la République
Marc Vizy
Président du groupe de travail
Sommaire
Remerciements………………………………………………………………………………………………………….8
Avertissement …………………………………………………………………………………………………………..9
Synthèse politique …………………………………………………………………………………………………….10
Vadémécum ……………………………………………………………………………………………………………14
Introduction …………………………………………………………………………………………………………….18
PARTIE I
REVISITER LA PHILOSOPHIE DU DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE DES OUTRE-MERS
1. DES ECONOMIES ULTRAMARINES QUI, EN CETTE PERIODE DE CRISE MONDIALE, SOUFFRENT DAVANTAGE QUE LES AUTRES REGIONS FRANÇAISES …………………………………………………………………………22
1.1. Des handicaps structurels reconnus, des économies vulnérables ……………………………22
1.2. Des niveaux de prix et une dégradation du pouvoir d’achat insupportables…………………..23
2. UNE POLITIQUE ECONOMIQUE LIMITEE AU « RECYCLAGE » DES INSTRUMENTS EXISTANTS ………….26
2.1. Avec le « développement endogène » et le refus de « l’assistanat », une vision erronée des économies ultramarines, voire une approche cartiériste des outre-mers……………………………..26
2.2. Une politique économique en faveur des outre-mers qui s’inscrit dans des cadres relativement consensuels sans les bouleverser…………………………………………………………….28
3. RENOUVELER L’APPROCHE DES OUTRE-MERS DANS LES DISCOURS ET DANS LES INSTRUMENTS DE POLITIQUE ECONOMIQUE …………………………………………………………………………………………..30
3.1. Modifier le discours économique et cesser de stigmatiser les outre-mers …………………….30
3.2. Mettre en place de nouveaux outils, des investissements, un plan de rattrapage des équipements publics ………………………………………………………………………………………………..31
PARTIE II
DEVELOPPER DES APPROCHES SPECIFIQUES ET VALORISANTES EN MATIERE
D’ENVIRONNEMENT, DE BIODIVERSITE, D’ENERGIES ET DE RISQUES NATURELS
1. LA PROTECTION DE LA BIODIVERSITE, UN ENJEU PARTICULIER, OUTRE-MER……………………………….35
1.1. La nécessité de développer et de partager la connaissance pour assurer la protection de la biodiversité des outre-mers …………………………………………………………………………………..35
1.2. Des acteurs à coordonner plus efficacement……………………………………………………………38
1.3. Le cas particulier des récifs coralliens ou la nécessité de mener des politiques adaptées en matière de biodiversité ……………………………………………………………………………………………39
2. PREVENIR LES RISQUES NATURELS ……………………………………………………………………………….43
3. DEVELOPPER LES ENERGIES RENOUVELABLES OUTRE-MER …………………………………………………44
3.1. Des spécificités ultramarines qui plaident pour une politique énergétique ambitieuse et cohérente.………………………………………………………………………………………………………………44
3.2. Des politiques énergétiques peu cohérentes et de court terme …………………………………..45
3.3. Quelques pistes pour l’avenir ……………………………………………………………………………….47
PARTIE III
RETROUVER LE CHEMIN DE LA COHESION SOCIALE OUTRE-MER
1. LES OUTRE-MERS EN QUETE D’EGALITE REELLE ………………………………………………………………..50
1.1. Dans les DOM une égalité des droits du citoyen obtenue avec la loi de départementalisation de 1946………………………………………………………………………………………………………………50
1.2. Une égalité sociale réelle obtenue beaucoup plus tard et aujourd’hui remise en cause par la droite……………………………………………………………………………………………………………………..51
1.3. Une égalité réelle restant à atteindre…………………………………………………………………….52
2. FAVORISER L’EGALITE REELLE EN DONNANT LEUR CHANCE A TOUS LES ULTRAMARINS ………………56
2.1. Une réponse d’abord économique, budgétaire et financière………………………………………56
2.2. L’éducation et la jeunesse : des priorités…………………………………………………………………57
2.3. Pour une véritable politique de prise en charge des personnes âgées………………………..61
2.4. Une politique de santé publique adaptée aux réalités ultra-marines …………………………….62
2.5. La nécessité d’une politique adaptée de lutte contre l’exclusion pour lutter contre les effets d’un chômage très élevé et de forts taux de pauvreté et d’illettrisme…………………………………63
2.6. Le logement, un facteur clef de l’égalité réelle …………………………………………………………66
2.7. La nécessaire prise en compte de la situation particulière des ultramarins de l’Hexagone ……………………………………………………………………………………………………………..66
PARTIE IV
VALORISER LES IDENTITES ET LES CULTURES DES OUTRE-MERS, DANS LA REPUBLIQUE
1. LA NECESSITE D’UNE APPREHENSION PLUS VOLONTAIRE PAR LA REPUBLIQUE DE LA QUESTION DES IDENTITES PLURIELLES DES OUTRE-MERS……………………………………………………………………….72
1.1. La nécessité d’une meilleure appréhension des problématiques identitaires des outre- mers par l’Etat pour lutter contre les tentatives d’instrumentalisation ……………………………………..72
1.2. La diversité culturelle outre-mer, vecteur d’apports et de richesses partagées……………….73
1.3. Une meilleure valorisation des identités et des cultures d’outre-mer…………………………….74
2. FAIRE LE CHOIX D’UNE FRANCE DE LA DIVERSITE …………………………………………………………….76
2.1. Un patrimoine culturel ultramarin à préserver et à protéger………………………………………..76
2.2. Pour une politique concertée et volontariste de soutien et de promotion des cultures ultramarines ……………………………………………………………………………………………………………77
PARTIE V
SUR LES QUESTIONS STATUTAIRES ET INSTITUTIONNELLES,RESPECTER LES POPULATIONS ET LEURS ELUS
1. DES QUESTIONS POLITIQUEMENT DELICATES, TECHNIQUEMENT COMPLEXES ET TRES HETEROGENES SELON LES COLLECTIVITES…………………………………………………………………………………………82
1.1. Les questions statutaires et institutionnelles des outre-mers : des sujets politiquement sensibles et délicats à traiter pour l’Etat ………………………………………………………………………82
1.2. Les débats statutaires, facteurs de division……………………………………………………………..82
1.3. Des questions techniquement complexes ………………………………………………………………84
1.4. Des sensibilités différentes selon les territoires.……………………………………………………….84
2. DES REPONSES DE L’ETAT NECESSAIREMENT EQUILIBREES ET FONDEES SUR DES PRINCIPES FORTS ………………………………………………………………………………………………………………..87
2.1. Ne faire des évolutions statutaires ou institutionnelles ni La priorité, ni le fondement de la politique ultramarine …………………………………………………………………………………………………87
2.2. Ne pas se crisper vis-à-vis des questions statutaires et institutionnelles ……………………..88
2.3. Pour autant ne pas « jouer » avec ces questions……………………………………………………..88
2.4. Le respect de la démocratie avant tout ………………………………………………………………….89
2.5. Quelques principes républicains pour encadrer les évolutions ……………………………………90
2.6. Pour une administration de l’outre-mer techniquement compétente et politiquement forte90
2.7. Ne pas agir dans la précipitation …………………………………………………………………………..91
Annexe : bibliographie……………………………………………………………………………………………….93
Remerciements
Ont contribué aux travaux du pôle outre-mer coordonnés par Marc VIZY, notamment, Gladys DEMOCRITE, Pascale JOANNOT, Jean-Michel MARTIAL, Nicolas MAZIERES et plusieurs autres membres du pôle dont les fonctions professionnelles exigent un devoir de réserve.
Le groupe adresse ses remerciements à Alain CHRISTNACHT et Jean-Philippe THIELLAY, pour leurs conseils et leur précieuse relecture,
à Victorin LUREL, pour son aide,
à Romain PRUDENT, pour sa disponibilité.
Avertissement
Les questions relatives aux outre-mers sont, par définition, transversales. Elles concernent une douzaine de collectivités dont chacune a sa propre personnalité, des préoccupations originales et des problématiques singulières.
Traiter des outre-mers renvoie donc toujours à plusieurs interrogations :
– Doit-on traiter des DOM d’un côté et des COM de l’autre ?
– Doit-on traiter séparément de chaque collectivité ?
– Doit-on évoquer des thématiques ?
Le pôle outre-mer de Terra Nova a, d’une part, fait le choix d’axer ses réflexions principalement sur les DOM et les collectivités « à forte identité législative ». En effet, la plupart des politiques de l’Etat, c’est à dire celles qui nous intéressent pour notre exercice de réflexion, relèvent, en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française par exemple, de compétences locales. Il n’aurait donc pas été pertinent d’inclure ces collectivités dans la totalité du champ de notre contribution.
D’autre part, s’agissant de la présentation du document, le pôle a retenu de présenter les problématiques ultramarines sous cinq grandes rubriques qui couvrent un large champ de l’action publique potentielle :
– Le développement économique et le pouvoir d’achat ;
– Les problématiques liées à l’environnement : biodiversité, énergies et risques naturels ;
– La cohésion sociale ;
– Les questions d’identités et de cultures ;
– Les questions institutionnelles et statutaires.
Au sein de chaque partie, figurent des propositions. Celles-ci correspondent à une sélection, opérée par les membres du pôle, de mesures qui apparaissent à la fois prioritaires et cohérentes. Il reste qu’à la relecture des propositions faites par le parti socialiste en 2007, il apparaît que la plupart d’entre elles demeure d’actualité.
2007 a constitué une vraie rupture entre l’outre-mer et la République. Le candidat Nicolas Sarkozy l’avait promis, il l’a fait !
La doctrine du développement endogène inventée pendant la campagne des présidentielles s’est révélée être bien davantage qu’un slogan : une véritable philosophie d’action.
L’outre-mer coûte cher ! Il faut en finir avec l’assistanat ! Voilà pour le constat dressé par le Président de la République et son gouvernement.
Il faut donc opérer un repli mais il faut l’habiller politiquement ! Voilà pour la méthode.
Depuis cinq ans, les outre-mers sont donc l’objet de grandes démonstrations d’intérêt voire d’affection et, parallèlement, ils assistent impuissants au démantèlement des outils de soutien au développement économique et à des tentatives d’instrumentalisation des questions statutaires ou institutionnelles destinées à les repousser à la périphérie de la République.
Une observation superficielle de l’action gouvernementale vis-à-vis des outre-mers pourrait amener à conclure hâtivement que la législature qui s’achève dans un an aura été active. Du point de vue de la communication, elle l’a été en effet ! Une loi sur le développement économique des outre-mer, des états-généraux de l’outre-mer, un conseil interministériel de l’outre-mer, un projet de loi créant des collectivités uniques en Guyane et en Martinique, une année de l’outre-mer…
Cette action en direction des outre-mers a toutefois été marquée par une ligne directrice claire : réduire les coûts et maintenir à distance :
– La loi relative au développement économique des outre-mer a eu pour principales conséquences de réduire les avantages fiscaux liés aux investissements réalisés outre-mer, réduire les exonérations de cotisations sociales destinées à soutenir l’emploi, réduire l’effort budgétaire en direction de logement social, réduire les dispositifs de continuité territoriale, etc.
– Les états généraux de l’outre-mer, exercice plutôt utile en théorie et qui a permis de faire émerger quelques d’idées intéressantes, a débouché sur la tenue, en novembre 2009, d’un conseil interministériel de l’outre-mer qui a lui-même accouché de très nombreuses décisions dont 25 % seulement (les moins coûteuses) étaient mises en œuvre 18 mois plus tard !
L’opération, on le voit, était habilement destinée à calmer les crises sociales qui s’étaient manifestées outre-mer début 2009 mais elle n’a donné lieu à aucun effort supplémentaire pour le développement des outre-mers ;
– Sur le plan institutionnel, le Gouvernement n’a pu que donner suite à l’approbation par les électeurs guyanais et martiniquais de la création de collectivités uniques. Cette création qui, pour l’instant, n’entraîne pas de conséquences notables sur les rapports entre l’Etat d’une part, et la Guyane et la Martinique, d’autre part, est cependant perçue par certains responsables politiques comme une première étape vers une distanciation vis-à-vis de la République. En Guadeloupe, le Président de la République qui souhaitait que ce territoire oriente aussi son choix vers la création d’une collectivité unique a refusé les propositions sages d’adaptation de la loi de réforme des collectivités locales qui lui étaient faites par les élus locaux. A Mayotte, le Gouvernement n’a pu retarder davantage l’accès de la collectivité au statut de département mais, sans les moyens correspondants à ce changement de statut, les Mahorais se sont aperçus rapidement qu’il sera sans effet sur leur vie quotidienne et l’archipel traverse une grave crise sociale ;
– L’année de l’outre-mer ! Encore une belle idée… si elle ne s’était pas résumée à labelliser, quasiment sans moyens supplémentaires, des manifestations culturelles récurrentes qui auraient de toutes façons eu lieu avec ou sans année de l’outre-mer.
La gauche en 2012 devra donc revenir à une politique plus respectueuse des outre-mers. Les responsables politiques ultramarins acceptent de plus en plus mal qu’on leur présente des mesures de repli budgétaire comme des avancées ! Ils sont capables d’entendre que l’Etat doit faire des efforts de rigueur budgétaire mais il convient de les associer aux choix, de ne pas stigmatiser les outre-mers en les présentant comme des territoires assistés et de ne pas faire de la gesticulation le seul axe politique.
Le présent rapport du pôle outre-mer de Terra Nova fait donc le constat d’une décennie de politique de droite vis-à-vis de l’outre-mer, constat qui fait apparaitre une vraie rupture en 2007.
Il tente aussi, dans cinq domaines principaux, de tracer les lignes de force pouvant guider l’action de la gauche et formule un certain nombre de propositions concrètes(cf. vadémécum) :
– Revisiter la philosophie du développement économique des outre-mers :
Les économies ultramarines, structurellement fragiles, souffrent davantage de la: crise mondiale, de la crise des finances publiques françaises et des crises sociales que les entreprises de l’Hexagone. Les répercussions de ces crises, en termes de pouvoir d’achat, sont difficilement supportables pour des populations qui, ainsi, s’appauvrissent.
Dans ce contexte, le recyclage « à la baisse » des outils qui permettaient jusque-là de soutenir l’économie des outre-mers, produit un effet multiplicateur des crises.
Aussi, il conviendra de renouveler le discours vis-à-vis des outre-mers en cessant de les stigmatiser et de les présenter à longueur de discours comme des territoires assistés vivant aux crochets de l’Hexagone. Une relance des investissements publics pour contribuer au rattrapage du retard encore très net en matière d’équipements, un recentrage des aides sur les outils les plus efficaces, la stabilité de ces outils et une lutte plus déterminée contre les facteurs de hausse des prix à la consommation devront être au cœur d’une nouvelle approche économique des outre-mers.
– Développer des approches spécifiques et valorisantes en matière d’environnement, de biodiversité, d’énergies et de risques naturels :
La politique environnementale ne peut évidemment pas se concevoir de la même façon dans l’Hexagone et outre-mer. Les outre-mers sont des espaces à la fois fragiles du point de vue environnemental et très riches en termes de biodiversité et de potentialités énergétiques. Il convient donc de valoriser leurs atouts par des politiques adaptées. C’est le cas par exemple en matière de biodiversité, dont les inventaires devront être enfin achevés pour en mesurer toutes les opportunités économiques et pour mieux la protéger. Une nouvelle approche des risques naturels devra également prévaloir pour tenir compte des risques nouveaux (élévation du niveau de la mer par exemple) spécifiques aux outre-mers.
Dans le domaine énergétique, il conviendra de mieux valoriser les atouts des outre-mers par des politiques plus constantes et plus cohérentes de développement des énergies renouvelables.
– Retrouver le chemin de la cohésion sociale outre-mer :
Dans les DOM, l’égalité des droits et l’égalité sociale ont été obtenues au terme d’un long processus d’une cinquantaine d’années qui a débuté avec la loi de départementalisation de 1946. Pour autant, l’égalité réelle n’est pas achevée dans la mesure où le chômage est beaucoup plus élevé, où le PIB est encore plus faible que dans l’Hexagone, et où des nombreux critères sociaux sont moins bons (illettrisme, décrochage scolaire, services à la personne, santé, pauvreté…).
Un effort particulier devra être porté sur l’éducation et sur la jeunesse, notamment en matière de lutte contre le chômage des jeunes.
Des actions volontaristes devront être engagées en matière de santé, en particulier pour lutter contre les addictions et les mauvaises habitudes alimentaires, facteurs de maladies graves.
Le logement social, en panne, devra être relancé.
Un effort particulier devra être fait pour faciliter l’intégration des Français originaires des outre-mers vivant dans l’Hexagone.
– Valoriser les identités et les cultures des outre-mers, dans la République :
Les identités et les cultures des outre-mers se sont souvent construites selon des processus spécifiques de « créolisation » qui en font la richesse.
La diversité des cultures des outre-mers participent incontestablement à la richesse de la culture française. L’Etat doit appréhender ainsi cette diversité et la valoriser tant dans les outre-mers eux-mêmes que dans l’Hexagone.
Une telle valorisation est nécessaire pour renforcer le « vouloir vivre ensemble » et pour réconcilier des mémoires encore douloureuses.
A ce titre il conviendra notamment de préserver les patrimoines culturels des outre-mers, de promouvoir les expressions culturelles ultramarines localement, dans l’Hexagone et au niveau international.
– Sur les questions statutaires et institutionnelles, respecter les populations et leurs élus :
Les questions statutaires et institutionnelles sont très sensibles pour les élus ultramarins parce qu’elles sont au cœur d’enjeux de pouvoir.
Les populations des outre-mers sont, en général, moins intéressées par ces questions.
L’Etat doit donc se garder d’instrumentaliser ces sujets pour des raisons politiciennes car ils sont facteurs de division. Il ne doit pas non plus laisser croire que seules les adaptations statutaires et institutionnelles peuvent résoudre les difficultés des outre-mers.
Par ailleurs, il n’y a pas « une » solution statutaire et institutionnelle, mais il convient d’adopter une approche par territoire, et seul le respect des principes démocratiques et républicains doit guider l’action de l’Etat en la matière.
Au niveau de l’organisation de l’Etat, la pleine prise en considération des outre-mers nécessite une administration solide, compétente et politiquement forte.
Vadémécum
1. Revisiter la philosophie du développement économique des outre-mers
Proposition n°1 : Réaffecter à des investissements dans les équipements publics outre-mers une partie du montant consacré à des dépenses fiscales
Proposition n°2 : Revenir à un financement budgétaire du logement social outre-mer, par préférence au financement par dépense fiscale
Proposition n°3 : Développer des fonds d’ingénierie financière et l’assistance technique au montage de projets et ainsi donner une véritable consistance au plan de relance en faveur des équipements publics, en renforçant les moyens de l’Etat et des collectivités
Proposition n°4 : Engager les discussions avec les institutions communautaires pour assurer la reconduite de l’octroi de mer après 2014
Proposition n°5 : Evaluer les différents dispositifs d’allègement de cotisations sociales (zones franches d’activité, exonérations de charges, aides au fret…) au regard des créations d’emplois pour en renforcer l’efficacité
Proposition n°6 : Développer un plan de développement de l’économie sociale et solidaire (prise en charge des personnes âgées, de la petite enfance, des personnes handicapées…)
Proposition n°7 : Agir sur les prix outre-mer en renforçant les moyens de contrôle de l’Etat, en encadrant plus fortement les marges et rentes de situation de certains secteurs et en interdisant certaines pratiques faussant la concurrence
2. Développer des approches spécifiques et valorisantes en matière d’environnement, de biodiversité, d’énergies et de risques naturels
Proposition n°8 : Soutenir les programmes de recherche en gestion de la biodiversité dans les outre-mers européens
Proposition n°9 : Achever l’inventaire de la biodiversité dans tous les outre-mers, toutes les collectivités devant disposer de leurs inventaires respectifs
Proposition n°10 : Mettre l’accent, dans l’inventaire de la biodiversité, sur les potentiels thérapeutiques, sur les techniques agricoles écologiques et sur les maladies émergentes
Proposition n°11 : Développer des programmes éducatifs relatifs à la connaissance et à la gestion de l’environnement, en particulier celles de la biodiversité, spécifiques aux outre- mers (de l’enseignement primaire à l’enseignement supérieur)
Proposition n°12 : Assurer, pour le développement de la connaissance de la biodiversité et son partage, une meilleure coordination au sein de l’Etat, entre l’Etat et les régions d’outre- mer, mais aussi avec des alliances entre organismes de recherches
Proposition n°13 : Renforcer les mesures de protection en faveur des récifs coralliens français et soutenir les politiques favorables à cette protection (politique d’assainissement, gestion des déchets, contrôle de la pêche…)
Proposition n°14 : Mettre véritablement en œuvre le plan séisme aux Antilles Proposition n°15 : Elaborer un plan consacré au risque d’élévation du niveau de la mer pour
tous les littoraux des outre-mers
Proposition n°16 : Bâtir une politique cohérente des énergies renouvelables dans les outre- mers, avec les collectivités territoriales
3. Retrouver le chemin de la cohésion sociale outre-mer
Proposition n°17 : Sanctuariser le principe de l’égalité sociale entre les DOM et l’Hexagone et refuser toute mesure qui la mettrait en cause outre-mer
Proposition n°18 : Renforcer les dispositifs d’excellence outre-mer, en tenant compte des particularités locales, comme la question des transports en Guyane
Proposition n°19: Lutter contre l’illettrisme dès la petite enfance et exploiter le multilinguisme, par la présence d’accompagnateurs culturels auprès des enseignants
Proposition n°20 : Développer une action d’orientation spécifique, avec une adaptation aux filières de formation locales et aux besoins d’emploi
Proposition n°21 : Faire de l’emploi des jeunes un champ d’expérimentation, y compris en déléguant de plus grandes compétences aux acteurs locaux
Proposition n°22 : Favoriser la mobilité professionnelle des ultra-marins, en particulier des jeunes en formation et des étudiants, vers l’Hexagone et l’Europe par une politique de continuité territoriale adaptée à leurs besoins
Proposition n°23 : Elaborer, en concertation avec les collectivités territoriales, un plan d’équipement en structures d’accueil des personnes âgées
Proposition n°24 : Développer une politique de santé publique adaptée aux modes de vie outre-mer et ciblée sur les populations les plus précaires
Proposition n°25 : Elaborer un plan de lutte contre l’illettrisme fixant comme objectif de diviser le taux d’illettrisme par deux sur la décennie
Proposition n°26 : Relancer, avec la ville de Paris, le projet de cité des outre-mers
Proposition n°27 : Proposer aux grands médias nationaux des conventions portant sur la place de l’outre-mer dans l’information nationale
Proposition n°28: Instaurer des prix plafonds pour les billets d’avion pour les vols métropole-outre-mers
4. Valoriser les identités et les cultures des outre-mers, dans la République
Proposition n°29 : Réinscrire l’imaginaire ultramarin dans la République et inclure la culture ultra-marine dans l’exception culturelle française
Proposition n°30: Mener des actions symboliques de vulgarisation populaire pour témoigner de la richesse de l’histoire des terres d’outre-mer
Proposition n°31 : Dynamiser la politique du patrimoine outre-mer, notamment en facilitant l’accès aux archives et aux documents relatifs à la période esclavagiste
Proposition n°32 : Faire de la mise en valeur du patrimoine ultra-marin un objectif prioritaire, notamment avec la création d’un master en architecture tropicale
Proposition n°33 : Mettre en place d’un répertoire des œuvres culturelles majeures ultra- marines dans les principales disciplines culturelles
Proposition n°34: Développer un cadre législatif favorable à l’usage des langues régionales, après signature de la charte européenne des langues régionales et minoritaires
Proposition n°35 : Pour promouvoir les cultures ultra-marines, l’école doit proposer des ateliers artistiques sur des projets associant la mémoire et la culture
Proposition n°36: Les programmes scolaires doivent intégrer un socle minimum de connaissance sur les outre-mers et sur leur patrimoine
Proposition n°37 : Assurer la présence des outre-mers dans quelques grands évènements culturels nationaux ou internationaux (festival d’Avignon, festival d’Automne)
Proposition n°38 : Promouvoir une offre de formation professionnelle dans les domaines artistiques
Proposition n°39 : Mettre en œuvre une politique de diffusion de l’offre culturelle
Proposition n°40 : Renforcer l’autonomie du réseau Outre-mer première (ex-RFO) et faire
de France Ô une chaîne de promotion des outre-mers
5. Sur les questions statutaires et institutionnelles, respecter les populations et leurs élus
Proposition n°41: Rester à l’écoute des demandes sociales relatives aux évolutions statutaires sans jamais en faire un enjeu politicien
Proposition n°42: Assurer une pleine mise en œuvre des principes posés par la Constitution, notamment dans les règles prévoyant le recueil du consentement de la population
Proposition n°43 : Veiller au bon fonctionnement des contre-pouvoirs outre-mer
Proposition n°44 : Créer un ministère de l’outre-mer autonome du ministère de l’intérieur et rattaché directement au Premier ministre
Introduction
2007 a constitué une vraie rupture entre l’outre-mer et la République. Le candidat Nicolas Sarkozy l’avait promis, il l’a fait !
La doctrine du « développement endogène » inventée pendant la dernière campagne des présidentielles s’est révélée être bien davantage qu’un slogan : une véritable philosophie d’ action.
L’outre-mer coûte cher ! Il faut en finir avec l’assistanat ! Voilà pour le constat dressé par le Président de la République et son gouvernement. Il faudrait donc opérer un repli en l’habillant politiquement ! Voilà pour la méthode.
Depuis cinq ans, les outre-mers sont donc l’objet de grandes démonstrations d’intérêt voire d’affection et, parallèlement ils assistent, impuissants au démantèlement des outils de soutien au développement économique et à des tentatives d’instrumentalisation des questions statutaires ou institutionnelles destinées à les repousser à la périphérie de la République.
Une observation superficielle de l’action gouvernementale vis-à-vis des outre-mers pourrait conclure hâtivement que la législature qui s’achève aura été active. Du point de vue de la communication, elle l’a été : une loi sur le développement économique des outre-mer (la LODEOM), des états-généraux de l’outre-mer, un conseil interministériel de l’outre-mer, des lois créant des collectivités uniques en Guyane et en Martinique, une année de l’outre- mer…
Pourtant, les outre-mers vont mal : la crise aux Antilles, deux ans après les émeutes du début de l’année 2009, reste sévère et le malaise a gagné Mayotte à l’automne 2011, autour des débats sur le niveau des prix.
L’action du gouvernement en direction des outre-mers a été marquée par une ligne directrice claire : réduire les coûts et maintenir à distance :
– La loi relative au développement économique des outre-mer a eu pour principales conséquences de réduire les avantages fiscaux liés aux investissements réalisés outre- mer, réduire les exonérations de cotisations sociales destinées à soutenir l’emploi, réduire l’effort budgétaire en direction de logement social, réduire les dispositifs de continuité territoriale etc.
– Les états généraux de l’outre-mer, exercice plutôt utile en théorie et qui a permis de faire émerger quelques idées intéressantes, a débouché sur la tenue, en novembre 2009, d’un conseil interministériel de l’outre-mer qui a lui-même accouché de très nombreuses décisions dont la mise en œuvre reste laborieuse. L’opération était habilement destinée à calmer les crises sociales qui s’étaient manifestées outre-mer début 2009 mais elle n’a pas produit de résultats significatifs ;
– Sur le plan institutionnel, le Gouvernement n’a pu que donner suite à l’approbation par les électeurs guyanais et martiniquais de la création de collectivités uniques. Cette création qui, pour l’instant, n’emporte pas de conséquences notables sur les rapports entre l’Etat, d’une part, et la Guyane et la Martinique, d’autre part, est cependant perçue par certains responsables politiques comme une première étape vers une distanciation vis-à-vis de la République. En Guadeloupe, le Président de la République qui souhaitait que ce territoire oriente aussi son choix vers la collectivité unique a refusé les propositions sages d’adaptation de la loi de réforme des collectivités locales qui lui étaient faites par les élus locaux. A Mayotte, le Gouvernement n’a pu retarder davantage l’accès de la collectivité au statut de département mais, sans les moyens correspondants à ce changement de statut, il n’a pas pu empêcher les Mahorais de déchanter sévèrement ;
– L’année de l’outre-mer ! Encore une belle idée… si elle ne se résumait pas, le plus souvent, à labelliser, quasiment sans moyens supplémentaires, des manifestations culturelles récurrentes qui auraient de toutes façons eu lieu avec ou sans année de l’outre- mer…
La gauche en 2012 devra donc revenir à une politique plus respectueuse des outre-mers. Les responsables politiques ultramarins acceptent de plus en plus mal qu’on leur présente des mesures de repli budgétaire comme des avancées ! Ils sont capables d’entendre que l’Etat doit faire des efforts de rigueur budgétaire mais il convient de les associer aux choix, de ne pas stigmatiser les outre-mers en les présentant comme des territoires assistés et de ne pas faire de la gesticulation le seul axe politique.
L’ambition de ce rapport est de formuler, dans plusieurs domaines, des propositions susceptibles de guider l’action de la gauche. Elles portent avant tout sur les DOM et les collectivités « à forte identité législative ». En effet, la plupart des politiques de l’Etat relèvent, en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française par exemple, de compétences locales. Il n’aurait donc pas été pertinent d’inclure ces collectivités dans la totalité du champ de notre contribution. Certains objectifs sont toutefois pertinents pour l’ensemble de ces collectivités qui sont partie intégrante de la République.
Cinq grandes rubriques couvrent un large champ de l’action publique:
– Le développement économique et le pouvoir d’achat ;
– Les problématiques liées à l’environnement : biodiversité, énergies et risques naturels ;
– La cohésion sociale ;
– Les questions d’identités et de cultures ;
– Les questions institutionnelles et statutaires.
PARTIE I
Revisiter la philosophie du développement
économique des outre-mers
Le domaine économique est probablement celui qui illustre le mieux la rupture opérée par le Gouvernement en 2007. La doctrine du « développement endogène » a surtout servi à justifier la réduction des moyens consacrés par l’Etat aux outils de soutiens à l’économie des DOM qui avaient été mis en place à partir du milieu des années 80 et peu à peu affinés et renforcés par les gouvernements successifs de droite comme de gauche.
Il conviendra de changer d’approche, de ne plus considérer les outre-mers comme des centres de coûts et des poches d’assistanat et de revenir à une approche plus respectueuse des outre-mers considérés comme parties intégrantes de la République et comme des potentiels de développement pour notre pays. Cela signifiera aussi de remettre à plat les dispositifs d’aide, de centrer l’effort sur ceux qui sont les plus efficaces, d’élaborer des instruments innovants de financements des entreprises et d’engager un véritable rattrapage des équipements publics de base qui font encore défaut et dont l’absence pénalise le développement.
Projet 2012 – Contribution n°16
Les outre-mers dans la République
www.tnova.fr – 21/99
1.
Des économies ultramarines qui, en cette période de
crise mondiale, souffrent davantage que les autres
régions françaises
1.1 DES HANDICAPS STRUCTURELS RECONNUS, DES ECONOMIES VULNERABLES
Petites économies insulaires pour la plupart, les économies des outre-mers sont fragiles et vulnérables. Elles présentent des handicaps structurels, reconnus, en ce qui concerne les DOM, par l’Europe et par l’Etat. L’article 349 du Traité énonce en effet certains de ces handicaps : éloignement, insularité, faible superficie, relief et climat difficiles auxquels il conviendrait d’ajouter l’étroitesse des marchés, la soumission à des risques naturels majeurs et surtout l’absence d’accumulation de capital public et privé. Les autres collectivités d’outre-mer connaissent sensiblement les mêmes difficultés structurelles.
Ces économies sont également marquées par une forte tertiarisation – le secteur tertiaire représente plus de 80 % de la production de valeur ajoutée dans les DOM contre 77,2 % au niveau national1, situation liée à l’importance relative des services administrés dont le poids est supérieur de plus de 10 points à leur poids au niveau national – au détriment du secteur secondaire (industrie et construction) et par une dépendance à l’égard de trois domaines d’activité : agriculture, bâtiment et travaux publics , tourisme.
Enfin, même si les économies d’outre-mer sont en général plus dynamiques que l’économie nationale dans son ensemble, avec des taux de croissance du PIB et de créations d’entreprises nettement supérieurs, elles sont constituées d’un tissu de PME et de TPE par nature fragiles et souvent sous capitalisées ce qui les rend plus vulnérables en période de crise.
Ces handicaps et la structuration particulière du tissu économique rendent les économies des outre-mers particulièrement sensibles aux effets des crises économiques et sociales auxquelles elles sont peut-être davantage soumises que les autres régions : une crise du secteur de la banane, du sucre ou du tourisme a proportionnellement plus de répercussions dans une petite collectivité d’outre-mer que la crise d’un secteur particulier dans une région plus grande de l’Hexagone moins dépendante d’un nombre limité de productions.
Au final, une triple crise frappe les outre-mers, qui accentue leur fragilité :
1 Source : Rapport d’information 2009 du Sénat « Les DOM, défi pour la République, chance pour la France »
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– la crise mondiale rend les investisseurs plus prudents et les banques plus frileuses encore vis-à-vis de territoires souvent considérés comme « à risques » ;
– la crise des finances publiques françaises conduit l’Etat à faire des économies sur toutes les politiques publiques et en particulier sur la politique de soutien au développement économique des outre-mers, les collectivités territoriales ultramarines, également financièrement fragiles, ne pouvant prendre le relais ;
– des crises sociales, dans certaines collectivités comme celles des Antilles début 2009 ou à Mayotte à l’automne 2011, ont des répercussions très lourdes sur l’emploi et sur la confiance. Ces crises contribuent fortement à faire baisser l’investissement.
1.2 DES NIVEAUX DE PRIX ET UNE DEGRADATION DU POUVOIR D’ACHAT INSUPPORTABLES
Les effets des crises qui touchent les économies des outre-mers frappent durement la partie de la population qui ne bénéficie d’aucun mécanisme de garantie du pouvoir d’achat.
Les sociétés ultramarines sont en effet très inégalitaires. D’un côté, les fonctionnaires perçoivent en général des majorations de traitement destinées à compenser le « coût de la vie » plus élevé que dans l’Hexagone et les cadres du privé disposent le plus souvent de salaires ajustés à la hausse et profitent d’un niveau de vie supérieur à celui de leurs homologues de l’Hexagone. Ce phénomène, qui, dans une certaine mesure, s’entretient lui- même, est profondément mal vécu par les salariés du privé « du bas de l’échelle » et les titulaires de minima sociaux qui, de leur côté, ont de grandes difficultés à assurer un niveau de vie décent.
Cette situation met plus fortement en lumière le niveau et les mécanismes de formation des prix, préoccupation majeure outre-mer qui fut dans une large mesure à l’origine de la crise de 2008 / 2009. Le niveau très élevé des prix à la consommation, notamment dans l’alimentation, connaît en effet une croissance généralement plus importante dans les DOM que dans l’Hexagone :
Évolution annuelle des prix dans les départements d’outre-mer
Guadeloupe | Guyane | Martinique | Réunion | Ensemble de la France | |
2007 | 1,3 % | 3,4 % | 2,4 % | 1,4 % | 1,5 % |
2008 | 2,2 % | 3,5 % | 2,8 % | 2,9 % | 2,8 % |
2009 | 0,2 % | 0,7% | – 0,3% | 0,4% | 0,1% |
Sources : IEDOM, INSEE
Ces taux d’inflation structurellement plus importants outre-mer (avec des différences toutefois par département) cachent des taux encore plus importants dans le domaine de l’alimentation, l’indice des prix à la consommation construit par l’INSEE dans chaque DOM donnant une
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pondération supérieure aux dépenses pour l’alimentation dans les dépenses des ménages de ces départements par rapport à l’Hexagone (plus de 20 % contre 16,5 %). Du reste, ces évolutions reposant sur une moyenne, ce sont les ménages les plus modestes, pour lesquels l’alimentation pèse plus dans leur budget que le niveau moyen, qui sont proportionnellement plus affectés par la forte augmentation des denrées alimentaires. Après une inflexion observée à la fin de l’année 2008, l’inflation est repartie à la hausse outre-mer depuis fin 2009, à un rythme plus élevé que celui observé dans l’Hexagone et avec des taux particulièrement forts dans les COM du Pacifique.
Les différences de niveaux de prix entre les départements d’outre-mer et l’Hexagone s’expliquent tant par des éléments objectifs et structurels (éloignement, faibles économies d’échelle, difficultés à importer depuis les pays limitrophes des produits répondant aux normes européennes, « double insularité » en Guadeloupe, difficultés d’accessibilité de certaines communes en Guyane) que par le niveau des marges prélevées sur la chaîne d’approvisionnement et des verrouillages critiquables du libre jeu de la concurrence. Elles sont très pénalisantes pour les faibles revenus et peuvent même engendrer des problèmes de santé publique (obésité, diabète, risques cardiovasculaires…) du fait d’une mauvaise alimentation.
Le prix des carburants, même s’il reste légèrement inférieur à celui de l’Hexagone du fait notamment de la non-application dans les DOM de certaines taxes nationales, de taxes locales plus faibles et de l’administration des prix par les préfectures, a néanmoins considérablement augmenté depuis quelques années et constitue l’un des sujets les plus sensibles pour la population ultramarine, en particulier sa frange la plus modeste, dans la mesure où le réseau de transports en commun est souvent mal organisé et où la voiture reste le seul mode de transport permettant de conserver un emploi. C’est ainsi la question du prix des carburants qui a été à l’origine de la crise sociale qui a touché la Guyane et les Antilles fin 2008 et début 2009, à une période où la baisse des cours mondiaux tardait à se faire sentir dans les départements ultramarins, mettant au jour les dysfonctionnements de ce secteur et de la chaîne de fixation des prix. Ce sujet sensible, qui a fait l’objet de plusieurs rapports en 2009 et 2010, a connu des évolutions notables dans les derniers mois, en termes de transparence, de réactivité dans l’adaptation des prix administrés aux évolutions des cours mondiaux et d’encadrement des marges de la filière mais les questions sensibles (approvisionnement depuis d’autres pays de la zone Caraïbe, avenir de la raffinerie de la SARA en Martinique, modernisation des réseaux de stations-service) ne sont toujours pas traitées.
La détérioration du pouvoir d’achat est enfin amplifiée par l’accroissement du chômage, dans une conjoncture économique défavorable, avec un tassement de la demande intérieure, tant au niveau des entreprises (repli de l’investissement) que des ménages (consommation atone). Selon les chiffres d’Eurostat, les quatre départements français d’outre-mer se trouvent dans le quatuor de tête des régions de l’Union européenne enregistrant les plus forts taux de chômage. Après deux années consécutives de baisse du taux de chômage (en 2006 et 2007), les départements d’outre-mer enregistrent à nouveau une forte dégradation du marché du travail depuis fin 2008. Le taux de chômage est passé par exemple en Guadeloupe de 22% en 2008
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à 24% en 2010. La progression du taux de chômage a été particulièrement vive à La Réunion (+ 4,4 points entre 2008 et 2010). L’économie réunionnaise a été touchée de plein fouet par l’arrêt des grands chantiers et la chute de la commande publique.
Evolution du taux de chômage dans les DOM 2006-2010
| Guadeloupe | Guyane | Martinique | Réunion |
2006 | 25,10 % | 27,60 % | 23 % | 27,50 % |
2007 | 22,70 % | 20,30 % | 21,20 % | 24,20 % |
2008 | 22 % | 21,80 % | 22,40 % | 24,50 % |
2009 | 23,50 % | 20,50 % | 22 % | 27,20 % |
2010 | 23,80 % | 21 % | 21 % | 28,90 % |
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2.
Une politique économique limitée au « recyclage » des instruments existants
Encore récemment aux Antilles lors de ses vœux à l’outre-mer, le Président de la République a insisté sur le nécessaire « développement endogène » des outre-mers, terme constamment repris par le Gouvernement depuis la loi pour le développement économique des outre-mers (dite Jégo-Penchard) de mai 2009. Se voulant flatteur pour les territoires ultramarins, il n’en demeure pas moins un concept à géométrie variable : dans le meilleur des cas, ce concept est économiquement insatisfaisant ; dans le pire des cas, il s’accompagne d’un discours stigmatisant sur «l’assistanat» dont bénéficieraient les outre-mers. Plus certainement, il sert surtout à dissimuler le fait que la politique gouvernementale s’appuie toujours sur les mêmes cadres et instruments budgétaires et fiscaux relativement consensuels mis en place depuis 25 ans, sans considération pour leur efficacité relative.
2.1 AVEC LE « DEVELOPPEMENT ENDOGENE » ET LE REFUS DE « L’ASSISTANAT »,
UNE VISION ERRONEE DES ECONOMIES ULTRAMARINES, VOIRE UNE APPROCHE CARTIERISTE DES OUTRE-MERS
Que ce soit pour les DOM ou pour les COM, le concept de développement endogène trouve rapidement ses limites. Les handicaps susmentionnés ne permettraient évidemment pas de maintenir le niveau de vie actuel des populations des outre-mers si elles ne devaient compter que sur leurs propres productions, en tout cas à leur niveau actuel. Réciproquement, les acteurs économiques exogènes jouent un rôle majeur dans l’économie des DOM, qu’il s’agisse des secteurs de la grande distribution, du tourisme, du BTP ou de la banque ; de même, la défiscalisation a conduit à soutenir l’investissement outre-mer en mobilisant des capitaux venant essentiellement de l’Hexagone.
La spécialisation dictée par l’agenda de Lisbonne sur des activités « modernes » à forte valeur ajoutée n’est évidemment pas la solution. Qu’il faille exploiter au maximum les niches de valeur ajoutée pour lesquelles les collectivités d’outre-mer ont des avantages comparatifs forts n’est pas contestable. Mais l’étroitesse des marchés, l’éloignement, la concurrence de territoires disposant des mêmes avantages mais à plus faibles coûts de production et tout simplement le fait que ces niches sont rares rendent illusoire l’espoir de fonder le développement des outre-mers sur ces seules activités.
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Enfin, si le renforcement de l’insertion régionale des outre-mers doit être évidemment encouragé, l’illusion selon laquelle l’accroissement des échanges avec les Etats voisins constituerait la clef du développement économique des outre-mers doit être battue en brèche, les potentiels étant faibles : les pays voisins, souvent à pouvoir d’achat réduit, produisent, en général, les mêmes produits que les outre-mers français à des coûts moindres. Aussi les risques liés l’accroissement des échanges avec l’environnement régional, par l’introduction d’une concurrence à moindre coût, doivent-ils être soigneusement mis en regard des débouchés attendus : même si on peut nourrir l’espoir de vendre quelques services pour lesquels les outre-mers pourraient bénéficier de savoir-faire particuliers et d’une proximité géographique avec des marchés étrangers voisins, il est clair que, n’en déplaise aux promoteurs passionnés de la Grande Caraïbe ou de l’intégration régionale dans l’Océan indien par exemple, le marché naturel des outre-mers est encore pour longtemps celui des pays à fort pouvoir d’achat, proches culturellement pour y faire des affaires facilement, donc l’Europe et singulièrement l’Hexagone.
La promotion du « développement endogène », si elle a pu séduire dans ces territoires, s’avère donc économiquement insuffisante pour fonder à elle seule le développement des DOM.
Il convient dès lors de s’interroger sur l’insistance du Gouvernement à porter et défendre ce concept. Au mieux, il s’agit de dissimuler le fait que la politique gouvernementale à destination des outre-mers, si elle a été globalement généreuse dans les dernières années, n’a pas su réinventer les grands axes et instruments mis en place depuis plus de 20 ans (cf. infra).
Au pire, proposé comme une rupture avec « l’assistanat » dont profiteraient les outre-mers considérés comme une charge et assimilés à une « France extérieure » dont ils ne feraient donc pas pleinement partie, ce développement endogène est moralement critiquable : il s’agit de la remise en cause de la solidarité nationale en faveur des populations ultramarines. En désignant outre-mer comme de l’assistanat ce qui s’appelle en réalité solidarité nationale dans l’Hexagone, la droite stigmatise ces territoires, conteste la pleine intégration de leurs populations dans la République et les condamne à terme à l’autosuffisance.
Déjà en 2006-2007, dans son programme, le candidat Sarkozy insistait sur cette idée d’assistanat, idée reprise lors de la dernière visite présidentielle aux Antilles et qu’on retrouve en filigrane dans la politique gouvernementale. Alors qu’il ne viendrait à l’idée de personne de calculer ce que coûte la Corrèze au reste de la Nation, de demander au Cantal de sortir de l’assistanat ou d’exiger de la Lozère de se développer de manière endogène, c’est l’approche qui prévaut actuellement au Gouvernement s’agissant des outre-mers.
Cette idée des outre-mers vus comme un centre de coûts transparaît notamment lors des débats annuels sur le budget consacré par l’Etat à l’outre-mer, où le Gouvernement met régulièrement en avant « l’effort de l’État en faveur de l’outre-mer » dans un document budgétaire spécifique, additionnant sans véritable analyse les dépenses de l’ensemble de ses
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administrations dans les départements et collectivités ultramarines. A notre connaissance, aucun exercice similaire n’est proposé pour toute autre région de l’Hexagone.
Dans une certaine mesure, le mouvement qui incite les DOM à sortir du cadre institutionnel départemental, garant d’un traitement égalitaire au sein de la République, de même que les collectivités d’outre-mer à faire évoluer leurs statuts vers toujours plus d’« autonomie », traduisent également cette préoccupation de voir les outre-mers s’assumer seuls.
2.2 UNE POLITIQUE ECONOMIQUE EN FAVEUR DES OUTRE-MERS QUI S’INSCRIT DANS DES CADRES RELATIVEMENT CONSENSUELS SANS LES BOULEVERSER
Depuis le milieu des années 80, les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, ont mis en œuvre des politiques de soutien à l’économie des outre-mers faisant intervenir avec des dosages variables des outils visant à soutenir l’emploi et l’investissement dans le secteur marchand, tout en encourageant la commande publique et en traitant le chômage incompressible.
Ces outils étaient :
– le soutien fiscal à l’investissement, issu des lois Pons, Paul puis Girardin et qui, malgré quelques imperfections corrigées au fil du temps, s’est traduit par des investissements
privés considérables dans plusieurs secteurs ;
– la réduction des cotisations patronales de sécurité sociale introduite par la loi Perben,
amplifiée par la loi d’orientation pour l’outre-mer de Jospin (LOOM) et maintenue par
la loi Girardin ;
– des subventions publiques aux investissements publics et privés (Europe, Etat, régions
et départements)
– un niveau de commande publique significatif
– des emplois aidés pour un traitement social du chômage dans des territoires qui, malgré
un fort taux de création d’emplois, n’arrivent pas à absorber les effectifs de jeunes arrivant chaque année sur le marché du travail.
Dans un contexte de crise économique sévère, la loi JEGO-PENCHARD pour le développement économique de mai 2009 n’a pas véritablement remis en cause ces dispositifs dans leurs principes :
– la loi met en place des « zones franches d’activités », pas inintéressantes en elles-mêmes et qui consistent, pour une durée limitée, à accentuer certaines réductions fiscales dans un nombre limité de secteurs et/ou de zones géographiques en fonction de la taille des entreprises concernées. L’efficacité marginale d’un tel dispositif, se surajoutant à des mécanismes d’exonérations sur les cotisations sociales déjà existants, dans le soutien aux entreprises et surtout pour la création d’emplois, n’a cependant pas été finement évaluée ;
– la défiscalisation du logement est désormais réservée au logement social, avec des dispositifs complexes à mettre en œuvre par les bailleurs sociaux ;
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– la défiscalisation des énergies renouvelables et de la navigation de plaisance est remise en cause ;
– le mécanisme de TVA non perçue récupérable, outil de soutien aux investissements, est recentré au profit de la création d’une aide au fret ;
– les aides sociales à la continuité territoriale ne sont réformées qu’à la marge dans leurs critères d’éligibilité et dans leur mode de gestion (recentralisée et confiée à l’opérateur LADOM, ex-ANT) ;
– un fonds exceptionnel est mis en place en faveur de l’investissement dans des équipements structurants, a fait l’objet d’abondements complémentaires dans le cadre du plan de relance de l’économie mais ne dispose plus aujourd’hui que de marges d’intervention très faibles.
Si la palette des outils de la politique publique outre-mer n’évolue donc qu’à la marge, le véritable changement réside sans doute dans le poids relatif de chacun de ces instruments, les crédits budgétaires, hors exonérations de charges sociales, demeurant relativement stables sur la période 2007-2011 alors que la dépense fiscale a, pour sa part, connu une augmentation très forte et pas forcément maîtrisée :
2007 | 2008 | 2009 | 2010 | 2011 | Evolution 2007/2011 | |
Dépense budgétaire de la mission « Outre-mer »2 | 1 704 | 1 930 | 2 470 | 2 023 | 1 969 | + 16 % |
dont exonérations de charges sociales | 782 | 1 074 | 1 553 | 1 104 | 1 087 | + 39 % |
Dépense budgétaire hors exonérations de charges | 922 | 856 | 917 | 919 | 882 | – 4 % |
Dépense fiscale rattachée à la mission « Outre-mer » | 2 772 | 3 028 | 3 260 | 3 175 | 3 225 | + 16 % |
TVA (taux minorés et TVA-NPR) | 1 380 | 1 470 | 1 316 | 1 260 | 1 260 | – 9 % |
Défiscalisation | 920 | 1 090 | 1 263 | 1 228 | 1 293 | + 41 % |
Zones franches d’activité | 195 | 195 | 160 | – | ||
Autres (non application de la TIPP, etc.) | 472 | 468 | 486 | 492 | 512 | + 8 % |
Depuis 2007, la mission outre-mer a vu
ses crédits augmenter de 16%, dont la plus grande part représente les exonérations de charge sociale. Les dépenses fiscales correspondant à des opérations de défiscalisation ont pour leur part augmenté de 41% sur les cinq dernières années.
2 Les données 2007 à 2009 correspondent aux crédits de paiements consommés chaque année, tels qu’annoncés dans les rapports annuels de performance de la mission « Outre-mer », les données 2010 et 2011 sont celles des projets annuels de performance de la même mission ; ces données sont présentées à périmètre 2010 (i.e. corrigées des changements de périmètre intervenus sur le budget de cette mission sur la période décrite).
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3.
Renouveler l’approche des outre-mers dans les discours et dans les instruments de politique économique
3.1. MODIFIER LE DISCOURS ECONOMIQUE ET CESSER DE STIGMATISER LES OUTRE-MERS
Comme la plupart des régions de France, ce qu’apportent les outre-mers à la Nation ne se mesure pas en parts de valeur ajoutée ou de PIB. Comme la Bretagne apporte des kilomètres de littoral, une histoire, une langue et une culture, comme le Limousin apporte de l’espace rural, comme les Alpes-de-Haute-Provence apportent des espaces naturels, la Guyane, la Polynésie et les outre-mers dans leur ensemble apportent des espaces maritimes, des cultures diverses qui sont une richesse pour la Nation, la jeunesse de leurs populations et une présence de la France sur tous les océans. Au moment où les questions de « l’intégration » et de la place de l’Islam dans la République se posent dans l’Hexagone, ces sociétés, dès le départ pluriculturelles et pluricultuelles pour la plupart, apportent également à la France l’expérience du vivre ensemble.
Les outre-mers dans leur ensemble et les DOM en particulier doivent être considérés d’un point de vue éthique et politique comme les autres régions de France même si, évidemment, leurs spécificités doivent être prises en considération dans la mise en œuvre des politiques publiques, économiques notamment.
C’est ainsi qu’il faut penser les outre-mers. Quand on sait que près de 50% de la richesse française est produite dans les agglomérations de Paris, Lyon, Lille et Marseille, on relativise les considérations de la droite sur le développement endogène des outre-mers puisqu’il faudrait alors les appliquer au Limousin, au Périgord et aux Ardennes.
La gauche ne devra donc pas davantage utiliser pour les outre-mers que pour les autres régions de France la notion d’ailleurs fort imprécise d’assistanat et devra, au contraire, s’interroger sur la pertinence des références au développement « endogène ». Il s’agit bien plutôt d’assumer une politique économique de soutien important à ces économies, justifiée par les handicaps structurels et surtout la nécessité d’assurer une égalité réelle dans l’ensemble des territoires de la République.
S’agissant des COM de l’article 74 et de la Nouvelle-Calédonie, en règle générale compétentes pour les politiques économiques, l’Etat est, dans leur cas, davantage dans une logique d’accompagnement que dans l’obligation de les conduire vers un rattrapage sur l’Hexagone comme c’est le cas avec les DOM.
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3.2. METTRE EN PLACE DE NOUVEAUX OUTILS, DES INVESTISSEMENTS, UN PLAN DE RATTRAPAGE DES EQUIPEMENTS PUBLICS
La conduite de la politique économique en faveur des outre-mers ne peut reposer sur quelques outils exclusifs ou sur la sélection d’un nombre limité de secteurs. C’est un mix économique qu’il convient de définir avec un socle commun pour tous les outre-mers et des déclinaisons locales adaptées à la situation de chaque collectivité.
Les outre-mers dans leur ensemble souffrent encore de graves retards en matière d’équipements publics dans les domaines de l’assainissement, du traitement des déchets, des transports en commun, de la mise aux normes parasismiques des bâtiments par exemple.
Actuellement, la défiscalisation en faveur de l’outre-mer représente une dépense fiscale pour l’Etat évaluée à 3,3 Mds d’euros, à comparer avec le budget de la mission « outre-mer » qui est inférieur à 2 Mds d’euros, avec une dynamique de croissance qui apparaît de plus en plus difficile à concilier avec la situation de nos finances publiques. Dès lors, il faut examiner si une part significative des dépenses fiscales liées ne pourrait pas être réaffectée à des investissements dans les équipements publics qui font encore défaut. Une telle mesure donnerait de l’activité aux entreprises locales, créerait de l’emploi car tout euro investi dans les équipements publics profiterait effectivement à l’outre-mer.
Proposition n°1 : Réaffecter à des investissements dans les équipements publics outre-mers une partie du montant consacré à des dépenses fiscales |
Un plan de rattrapage des équipements publics entraînerait une relance de type keynésien adaptée à ces territoires en retard de développement. Le Fonds Exceptionnel d’Investissement (FEI), obtenu par la gauche dans la LODEOM et aujourd’hui très faiblement doté, pourrait être le vecteur de la mise en œuvre de ce plan.
De la même manière, la réorientation des incitations fiscales vers les opérations de logement social tardant à prendre le relais des subventions publiques, il pourrait être défendu la revalorisation des subventions budgétaires en faveur du logement social (LBU) contre un gel de la dépense fiscale. Comme pour la défiscalisation sur les investissements productifs, cette mesure s’accompagnerait d’un gain automatique pour les finances publiques, avec la disparition automatique du surcoût fiscal perçu par les « défiscalisateurs » et les intermédiaires.
Proposition n°2 : Revenir à un financement budgétaire du logement social outre-mer, par préférence au financement par dépense fiscale |
Outre ces interventions traditionnelles, de nouveaux outils d’ingénierie financière pourraient être développés et adaptés outre-mer, tels que l’assistance technique au montage de projets de type Partenariat Public/Privé (PPP), ainsi que les fonds de prêts, d’avances et de capital-
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investissement. Ces modes d’intervention, plus vertueux que la subvention pour les financeurs publics, visent également à renforcer le haut de bilan d’entreprises dont les structures financières sont souvent fragilisées (notamment par des investissements réalisés en défiscalisation indirecte).
Proposition n°3 : Développer des fonds d’ingénierie financière et l’assistance technique au montage de projets et ainsi donner une véritable consistance au plan de relance en faveur des équipements publics, en renforçant les moyens de l’Etat et des collectivités |
Le maintien d’une capacité fiscale suffisante pour les collectivités territoriales et en particulier les régions est déterminant pour que celles-ci continuent à assurer leur part d’investissement public. A ce titre, il importe que soit reconduit, après 2014, le régime actuel d’octroi de mer qui non seulement permet de sauvegarder des secteurs économiques exposés à la concurrence mais constitue aussi une ressource budgétaire essentielle pour les collectivités territoriales.
Proposition n°4 : Engager les discussions avec les institutions communautaires pour assurer la reconduite de l’octroi de mer après 2014 |
Les mesures d’allègement de cotisations sociales doivent aussi être maintenues car elles ont un effet direct sur l’emploi. Cependant, compte tenu de leur poids dans les crédits de la mission « outre-mer », l’efficacité de cette mesure, souvent validée comme un « service voté » lors des débats annuels budgétaires, en termes de soutien à la création d’emplois pérennes dans le secteur marchand, doit pouvoir être évaluée pour éventuellement corriger le dispositif.
Proposition n°5 : Evaluer les différents dispositifs d’allègement de cotisations sociales (zones franches d’activité, exonérations de charges, aides au fret…) au regard des créations d’emplois pour en renforcer l’efficacit |
Si les activités « modernes » à forte valeur ajoutée doivent être encouragées, des secteurs moins « en vue » à Bruxelles comme l’économie sociale et solidaire, avec par exemple la mise en œuvre d’un véritable plan de prise en charge des personnes âgées qui sont de plus en plus nombreuses outre-mer, présentent aussi un potentiel de création d’emplois très intéressant.
Proposition n°6 : Développer un plan de développement de l’économie sociale et solidaire (prise en charge des personnes âgées, de la petite enfance, des personnes handicapées…) |
Enfin, s’agissant des mesures en faveur du pouvoir d’achat, l’effort de transparence sur les prix engagé par le Gouvernement (création d’observatoires des prix locaux notamment) ne doit pas faire illusion et ne peut être considéré comme suffisant : une action volontariste, en termes d’évaluation des marges et d’analyse des rentes de situation indues (plus approfondie et plus opérationnelle que celle conduite dans le secteur des carburants) dans les principaux
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secteurs de la distribution doit sans doute être entreprise et les moyens de contrôle de l’État doivent être considérablement renforcés localement.
Proposition n°7 : Agir sur les prix outre-mer en renforçant les moyens de contrôle de l’Etat, en encadrant plus fortement les marges et rentes de situation de certains secteurs et en interdisant certaines pratiques faussant la concurrence |
Les effets vertueux sur l’emploi d’une nouvelle politique économique en faveur des outre- mers n’étant évidemment pas immédiats, il conviendra de mettre en place un volume suffisant d’emplois aidés afin d’assurer une transition et de maintenir la cohésion sociale en attendant un développement significatif de l’emploi marchand.
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PARTIE II
Développer des approches spécifiques et
Valorisantes en matière d’environnement, de
Biodiversité, d’énergies et de risques naturels
Beaucoup a été dit et écrit sur les problématiques relatives à l’environnement outre-mer, mais beaucoup reste à faire et pour l’ensemble des domaines (biodiversité, risques, énergie). La loi portant engagement national pour l’environnement, outre-mer comme dans l’Hexagone, a fait naître beaucoup d’espoirs : il convient de veiller à son application.
Le Grenelle de l’environnement a permis un travail collégial3 sur l’environnement, un comité opérationnel de l’outre-mer (COMPO 27) a travaillé sur différentes thématiques : Energie, Déchets, Risques naturels, Biodiversité, Activités extractives, Eaux-pollution- santé. La loi Grenelle 2 (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement) est, pour ce qui concerne l’outre-mer, en partie, le fruit de cette réflexion. Le rapport d’évaluation du Grenelle de l’environnement (octobre 2010, Ernst&Young) fait état de 257 articles de la loi « Grenelle 2 » devant être précisés par 200 décrets d’application dont il faudra régulièrement surveiller la parution pour que la loi trouve sa traduction concrète.
En attendant, les premières mesures concrètes ayant un impact sur l’environnement ultramarin prises par le Gouvernement ont consisté à démanteler le dispositif de soutien à la filière photovoltaïque qui, en milieu insulaire plus qu’ailleurs, constituait une filière vertueuse.
Dans ce domaine également, il s’agira d’appréhender différemment les outre-mers en considérant que leurs richesses environnementales représentent pour la France et l’Europe des opportunités.
La géographie, les populations, la démographie, l’environnement régional et les statuts juridiques des outre-mers étant d’une grande diversité, les orientations en matière d’environnement, de développement durable, d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation devront être adaptées à chaque situation.
3 Ce travail collégial, n’est pas une innovation comme il a été dit. Depuis sa création en 1999, l’initiative française sur les récifs coralliens (IFRECOR) fonctionne en effet sur un mode collégial.
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1.
La protection de la biodiversité, un enjeu particulieren outre-mer
2010 « année de la biodiversité » a permis de prendre conscience de ce que représentait la biodiversité. Mais il est surtout apparu que la diversité naturelle exceptionnelle de notre pays se situe, pour l’essentiel, dans les outre-mers, d’où un intérêt plus marqué pour ces collectivités en termes d’affichage et de communication. C’est un point positif.
Plus de 98% des espèces endémiques de vertébrés et 96 % des espèces endémiques de plantes vasculaires de France sont concentrés dans les outre-mers, sur 22 % de la surface de la France4.
Il y a par exemple 26 fois plus d’espèces endémiques de plantes vasculaires, 60 fois plus d’espèces endémiques d’oiseaux dans les outre-mers que dans l’hexagone. Les écosystèmes naturels des outre-mers font partie des « points chauds » de la biodiversité et sont considérés comme les zones les plus riches mais aussi les plus menacées de la planète.
1.1. LA NECESSITE DE DEVELOPPER ET DE PARTAGER LA CONNAISSANCE POUR ASSURER LA PROTECTION DE LA BIODIVERSITE DES OUTRE-MERS
Les outre-mers sont un terrain exceptionnel pour concevoir et réaliser une exploitation raisonnée des ressources naturelles, pour équilibrer observation et expérimentation, zones protégées et zones exploitées et pour comprendre l’origine des changements et pertes de biodiversité. Cependant, les projets de recherche sur la biodiversité des outre-mers sont encore faibles.
L’effectif total des chercheurs et enseignants-chercheurs outre-mer est de 2000, soit 1,65% de l’effectif national total estimé à 121000. La fondation pour la recherche sur la biodiversité a recensé les projets concernant les outre-mers dans son appel à projets de 2009 : ils représentent 57 des 418 projets soumis soit 13,6 % et 8 des 53 projets retenus soit 15,1 %.
4 L’outre-mer représente, hors Terre Adélie, 22% du territoire de la France. ZEE de la France : 10 637 480 km2 dont ZEE outre-mer : 10 176 480 km2 ; ZEE métropole : 349 000km2 ; ZEE Terre Adélie : 112 000 km2. Source : Tous les territoires français www.world-territories.com
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Les travaux de la STRATOM5 ont mis en évidence la nécessité de développer outre-mer des programmes de recherche multidisciplinaires (ex : grand observatoire du Pacifique Sud (GOPS)6, IRSITA7 en Guyane, GDRI récifs coralliens) qui incluent les aspects sociologiques et économiques.
Ultramarins et scientifiques demandent par exemple que soit poursuivi le soutien spécifique de l’ANR aux appels d’offres d’ERANET Net Biome dont l’objectif est « de coordonner les politiques publiques de recherche en gestion de la biodiversité tropicale et subtropicale dans les outre-mers européens en appui au développement durable ».
Proposition n°8 : Soutenir les programmes de recherche en gestion de la biodiversité dans les outre-mers européens |
Pour prévoir, dans chaque collectivité, l’adaptation au changement climatique, la gestion de l’eau et de la sécurité alimentaire, la gestion des ressources naturelles, il est nécessaire de réaliser des recherches permettant de prévoir l’évolution des changements et leur impact ainsi que d’étudier la dynamique de la biodiversité. Ces études sont encore très modestes.
Les inventaires ou compléments d’inventaires de biodiversité doivent être poursuivis dans l’ensemble des collectivités d’outre-mer. Le Muséum est leader dans ce domaine et prévoit, en partenariat avec les collectivités d’outre-mer, les organismes de recherche et les universités locales, de grands inventaires de biodiversité terrestre et marine, avec participation et formation des populations locales aux méthodes d’inventaires puis restitution des données et connaissances auprès des institutions locales. Sont en prévision des inventaires en Nouvelle-Calédonie (2013) puis en Guyane, dont les financements restent toutefois à trouver.
Chaque collectivité d’outre-mer devrait, dans les 10 prochaines années, pouvoir présenter une carte complète de la connaissance de ses écosystèmes et de sa biodiversité.
5 Stratégie de la recherche outre-mer à paraître (2011). Travail collectif piloté par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
6 Le GOPS regroupe notamment l’IRD, l’Université Pierre et Marie Curie, l’Université de La Nouvelle- Calédonie, l’Université de Polynésie Française, l’Université de Perpignan, l’Ifremer, l’EPHE, le CNRS (INSU et INEE), le MNHN, l’Institut Louis Malardé, l’Institut Agronomique Calédonien, Météo-France. Il a pour vocation de coordonner et assurer la cohérence des systèmes et réseaux locaux d’observation, des plates-formes et des stations marines de la région du Pacifique Sud afin de structurer les observations pour la recherche en environnement ; soutenir l’activité des équipes de recherche autour de programmes communs, soutenir l’action des universités de Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie par la mise en place de masters dans le Pacifique Sud ; de conseiller les pouvoirs publics, s’ouvrir à la coopération régionale et internationale avec les autres universités et institutions de recherche de la région.
7 Le GIS IRISTA regroupe l’ensemble des acteurs de la recherche en Guyane : AGROPARISTECH, le BRGM, le CIRAD, le CNES, le CNRS, l’IFREMER, l’INRAP, l’Institut Pasteur, l’IRD, le MNHN, l’ONCFS, l’ONF, le PAG, le PUG et l’UAG soit 15 membres représentant les acteurs de l’enseignement supérieur, de la recherche et les gestionnaires. Le GIS IRISTA a succédé en 2008 au GIS SILVOLAB qui regroupait essentiellement les acteurs de la recherche sur le thème de la « forêt ». IRISTA s’inscrit dans l’interdisciplinarité et s’est ouvert à l’ensemble des thématiques prioritaires du territoire (Biodiversité – Territoire – Santé – SHS).
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Les domaines suivants méritent un approfondissement particulier :
– le potentiel thérapeutique de la biodiversité : la biodiversité ultramarine est un réservoir potentiel de molécules à intérêt thérapeutique. Il est donc indispensable de connaître ce potentiel et de le valoriser en veillant à assurer ainsi des retombées économiques pour les collectivités concernées avec un système d’Accès et Partage des Avantages (APA)8 adaptés aux collectivités d’outre-mer ;
– les techniques agricoles écologiques pour protéger la biodiversité : les collectivités d’outre-mer souhaitent naturellement augmenter leur autonomie alimentaire. Pour développer le secteur agricole en minimisant l’impact sur la biodiversité, il est urgent de développer les techniques d’agriculture écologiquement intensive. Ces méthodes ont, en effet, moins d’impact sur la biodiversité voisine des sites cultivés que celles utilisant les engrais chimiques (exemple de la chlordécone 9) ;
– les maladies émergentes pour l’agriculture et l’élevage : toujours dans le domaine agricole, il faut également étudier les maladies émergentes notamment celles des plantes cultivées (pour maintenir la production) et des animaux d’élevage (à la fois pour la production et pour les risques de transmission d’animal à homme) ;
Proposition n°9 : Achever l’inventaire de la biodiversité dans tous les outre-mers, toutes les collectivités devant disposer de leurs inventaires respectifs |
Proposition n°10 : Mettre l’accent, dans l’inventaire de la biodiversité, sur les potentiels thérapeutiques, sur les techniques agricoles écologiques et sur les maladies émergentes |
Une connaissance à gérer
Comme cela avait été demandé lors du Grenelle de l’environnement outre-mer, il est indispensable de développer des programmes éducatifs relatifs à la connaissance et à la gestion de l’environnement, en particulier celles de la biodiversité, spécifiques aux outre- mers (de l’enseignement primaire à l’enseignement supérieur). Pour cela une étroite collaboration entre collectivités d’outre-mer, organismes scientifiques et éducatifs doit se concrétiser pour :
– établir des formations et/ou des mises à niveau des connaissances relatives à la gestion de l’environnement pour les cabinets d’études, les ingénieurs du bâtiment et architectes ;
8 L’accès et partage des avantages adapté à l’outre-mer est en cours d’étude. En 2009, le ministère de l’écologie a commandé à la FRB une étude sur « la pertinence et la faisabilité juridiques et institutionnelles d’un dispositif d’accès et de partage des avantages (APA) en outre-mer, portant sur les ressources génétiques et les connaissances traditionnelles associées.
9 En Guadeloupe et Martinique, pour lutter contre le charançon du bananier Cosmopolites sordidus, des insecticides organochlorés ont été apportés en abondance (dieldrine et hexachlorocyclohexane (HCH) jusque dans les années 60-70. La chlordécone a contaminé les sols pour longtemps et a également contaminé les crustacés, poissons, oiseaux et mammifères (travaux de l’INRA en 1979 -1980).
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– réaliser des campagnes d’information des populations sur la protection-gestion de la diversité naturelle couplées à des campagnes de surveillance. Pour cela le Réseau Outre- mer Première doit être sollicité ainsi que la presse écrite locale ;
– faciliter la constitution et l’accès aux bases de données relatives à la biodiversité aux acteurs de l’environnement outre-mer et renforcer la lisibilité des outre-mers dans l’Inventaire National du Patrimoine Naturel (INPN).
Proposition n°11 : Développer des programmes éducatifs relatifs à la connaissance et à la gestion de l’environnement, en particulier celles de la biodiversité, spécifiques aux outre- mers (de l’enseignement primaire à l’enseignement supérieur) |
–
1.2 DES ACTEURS A COORDONNER PLUS EFFICACEMENT
La production et le partage des connaissances doivent permettre la gestion durable des ressources renouvelables et le ralentissement de l’érosion de la biodiversité dans chaque collectivité d’outre-mer.
Pour une mise en œuvre et un suivi efficaces, il est indispensable de favoriser :
– une meilleure coordination interministérielle : l’inter-ministérialité est insuffisamment exercée au plan local par les Délégations Régionales de la Recherche et de la Technologie (DRRT) dont les moyens sont limités ;
– de meilleurs échanges entre les services de l’Etat et ceux des régions ultra-marines
– une meilleure information des collectivités d’outre-mer sur la création dans l’Hexagone d’alliances entre organismes de recherches (ex. de l’alliance nationale de la recherche pour l’environnement AllEnvi qui a pour ambition de contribuer à faire de la France l’un des acteurs de référence des sciences et technologies de l’environnement et de l’alimentation au sein de l’espace européen de la recherche et qui n’est pas ou est peu connue outre-mer) ;
– une meilleure information des bâtisseurs sur l’enjeu et la connaissance de la biodiversité et le développement de la démarche HQE (Haute Qualité Environnementale) en ajoutant une 15ème cible « biodiversité » prenant en compte notamment, l’inventaire en amont et la restauration de la diversité naturelle d’un site à bâtir.
Proposition n°12 : Assurer, pour le développement de la connaissance de la biodiversité et son partage, une meilleure coordination au sein de l’Etat, entre l’Etat et les régions d’outre- mer, mais aussi avec des alliances entre organismes de recherches |
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1.3 LE CAS PARTICULIER DES RECIFS CORALIENS OU LA NECESSITE DE MENER DES POLITIQUES ADAPTEES EN MATIERE DE BIODIVERSITE
Les récifs coralliens, des écosystèmes indispensables aux populations riveraines, mais fragilisés par l’activité humaine.
Les récifs coralliens sont des lieux de biodiversité dont les maçons sont les coraux ou Scléractiniaires (animaux à squelette calcaire externe)10. Ils abritent une vie foisonnante : on estime à plus d’un million le nombre d’espèces de végétaux et animaux vivant dans les récifs, dont environ 4000 espèces de poissons et environ 600 espèces de coraux. Ils se répartissent dans la zone intertropicale entre les latitudes 30° Nord et 30° Sud. L’estimation des surfaces des récifs est très variable selon la méthode employée 11.
Le World Atlas of Coral Reefs, estime que la superficie des récifs coralliens12 dans le monde (technique aérienne) est de 284 300 km2, soit à peine plus de la moitié de la France métropolitaine (surface de moins de 0,1 % des océans). En comptant la superficie des lagons cette estimation passe à plus d’1 million de km2.
Ce patrimoine naturel présente un potentiel économique et une source de subsistance à plus de un demi-milliard d’individus, soit à peu près la population de l’Europe, près de dix fois celle de la France et 8% de la population mondiale, répartis sur la centaine de pays bordés par des récifs coralliens.
Les récifs coralliens offrent un large éventail de « services » aux populations :
– la protection des littoraux contre les agressions de l’océan, ce service essentiel a été estimé
à entre 55 et 1.100 US$ par hectare et par an en Asie du Sud-Est13 ;
– une source de nourriture pour les populations : un récif sain peut produire quinze tonnes de poissons et de fruits de mer par km2 et par an ;
10 Le corail est un animal de l’embranchement des Cnidaires qui s’est allié au végétal pour construire le minéral de son squelette calcaire. Les coraux récifaux vivent en effet en symbiose avec des micro-algues, les zooxanthelles. Situées dans la chair du corail, les algues réalisent la photosynthèse. L’algue utilise l’énergie solaire pour la transformer en énergie chimique. Les produits de la photosynthèse sont des « sucres » utilisés par le corail. En échange, le corail fournit aux algues une sorte « d’engrais » grâce à ses déchets organiques. Lorsqu’un corail est soumis à un « stress » (eau trop chaude, ultraviolets violents, pollution) les zooxanthelles sortent. C’est un phénomène de blanchissement. La chair du corail devient blanche et l’animal peut mourir si le stress est trop long et s’il n’est pas de nouveau réinvesti par de nouvelles zooxanthelles.
11 D’abord mesurées à partir des cartes hydrographiques de navigation des navires de guerres ou de commerces ces surfaces étaient surestimées. Les techniques aériennes satellitaires sous-estiment les surfaces de récifs car elles ne peuvent pas encore estimer les surfaces situées à des profondeurs supérieures à un mètre.
12 Superficie stricto sensu selon Spalding MD, RAVILIOUS C, GREEN EP (2001) World Atlas of Coral Reefs. University of California Press, Berkeley, Etats-Unis
13 BURKE, L., SELIG, L. et SPALDING, M. (2002) Reefs at Risk in Southeast Asia. PNUE-WCMC, Cambridge, Royaume-Uni
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– une source de revenus par les produits de la pêche et du tourisme. Les loisirs sur les récifs ont été estimés 184 US$ par visite dans le monde entier et à 1.654 US$ par hectare et par an dans les Caraïbes14 ;
– une source de nouvelles molécules pour la recherche médicale.
Or ces écosystèmes sont dégradés en raison de pressions naturelles et anthropiques. Les causes naturelles de destruction des récifs sont dues aux cyclones, au réchauffement de la température de l’eau de mer et à son acidification (phénomène connu depuis moins de dix ans et en cours d’études), aux Acanthasters planci, étoiles de mer prédateurs de coraux.
L’Asie du Sud-Est a fait la dramatique expérience en décembre 2004 de l’action dévastatrice d’un tsunami. La manifestation d’El Niño, de 1998, phénomène climatique périodique propre au Pacifique, a entraîné une augmentation anormale de la température des eaux tropicales. De l’Afrique au Pacifique, les récifs coralliens ont été affectés, soumis au blanchissement suivi de l’envahissement par les algues, ennemies des coraux. Si 6,4 % de ces récifs ont récupérés ou sont en cours de récupération, les récifs déjà dégradés par l’apport de sédiments et la pollution ont été détruits.
Les activités humaines restent cependant les premières causes de dégradation des récifs, notamment en raison de l’augmentation vertigineuse de la population, de la pollution des eaux, de la surexploitation des ressources côtières, de l’aménagement du littoral, de l’exploitation minière et des méthodes de pêche destructrices.
Les émissions de gaz à effet de serres liées à l’activité humaine, précipitant le changement climatique et notamment l’acidification des océans, il est à craindre que les récifs coralliens n’aient ni le temps, ni la capacité de s’adapter à ces changements. Une élévation de 3°C de la température entraînerait la perte des écosystèmes coralliens.
Ces activités, lorsqu’elles sont conjuguées, se révèlent dévastatrices et irréversibles. Il est maintenant établi que 20% des récifs mondiaux ont été détruits et qu’ils ne montrent aucun signe de récupération. Les dégâts les plus sévères ont été observés dans le Golfe persique où 65 % des coraux ont disparu, suivi par l’Asie du Sud-Est et du Sud avec des taux de destruction respectivement de 38 et 45 %. De récentes observations ont également indiqué que les Caraïbes ont perdu 80 % de leurs coraux. Il est rappelé qu’un récif dégradé met entre 15 et 20 ans pour se reconstruire15.
La France, quatrième pays au monde pour ses récifs coralliens, situés outre-mer
L’Indonésie (222 millions d’habitants), suivie de l’Australie (20,5 millions d’habitants) et des Philippines (90 millions d’habitants), sont les pays qui possèdent le plus de récifs coralliens au
14 Source : http://ec.europa.eu/environment/nature/biodiversity/economics/pdf ; BRANDER et al. 2007, CHONG et al. 2003, 15 JOANNOT P., 2008. Nouvelle-Calédonie Terre de corail, Paris, Éditions Maison de la Nouvelle- Calédonie/Solaris, 123 p.
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sens strict. La France, grâce aux collectivités d’outre-mer (environ 2,5 millions d’habitants) se place en 4ème position avec 10 % des récifs mondiaux ce qui lui confère une importante responsabilité en matière de gestion et de valorisation de ces écosystèmes.
L’ensemble des collectivités d’outre-mer présentent une superficie de récifs et lagons16 de 57 557 km2, soit en moyenne le double des surfaces des terres émergées qu’ils entourent et 5000 km linéaires de récifs coralliens, alors que la grande barrière de corail d’Australie est de 2500 km. S’étendant sur plus de 1600 km, les récifs de Nouvelle-Calédonie constituent la deuxième plus grande barrière récifale du monde après la grande barrière d’Australie. La Nouvelle-Calédonie et Mayotte présentent des doubles récifs barrières, phénomène rare car il en existe moins de dix au monde.
Un état de santé inégal17
Les récifs coralliens de l’outre-mer sont soumis aux mêmes pressions que les autres récifs de la planète avec quelques particularités à souligner :
– aux Antilles, la pression démographique est l’un des principaux facteurs de perturbations des récifs coralliens, ainsi que la surexploitation des ressources marines: poissons, langoustes, lambis (Strombus gigas), oursins blancs (Tripneustes esculentus) ;
– à Mayotte, le lagon connaît un envasement croissant et il est estimé que 36 % des récifs frangeants sont dégradés ou morts ;
– à La Réunion, la surfréquentation du récif et les pollutions domestiques et terrigènes sont des menaces pour ce petit récif de 25 km
– dans les Iles Eparses, on note du braconnage et de la pêche illégale dans les eaux territoriales ;
– en Nouvelle-Calédonie, le principal facteur de destruction des écosystèmes coralliens est l’hypersédimentation liée à la mise à nu des sols latéritiques par l’exploitation minière et par les « feux de brousse » encore nombreux :
– à Wallis et Futuna, les extractions de matériaux coralliens sont la principale cause de destruction des récifs frangeants avec les effluents domestiques et d’élevage déversés dans le lagon. Il n’existe pas encore de réseau d’assainissement ;
– en Polynésie française, le récif frangeant à proximité de Papeete (Tahiti) est le plus touché. Les remblais pour gagner du terrain sont destructeurs. Si l’activité de dragage des récifs pour l’extraction de soupe de corail a diminué, elle existe encore notamment dans les Iles
16 ANDREFOUËT et al, 2008. Atlas des récifs de France outre-mer, IRD)
17 JOANNOT P., 2006. Les récifs coralliens de l’outre-mer français, Conférence session Régionale IHEDN
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Sous-le-Vent. Il existe une activité récente d’exploitation et d’exportation de corail vivant (le corail est protégé par la convention de Washington, Cites II) qui est à surveiller.
Globalement, il est possible d’estimer que l’état de santé des récifs coralliens est critique aux Antilles où 80% des récifs sont dégradés, moyen à Mayotte et à La Réunion, plutôt bon dans les Iles Eparses et dans les collectivités du Pacifique. Cependant, tous les récifs coralliens situés à proximité de zones urbaines sont dégradés, en raison des pollutions urbaines, du traitement des eaux usées insuffisant.
Des mesures en faveur des récifs coralliens à renforcer
Il est indispensable de renforcer les équipes françaises travaillant sur la connaissance et l’évolution des récifs coralliens et écosystèmes associées (mangroves et herbiers).
Pour préserver chaque écosystème corallien, il faut aussi poursuivre les inventaires des récifs et prendre, dans chaque collectivité d’outre-mer, les mesures suivantes, avec une urgence variable selon la collectivité :
– créer ou améliorer le réseau d’assainissement des eaux usées ;
– gérer et traiter les déchets ;
– renforcer les mesures de surveillance des pêches, d’extraction de matières premières et de fréquentation des aires protégées ;
– lutter contre le braconnage des espèces protégées (notamment les œufs de tortues marines) ; – éduquer, former, communiquer.
Les mesures pour la protection des récifs coralliens sont prévues par les différents programmes des initiatives internationales ou nationales en faveur des récifs coralliens et écosystèmes associés. Il s’agit de les faire respecter.
L’Initiative Française pour les Récifs Coralliens, IFRECOR, est une organisation collégiale créée en 1999 par décret du Premier ministre. Son objectif est d’aider non seulement à préserver la diversité naturelle de ces milieux mais aussi à améliorer la qualité de vie des populations du littoral tout en leur permettant de jouer un rôle actif dans la gestion de leurs ressources. Elle a encore pour objectif d’améliorer l’économie locale.
Proposition n°13 : Renforcer les mesures de protection en faveur des récifs coralliens français et soutenir les politiques favorables à cette protection (politique d’assainissement, gestion des déchets, contrôle de la pêche…) |
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2.
Prévenir les risques naturels
Les outre-mers français connaissent de très nombreux risques naturels, qui appellent des mesures de prévention particulières. Une politique cohérente en la matière peut constituer un savoir-faire spécifique pour notre pays.
Cyclones, éruptions volcaniques, séismes, tsunamis, crues torrentielles, inondations, glissements de terrain, sécheresses, montée du niveau de la mer, les outre-mers sont concernés par tous les types de risques.
Les ultra-marins connaissent bien les risques naturels qu’ils subissent et y sont sensibilisés. Dans le domaine du risque sismique, le plan séisme aux Antilles, doit être poursuivi et surtout renforcé.
Proposition n°14 : Mettre véritablement en œuvre le plan séisme aux Antilles. |
La fréquence des cyclones et leurs conséquences semble s’accroître, le risque de l’augmentation du niveau de la mer n’est pas une vue de l’esprit et certaines îles, notamment dans le Pacifique, commencent à y être confrontées ce qui crée des problèmes sociaux face à l’exode des populations du bord de mer.
Outre-mer, la cartographie des zones à risques du littoral doit être affinée et cet effet du changement climatique doit être pris en compte dans le schéma de planification et d’aménagement du territoire. Un plan « élévation du niveau de la mer » est à élaborer, pour réduire la vulnérabilité des populations mais aussi contraindre les bâtisseurs (promoteurs et architectes) à tenir compte de ce paramètre.
Proposition n°15 : Elaborer un plan consacré au risque d’élévation du niveau de la mer pour tous les littoraux des outre-mers |
Compte tenu de la croissance démographique dans les collectivités d’outre-mer, la gestion des risques naturels doit être de plus en plus performante avec la mise en place de moyens d’observations et de rechercheet l’acquisition par les collectivités d’outre-mer d’une véritable capacité de prévention, d’alerte et de surveillance des divers risques naturels.
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Développer les énergies renouvelables outre-mer
Si, à bien des égards, la notion d’outre-mer comme ensemble de territoires certes éloignés mais confrontés à des problématiques similaires peut être contestée, il est un sujet, celui de l’énergie, où à la fois les similarités entre les territoires et leur différence par rapport à la problématique de l’Hhexagone doivent conduire sinon à des politiques coordonnées, ancrées aux réalités locales, a minima à des réflexions communes impliquant les acteurs territoriaux.
Cependant, la politique énergétique conduite outre-mer manque de cohérence depuis le début des années 2000, en ce qui concerne à la fois ses principes mêmes et ses modalités d’application. A l’évidence, une plus forte implication des acteurs locaux, l’adaptation des objectifs aux spécificités de chaque territoire et le renforcement des moyens sont autant de pistes à explorer pour permettre la véritable transition énergétique des outre-mers.
3.1. DES SPECIFICITES ULTRAMARINES QUI PLAIDENT POUR UNE POLITIQUE ENERGETIQUE AMBITIEUSE ET COHERENTE
Par rapport à l’Hexagone, les outre-mers, à l’exception notable de Saint-Pierre-et-Miquelon, sont confrontés à quatre problématiques communes :
– Une dépendance énergétique exacerbée : contrairement à ce que le bon sens pourrait laisser penser, disposer de ressources locales et ne pas avoir besoin de se chauffer n’exonère pas du recours aux produits pétroliers. En l’espèce, l’analyse du bilan énergétique des collectivités d’outre-mer montre leur extrême dépendance aux importations de produits fossiles (fuel et charbon essentiellement) : la Martinique importe la quasi-totalité des produits énergétiques, tandis qu’à La Réunion, souvent montrée en exemple, la situation n’est guère meilleure. De ce constat découle une première conséquence en matière économique : le poids de la facture énergétique et la plus forte exposition des économies ultramarines aux variations de prix ;
– Des territoires vulnérables : à la vulnérabilité économique s’ajoute la vulnérabilité environnementale et climatique. Les caractéristiques géographiques des territoires ultramarins (territoires insulaires pour la plupart situés dans la zone intertropicale) les exposent de façon singulière à certains effets attendus du réchauffement climatique, en particulier l’augmentation de la fréquence des phénomènes climatiques extrêmes comme la variation de la pluviométrie ou encore de la température, alors même que leur capacité de résilience et d’adaptation est amoindrie par leur faible taille ;
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– Des besoins croissants et mal maîtrisés : le développement économique et social des collectivités d’ outre-mer a eu pour conséquence l’ augmentation rapide des consommations d’énergie et tout particulièrement celles d’électricité. Ainsi, depuis 1990, le taux de croissance annuel moyen de la consommation d’électricité a été de 5 % dans les départements d’outre-mer (hors Mayotte) contre 1,5 % dans l’Hexagone ;
– Des potentiels considérables, tant en matière de maîtrise de l’énergie que de développement des énergies renouvelables : si chaque territoire dispose de ressources spécifiques, une caractéristique commune est la diversité des ressources exploitables et l’ampleur des gisements pour la valorisation thermique et électrique voire pour la production de biocarburants.
3.2. DES POLITIQUES ENERGETIQUES PEU COHERENTES ET DE COURT TERME
La politique énergétique outre-mer a véritablement vu le jour au début des années 2000, à la faveur notamment de la loi du 10 février 2000 réorganisant le système électrique français : l’ouverture à la concurrence et la séparation des activités de production, de transport et de distribution ont incité le législateur à créer un cadre spécifique aux départements d’outre- mer, principalement pour ce qui concerne la compensation des surcoûts de production d’électricité et la gestion du système électrique.
D’autres dispositions ont, par la suite, été prises qui marquent indéniablement une volonté de prendre en compte les spécificités des outre-mers et rompent avec la situation antérieure dans laquelle la question de l’énergie était traitée d’un point de vue strictement technique, l’objectif étant de garantir l’approvisionnement énergétique au détriment des considérations environnementales, économiques et sociales.
La loi Grenelle I est emblématique de ce changement de regard. Dans son article 56, elle prévoit ainsi que « les départements et les régions d’outre-mer, les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et la Nouvelle-Calédonie sont appelés à jouer un rôle essentiel dans la politique de la Nation en faveur du développement durable et de l’écodéveloppement, au sein de leurs différentes aires géographiques ; la politique de l’Etat y placera au premier rang de ses priorités leur développement durable, en prenant en compte leurs spécificités sociétales, environnementales, énergétiques et économiques ».
A cette déclaration d’intention s’ajoutent des objectifs précis, pour certains chiffrés, illustrant la volonté de distinguer l’Hexagone de l’outre-mer et surtout d’afficher une ambition propre à ces territoires.
Cependant, si l’intention est louable, force est de constater que tant, sur leurs principes que dans leurs modalités, les politiques énergétiques dans les territoires ultramarins ne permettent pas d’envisager leur développement durable.
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Des objectifs peu réalistes
L’article 56 de la loi Grenelle I fixe aux territoires ultramarins des objectifs très ambitieux : il s’agit de parvenir à l’autonomie énergétique avec pour point de passage l’année 2020, où les énergies renouvelables devront représenter 30 % des consommations d’énergie finale. Ces objectifs illustrent à l’évidence une méconnaissance des territoires ultramarins, de leur situation énergétique et de leur dynamique économique et sociale.
D’une part, on observe que les objectifs de la loi Grenelle I sont plus ambitieux pour les outre-mers que pour l’Hexagone alors que ces territoires partent de plus loin. Pour la plupart d’entre eux, le taux de dépendance énergétique avoisine les 100 % et l’on voit mal comment, en l’espace d’une décennie, l’on parviendrait à dépasser de 10 points l’objectif européen du paquet «énergie climat» et comment en l’espace de vingt ans l’on s’affranchirait de toute ressource énergétique importée.
D’autre part, il convient de souligner que ces objectifs ne prennent à l’évidence pas en compte les dynamiques spécifiques à chaque collectivité d’outre-mer qui se traduisent par une croissance plus soutenue des consommations d’énergie que dans l’Hexagone. Là encore, on voit mal comment infléchir en un délai si court une tendance aussi lourde et ayant des causes aussi profondes que les évolutions démographiques ou le développement économique.
Ainsi, la prise en compte de l’outre-mer dans la politique énergétique a connu une évolution originale et pour le moins inattendue : alors qu’historiquement ces territoires ont été objectivement négligés, ils sont devenus en l’espace d’une décennie des sortes « d’étendards » auxquels on fixe des objectifs plus ambitieux que pour l’Hexagone.
Une mise en œuvre incohérente
Si la loi Grenelle I fixe des objectifs à moyen-long terme en matière de mix énergétique, la Programmation Pluriannuelle des Investissements (PPI) définit, pour une période de dix ans et pour chaque collectivité ultra-marine, les besoins de puissance électrique. La PPI constitue un cadre sécurisé dans lequel les opérateurs électriques peuvent engager des investissements de production, la production électrique issue de moyens inscrits à la PPI bénéficiant d’une obligation d’achat. Si la PPI répond à l’objectif fixé par la loi du 10 février 2000, elle contredit les objectifs fixés dans la loi Grenelle I : en effet, puisque la quasi-totalité des nouveaux besoins de production sont aujourd’hui thermiques, leur réalisation obère, par effet d’éviction et pour une longue durée, le développement des énergies renouvelables.
On perçoit donc une incohérence manifeste et majeure de la politique énergétique dans les outre-mers : d’un côté, on définit des objectifs très (trop ?) ambitieux, visant à faire de ces territoires des exemples en matière de développement durable ; de l’autre, on interdit de fait non seulement la réalisation effective de ces objectifs, mais même la bonne orientation des systèmes énergétiques.
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Au final, plusieurs « failles » apparaissent dans la politique énergétique dans les outre- mers: non seulement les objectifs stratégiques sont élaborés à partir d’une vision « souhaitée » plus que « réelle » de ces territoires mais également à aucun moment ne sont conciliées et consolidées les orientations stratégiques et les modalités opérationnelles de la politique énergétique.
Au-delà des questions de valorisation de telle ou telle ressource, souvent mises en avant dès lors qu’il s’agit d’énergie dans les outre-mers, ce sont ces failles qu’il convient désormais de résorber.
3.3 QUELQUES PISTES POUR L’AVENIR
En matière de gouvernance, compter enfin avec les acteurs locaux
L’inadaptation des principes et des modalités de la politique énergétique dans les départements d’outre-mer relève en grande partie de l’absence des acteurs locaux dans son processus d’élaboration. Certes, certaines dispositions législatives confèrent quelques compétences spécifiques en matière d’énergie mais elles ne sont assorties d’aucuns moyens particuliers, qu’ils soient juridiques, financiers ou même techniques. L’exemple de la programmation pluri-annuelle des investissements est à ce titre symptomatique : élaborée à partir du bilan prévisionnel des investissements réalisé par le gestionnaire du réseau électrique, elle n’intègre en aucune manière les préoccupations et orientations des collectivités d’outre-mer.
La plus grande participation des collectivités à la définition et à la mise en œuvre de la politique énergétique outre-mer est une condition essentielle de leur adaptation et de leur acceptabilité. Pour être effective et efficace, cette participation doit s’appuyer sur :
– une évolution du cadre législatif et réglementaire ;
– un partage des informations entre le gestionnaire du système électrique, les services de l’Etat et les collectivités de façon à permettre le véritable exercice de ces nouvelles compétences.
La politique, menée depuis deux ans en Guadeloupe, grâce à une habilitation accordée par le Parlement (conformément aux dispositions de l’article 73 de la Constitution) et qui permet au conseil régional d’intervenir dans les domaines de la loi et du règlement en matière d’énergie constitue un exemple intéressant de ce qui peut être fait. La région Martinique a obtenu une habilitation identique et la Guyane devrait engager une démarche analogue.
Proposition n°16 : Bâtir une politique cohérente des énergies renouvelables dans les outre- mers, avec les collectivités territoriales |
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Fixer des objectifs réalistes
Les objectifs en matière de développement des énergies renouvelables, pour être réalistes, doivent être adaptés territoire par territoire. Par ailleurs, ils doivent surtout s’imposer aux documents de planification, dont la PPI.
Elargir, rationaliser et consolider les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables et à la maîtrise de l’énergie
La Contribution au Service Public de l’Electricité (CSPE) est aujourd’hui menacée en raison de l’explosion des charges à compenser (augmentation du coût des combustibles, obligation d’achat…). Il faut donc apporter des garanties à sa pérennité.
On peut par ailleurs envisager d’étendre les coûts compensables aux dépenses de maîtrise de l’énergie engagées par les départements d’outre-mer dès lors que celles-ci sont d’un montant inférieur aux coûts évités.
Il est également important que les collectivités d’outre-mer se dotent de compétences techniques renforcées, éventuellement financées par la CSPE afin de leur permettre d’exercer pleinement leurs compétences.
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PARTIE III
Retrouver le chemin de la cohésion sociale
Outre-mer
La départementalisation en 1946 a marqué l’égalité civique entre les DOM et l’Hexagone mais il a fallu près de cinquante ans pour que les habitants de DOM obtiennent l’égalité sociale (prestation sociales, RMI, SMIC…).
Cette égalité sociale n’est pas discutable s’agissant de départements français ayant choisi de relever du droit commun. Malgré cela, le Gouvernement a tenté de la remettre en cause en remplaçant, outre-mer, le RSA par le RSTA, beaucoup moins avantageux pour les bénéficiaires et beaucoup moins coûteux pour la collectivité. Heureusement les protestations locales ont forcé le Gouvernement à revenir sur cette situation mais cette tentative illustre bien les risques que fait courir aux outre-mers la doctrine de développement endogène.
Aujourd’hui, le traitement des questions sociales outre-mer fait ressortir deux constantes qui doivent interpeller l’Etat et qui rendent sa mission plus difficile :
– la quête d’égalité réelle, en particulier dans les DOM, qui transcende l’égalité formelle en droit : au-delà de l’égalité civique et sociale, c’est à un rattrapage économique qu’il faut s’atteler ;
– la persistance de revendications sociales qui s’expriment souvent sur le mode de la confrontation et de la conflictualité nécessite un traitement approprié.
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1.
Les outre-mers en quête d’égalité réelle
1.1. DANS LES DOM UNE EGALITE DES DROITS DU CITOYEN OBTENUE AVEC LA LOI DE DEPERTEMETALISATION DE 1946
Les avancées politiques et sociales outre-mer ont été arrachées à une métropole qui a toujours trouvé des raisons pour en différer les effets concrets.
Ainsi, l’abolition de l’esclavage, proclamée en 1848, n’a pas mis fin immédiatement aux dérives coloniales, perpétuées, dans certaines colonies, par le travail forcé et le code de l’indigénat qui ne sera abrogé définitivement qu’en 1944. Il aura donc fallu attendre plus d’un siècle pour arriver à une égalité sociale, en droit formel.
Au sortir de la guerre, les « vieilles colonies » (Martinique, Guadeloupe, Guyane et La Réunion) deviennent, avec la loi du 19 mars 1946, des départements, ce qui permet à leurs habitants d’accéder à une pleine citoyenneté. Pour eux, la question de l’égalité devient centrale.
Mais la départementalisation n’entraîne pas immédiatement l’application de toutes les règles existant pour l’Hexagone, en particulier dans le domaine social. Elle prévoit l’extension aux nouveaux départements des lois et décrets métropolitains, extension qui sera repoussée par trois lois successives jusqu’au 31 mars 1948, date à laquelle les derniers textes en vigueur dans l’Hexagone sur le droit du travail et la sécurité sociale seront étendus avec des adaptations.
L’année 1946 demeure néanmoins symboliquement forte pour les populations des DOM car elle marque la sortie de l’empire colonial et l’accès à la pleine citoyenneté.
Concernant les habitants des anciens territoires d’outre-mer, la Constitution d’octobre 1946 leur reconnaît la qualité de citoyens, au même titre que les Français de l’Hexagone ou des départements d’outre-mer. Cependant cette citoyenneté n’est pas obligatoirement liée au statut civil de droit commun. Les citoyens français des ex-TOM peuvent conserver leur statut personnel particulier.
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1.2. UNE EGALITE SOCIALE REELLE OBTENUE BEAUCOUP PLUS TARD ET AUJOURD’HUI REMISE EN CAUSE PAR LA DROITE
Bien qu’ayant fait l’objet d’une mise en place retardée, progressive ou adaptée, depuis 1946 dans les DOM, et ultérieurement dans certaines COM, les politiques sociales ont beaucoup contribué à maintenir une certaine cohésion sociale dans des territoires ultra-marins, marqués par des taux de chômage importants (en 2011, le taux de chômage varie entre 21 et 30% dans les DOM alors qu’il est deenviron 10% dans l’Hexagone).
Cependant, la sécurité sociale, créée en 1945 en France, va mettre vingt ans à se déployer dans les DOM. Les prestations ou allocations sociales y font chaque fois l’objet d’une application différée. Il faudra même attendre 1996 pour que les prestations sociales et le montant du SMIC dans les DOM soient totalement alignés sur l’Hexagone et 2002 pour le RMI.
Quelles que soient les raisons invoquées par l’exécutif ou le législateur (des raisons souvent de bonne foi, comme celle invoquant la nécessité de ne pas étendre toutes les prestations sociales afin de ne pas fragiliser l’économie locale), ces non-applications ont renforcé le sentiment, chez les domiens, d’une rupture d’égalité par rapport à leurs concitoyens de l’ Hexagone.
En matière de protection sociale, il convient toutefois de distinguer selon le type de collectivités : si les populations des DOM se caractérisent par une proportion plus forte de personnes touchant des allocations ou minimas sociaux que dans l’Hexagone, il n’en va pas de même dans certaines COM et en Nouvelle-Calédonie où l’Etat n’est pas compétent en la matière. Ainsi, si les DOM (hors Mayotte), Saint-Barthélemy et Saint-Martin bénéficient du même système social que l’Hexagone (avec quelques différences concernant les allocations familiales), les autres COM et la Nouvelle-Calédonie connaissent des systèmes disparates : la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont la compétence tant en matière de santé que de protection sociale, Wallis et Futuna, où la protection sanitaire et sociale relève de l’Etat, a la particularité de ne pas bénéficier de régime de sécurité sociale ce qui explique que les soins dispensés sur ce territoire soient gratuits. Enfin Mayotte et Saint-Pierre-et- Miquelon se rapprochent du système métropolitain, même si une grande partie des prestations et allocations sociales hexagonales n’y existent pas.
Dans le secteur public, l’égalité réelle a également tardé. Depuis longtemps existait, outre- mer, un système de « sur-rémunérations » (ancien « tiers colonial » converti en indemnité de vie chère), destiné à rendre le secteur public attractif pour les métropolitains. Ce système se traduisait par des majorations de traitement de l’ordre de 40% pour les DOM et jusqu’à plus de 100% pour certaines îles de Polynésie française. Ce dispositif réservé, à l’origine, aux fonctionnaires métropolitains était, à juste titre, considéré comme inéquitable. La revendication de son extension aux fonctionnaires ultramarins a entraîné, aux Antilles, des grèves de fonctionnaires très dures, en 1950 et surtout en 1953. Les lois du 3 avril 1950 pour les DOM et du 30 juin 1950 pour les TOM ont alors établi le principe de l’égalité des fonctionnaires quelle que soit leur origine, mais il fallut attendre 1953 et des mouvements sociaux aux Antilles pour
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que paraissent les décrets d’application. Il faudra également de nombreuses manifestations syndicales entre 1976 et 1978, principalement suivies par les agents publics d’Ile-de-France originaires d’outre-mer pour que les congés bonifiés soient étendus par décret en 1978.
Le système des majorations de traitement, qui prend en compte le coût de la vie outre-mer, a incontestablement permis de maintenir sur place une population importante dotée d’un pouvoir d’achat conséquent. En revanche, outre son effet inflationniste, il a créé un clivage entre les agents publics et les cadres du privé, d’une part, et les autres salariés du privé ne bénéficiant pas de ces «sur-rémunérations», d’autre part. Il a largement contribué à l’émergence de sociétés au caractère inégalitaire marqué et dénoncé lors du conflit social des Antilles de 2009.
1.3. UNE EGALITE REELLE RESTANT A ATTEINDRE
La demande d’égalité réelle exprime la volonté de dépasser la simple égalité formelle en droit. En filigrane, se pose la question d’une citoyenneté perçue (à tort ou à raison) comme au rabais, par rapport à celle des citoyens de l’Hexagone. Cette question ne doit pas être perçue comme anecdotique car elle innerve la plupart des revendications, tant politiques que sociales, culturelles, ou économiques. Son aspect persistant, voire «irritant» pour les pouvoirs publics, est symptomatique du malaise ressenti par certains dans les outre-mers. Elle dépasse le simple fait racial (même si celui-ci joue un rôle indéniable), ces revendications pouvant, à l’occasion, émaner de populations d’ origine européenne (caldoches en Nouvelle-Calédonie, habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon) visant la métropole…
La loi seule n’est ainsi plus perçue comme suffisante pour répondre à la nouvelle demande d’égalité car celle-ci ne s’exprime plus seulement aujourd’hui en termes de droits mais davantage en termes de compensations des handicaps objectifs des outre-mers.
Parmi les sujets emblématiques se trouve par exemple celui de la priorité à l’embauche locale. Une telle priorité heurte-t-elle le droit ou au contraire rétablirait-elle une équité ? On en trouve trace (même si la demande est rédigée avec une certaine prudence) dans le point 92 de l’accord Bino de 2009 qui évoque « la signature rapide d’une charte de l’embauche locale de Guadeloupéens ». Cette préférence qui ne peut être instituée dans les DOM faute de base constitutionnelle, a été mise en œuvre par une loi organique de 2004 en Polynésie française, sur le fondement des dispositions de l’article 74 de la Constitution pour cette collectivité dotée de l’autonomie et, en Nouvelle-Calédonie, par une loi de pays de 2010 relative à la promotion de l’emploi local qui privilégie à compétences égales les citoyens de la Nouvelle-Calédonie ou les résidents établis depuis plusieurs années sur le territoire, sur le fondement de l’accord de Nouméa, dont cette orientation est explicitement reprise à l’article 77 de la Constitution.
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Une revendication d’égalité réelle souvent exprimée de manière conflictuelle
La prégnance des difficultés dans les relations sociales, voire de l’extrême conflictualité sociale observée dans certains outre-mers pèse sur le quotidien des ultramarins. Elle procède de facteurs à la fois passés et présents.
En premier lieu, le passé colonial de l’ensemble des outre-mers, et de surcroît esclavagiste pour les Antilles et La Réunion, a longtemps fait et continue à faire des revendications sociales ou afférentes aux conditions de travail, la pierre angulaire des mobilisations populaires.
Construite sur des rapports « socio-raciaux » de classe, la question sociale dans les outre- mers, emprunte parfois au registre de l’agitation et de l’émeute. Du fait de son contexte historique (la colonie), elle prend souvent l’aspect d’une contestation politique de l’Etat local (le préfet), ou de l’Etat central plus lointain.
Ce passé peut expliquer que les forces syndicales soient souvent proches, voire fassent partie des mouvements autonomistes ou indépendantistes (cas de nombreux syndicats polynésiens, néo-calédoniens, antillais ou guyanais), la revendication sociale étant alors connectée à la revendication politique.
Cette conflictualité se traduit, dans certains outre-mers, par un dialogue social quasi inexistant du fait de l’absence de sérénité des partenaires sociaux, tant syndicaux que patronaux. Les forces syndicales se singularisent, dans plusieurs territoires, par la prédominance de syndicats locaux donnant à leurs revendications un caractère spécifique par rapport au niveau national. Face à des syndicats très radicaux, relayant un discours teinté d’autonomisme ou d’indépendantisme (UGTG guadeloupéenne, USTKE néo-calédonienne…), le patronat offre souvent l’image d’un monde fermé à toute négociation et otage de grands groupes ou de castes sociales. Cette vision nuit à un dialogue social serein, notamment aux Antilles où la cause du patronat est souvent, à tort ou à raison, confondue avec les intérêts du groupe Bernard Hayot par exemple ou des Békés dans leur ensemble ! Des expériences intéressantes de réactivation du dialogue social ont été conduites avec un certain succès à la fin des années 90, par exemple en Martinique, où elles ont contribué à détendre le climat social jusqu’à aujourd’hui, mais elles n’ont pu s’étendre à d’autres territoires comme la Guadeloupe, les syndicats d’obédience indépendantiste refusant d’y participer de crainte de perdre leur identité en « jouant le jeu ».
Il est à souligner qu’à l’issue des récents états généraux de l’outre-mer, le Gouvernement a souhaité relancer dette dynamique, le Comité Interministériel à l’Outre-Mer (CIOM) de novembre 2009 ayant proposé de faire reconnaître le fait syndical dans les régions et départements d’outre-mer et d’y instaurer des comités consultatifs du travail et des relations du travail.
Ce dialogue social défaillant entre « partenaires » sociaux renvoie souvent et paradoxalement à l’arbitrage de l’Etat dont la pratique outre-mer manque parfois de clarté.
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L’Etat, historiquement a oscillé entre une politique de répression, où le dialogue social se traduisait principalement par des opérations musclées de maintien de l’ordre (notamment pour les grèves en Guadeloupe et en Martinique dans les années 50 et 60) et une politique à courte vue, peu audible et peu cohérente comme celle conduite lors de la gestion de la crise antillaise de début 2009. L’Etat a manqué de cohérence dans les négociations, alternant les séquences d’ ouverture vis-à-vis des syndicats, puis de fermeté, avant l’ octroi d’ une aide exceptionnelle de 200 €, complexe dans son financement et dont sont exclus les plus pauvres.
Ces hésitations de l’Etat ne peuvent que questionner sur les réelles perspectives qu’il compte proposer aux populations ultramarines.
Une réponse devant prendre en compte les dimensions historique et identitaire des revendications
Sans revenir à une longue analyse historique, qui serait forcément contestable, ne serait-ce que du fait de l’hétérogénéité des différents territoires, on est frappé outre-mer par la persistance de schémas et codes sociaux, hérités de la société coloniale ou esclavagiste et exacerbés par le fait que la quête d’égalité sociale a été au cœur des mobilisations politiques aux 19ème et 20ème siècles, notamment dans l’espace antillais. En effet, le facteur à la fois racial et de classe se perpétue au fil de l’histoire, comme le montre les difficultés observées pour réduire lafracture entre les descendants de colons blancs (Békés de Martinique par exemple) et le reste de la population.
Outre-mer , aux oppositions sociales s’ ajoutent des points de cristallisation à forte connotation raciale, souvent difficiles à saisir pour un observateur de l’Hexagone.
Ceci témoigne de ce que l’historien de la Martinique Laurent Jalabert appelle la « mal assimilation ». En droit, nul ne conteste l’égalité consacrée entre les citoyens qu’ils soient ultramarins ou de l’Hexagone, cependant, c’est dans le domaine de l’exercice de ces droits, en particulier sociaux, que se noue le malentendu entre les populations ultramarines et l’Hexagone. Il a été rappelé ci-dessus que cette égalité est très récente, et s’est révélée souvent décalée dans le temps, du fait d’oppositions, soit locales des colons ou des fonctionnaires en place, soit nationales du fait des obstructions de l’exécutif ou du Parlement. Cette non-application ou l’application décalée dans le temps des avancées sociales a donné aux populations ultramarines l’impression d’une citoyenneté obtenue au rabais et non effective.
Plus l’intégration à la République est poussée, plus s’exprime cette amertume : la prise en compte de ces revendications d’égalité en termes de droits sociaux (annoncée à l’échéance d’une génération) sera un élément primordial du succès de l’actuelle départementalisation de Mayotte.
Enfin, la prise en compte de l’âme et de l’histoire collective en tant qu’éléments fondateurs ainsi que le traitement des questions mémorielles doit permettre d’aborder plus efficacement les
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questions sociales et sociétales pour espérer réduire la conflictualité. En effet, si l’on se limite au XXème siècle, à l’exception de la Nouvelle-Calédonie, les conflits les plus violents sont tous nés de revendications sociales, souvent occultées dans la mémoire officielle (cas des journées sanglantes de mai 1967 en Guadeloupe dont le bilan oscille de 7 à 200 morts et qui n’ont jamais fait l’objet ni d’une reconnaissance officielle de l’Etat ni d’une commission d’enquête parlementaire).
Proposition n°17: Sanctuariser le principe de l’égalité sociale entre les DOM et l’Hexagone et refuser toute mesure qui la mettrait en cause outre-mer |
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2.
Favoriser l’égalité réelle en donnant leur chance à tous
Les ultramarins
Face à ces demandes légitimes d’égalité réelle, il convient de bâtir des schémas différenciés selon les territoires pour apporter des réponses pertinentes aux populations.
2.1. UNE REPONSE D’ABORD ECONOMIQUE, BUDGETAIRE ET FINANCIERE
C’est évidemment le développement économique qui pourrait offrir une réponse à cette demande d’égalité réelle exprimée outre-mer. Le processus de développement économique des outre-mers est cependant nécessairement long et des mesures sociales aux implications budgétaires certaines doivent assurer le relais.
Le mythe d’un développement endogène suffisant pour permettre une autarcie des territoires sur les besoins essentiels ne peut en effet faire figure de réponse unique à la fragilité économique des territoires ultra-marins. Elle ne peut au mieux qu’être une réponse partielle. Les économies ultramarines, notamment celles des DOM, sont passées en moins de deux décennies d’économies de plantation, fondées sur la monoculture de la canne et l’industrie sucrière, à des économies dominées par les services (qui représentent plus de 80 % de la valeur ajoutée produite et regroupe plus de 80% des emplois aujourd’hui). La Nouvelle- Calédonie, où le secteur secondaire, principalement le secteur du nickel, représente près du quart du PIB, et la Guyane, où le secteur spatial constitue un des moteurs de l’économie, constituent deux exceptions. Si une industrie de substitution aux importations et des services marchands se sont développés outre-mer, les perspectives sont limitées en raison de l’insularité, la distance, l’étroitesse des marchés locaux et la quasi-absence de relations commerciales avec les pays voisins. Il s’agit d’identifier les niches présentant des potentialités en matière de création d’activités et d’emplois, et pouvant exercer un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’économie.
Le maintien des mesures sociales nationales, pour les DOM, est donc impératif, d’abord parce qu’il ne saurait, juridiquement, philosophiquement et politiquement être contesté et, ensuite, parce qu’économiquement la création de richesses prendra du temps à se développer.
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2.2. L’EDUCATION ET LA JEUNESSE : DES PRIORITES
Comparativement à d’autres pays, la France ne mène pas de politique volontariste en faveur de la jeunesse ciblée territorialement. Les outre-mers n’ont donc bénéficié d’aucune mesure particulière alors même que la proportion de jeunes y est encore plus forte et que les jeunes y sont, davantage que dans l’Hexagone, victimes du chômage.
Près d’un habitant sur 3 a moins de 20 ans aux Antilles, entre 35% et 40% à La Réunion, en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, 44% en Guyane comme à WallisetFutuna et 54% à Mayotte contre 24,5% dans l’Hexagone.
Les taux de natalité montrent par ailleurs que cette question doit être traitée à court, à moyen mais également à long terme : le taux de natalité (12,8‰ dans l’Hexagone) est deux fois supérieur en Guyane (28‰) et trois fois à Mayotte (39‰).
Les politiques publiques de la jeunesse n’ont jamais été portées à la hauteur des enjeux et des atouts de ces territoires alors que se jouent, sur cette question, leur avenir et leur équilibre social. Il n’est pas pertinent d’appliquer aux Outre-mers une politique fragmentée constituée de mesures successives et non pérennes sans qu’ils bénéficient des actions menées en faveur de la jeunesse au niveau national et en Europe.
Sur le champ de l’éducation, des progrès notables ont toutefois été réalisés ces dernières annéesmais la Guyane et Mayotte souffrent de retards structurels méritant un accompagnement particulier pour résoudre les difficultés actuelles et anticiper l’évolution démographique.
Partout, le défi est aujourd’hui d’investir en faveur des jeunes déscolarisés, non diplômés ou peu qualifiés et des jeunes sans emploi.
Des progrès notables en matière d’éducation, avec des conditions d’enseignement en amélioration
Comme dans l’Hexagone, la population scolaire dans les DOM (à l’exception de la Guyane et de Mayotte) est en baisse dans le 1er degré en particulier dans le préélémentaire. Seuls les effectifs relevant de l’adaptation scolaire et de la scolarisation des enfants handicapés sont en augmentation.
Pour le second degré, la diminution des effectifs affecte les deux cycles alors que, dans l’Hexagone, la hausse du nombre des collégiens limite la baisse globale des effectifs du second degré.
Ces évolutions font que le nombre moyen d’élèves par classe dans le 1er et le 2ème degrés est aujourd’hui équivalent à celui de l’Hexagone et que le taux d’encadrement est équivalent, voire supérieur en Martinique.
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Des indicateurs de performance en progression mais encore en deçà de ceux de l’Hexagone
En matière d’enseignement, les progrès réalisés ces dernières années ont largement fait diminuer l’écart entre les DOM et l’Hexagone en termes de taux de redoublements, d’accès au bac et de taux de réussite. La Guadeloupe dépasse même l’Hexagone pour le taux de scolarisation des enfants de 2 ans et le taux d’accès au bac en particulier des jeunes filles.
On observe cependant en Guyane et à Mayotte un écart important qui mérite un traitement particulier.
Les outre-mers gardent la particularité d’un recours plus important des jeunes à la voie professionnelle après la 3ème qui concerne 1 jeune sur 3 contre 1 sur 4 dans l’Hexagone.
Des retards restent à combler en matière d’évaluation des acquis en français et en mathématiques en CE1 et CM2 et en matière d’effectifs en sections européennes et internationales (1,7 % et 1,8% en Guadeloupe et Martinique contre 4,4% au niveau national (Hexagone et DOM).
Des dispositifs de réussite éducative à développer
Les dispositifs de réussite éducative sont présents outre-mer mais devraient être développés.
Les écoles de la deuxième chance, les internats d’excellence et les réseaux de la réussite doivent être renforcés.
Leur financement, notamment en fonctionnement, devrait tenir compte de particularismes objectifs. Ainsi en Guyane, département aussi vaste que le Portugal, la question des déplacements des élèves pour rejoindre l’internat suppose une prise en compte particulière, y compris en termes financiers.
Proposition n°18 : Renforcer les dispositifs d’excellence outre-mer, en tenant compte des particularités locales, comme la question des transports en Guyane |
Relever le défi de lutte contre l’illettrisme chez les jeunes et proposer des solutions à la jeunesse hors du champ de la scolarisation et en recherche d’emploi
Le ministère de l’éducation nationale, en signant une convention avec l’agence nationale de lutte contre l’illettrisme, a rappelé l’importance que l’Etat attachait à cette question outre- mer et le comité interministériel de l’outre-mer a fait de ce sujet une de ses priorités en décidant qu’un plan multipartenarial serait élaboré par territoire afin de faire baisser en 5 ans l’écart avec l’Hexagone.
Les dernières statistiques (document du ministère de l’éducation nationale d’août 2010 sur les évaluations de lecture des jeunes passés par la journée d’appel pour la défense) montrent
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l’ampleur du problème : un jeune Français sur 10 est en difficulté de lecture, mais ce taux est de près d’un sur 3 aux Antilles et à La Réunion et de 43% en Guyane.
On peut dès lors s’interroger sur l’impact des plans annoncés en l’absence de financement dédié et d’axe volontariste pour les jeunes qui ne sont ni dans le système scolaire, ni dans la vie active.
Le volet prévention suppose de favoriser les actions en faveur de la petite enfance avant la scolarisation (contes en langue maternelle et en français), de conforter l’apprentissage et la pratique de la lecture pendant la scolarisation en tenant compte du plurilinguisme par la présence de maîtres formés au contexte. Chaque école devrait au minimum disposer, notamment en Guyane et à Mayotte, d’un accompagnateur culturel chargé, auprès des enseignants, d’actions permettant aux enfants de faire le lien entre leur langue et culture familiales et la langue française.
Proposition n°19: Lutter contre l’illettrisme dès la petite enfance et exploiter le multilinguisme, par la présence d’accompagnateurs culturels auprès des enseignants |
Lutter contre le décrochage scolaire, développer l’orientation et la qualification des jeunes
Les outre-mers restent marqués par un fort taux de décrochage scolaire et des sorties du système sans diplôme plus fréquentes que dans l’Hexagone.
Le repérage des situations de décrochage et la mise en place de plateformes de suivi et d’appui en faveur des jeunes sortants sans diplôme est en cours de développement. Le dispositif est trop récent pour être évalué ; on peut en attendre, a minima, qu’aucun jeune ne reste sans interlocuteur.
L’orientation des jeunes, souvent étroitement liée aux dispositifs de formation existant localement mériterait une individualisation plus forte, ce qui suppose un diagnostic local sur les filières de formation, et sur l’aide à la mobilité des jeunes notamment dans la zone régionale, en matière de formation et d’accès à l’emploi.
Proposition n°20 : Développer une action d’orientation spécifique, avec une adaptation aux filières de formation locales et aux besoins d’emploi |
On ne saurait poursuivre comme actuellement la succession de mesures limitées dans le temps sans avoir préalablement conforté et amélioré les dispositifs existants. Ainsi à Mayotte, 6 conseillers de la mission locale sont chargés d’assurer le suivi de 5.300 jeunes dont les 3⁄4 sans qualification, sur un territoire créant à peine un millier d’emplois par an pour 4.000 jeunes sortant du système solaire (Mayotte : bilan 2008 de la mission locale).
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Faire de la lutte contre le chômage des jeunes une priorité
L’ampleur du chômage des jeunes dans la quasi-totalité des territoires justifie des plans locaux pluriannuels donnant aux acteurs comme aux publics une visibilité à moyen terme.
Ils devraient être articulés autour des axes suivants :
– adéquation entre offre de formations et vie économique ;
– aides à la création d’emplois ;
– prospective, détection des secteurs et filières porteurs (secteurs privé et public) ;
– aides à la mobilité choisie ;
– contrats aidés.
Adapter et rendre accessibles aux outre-mer les expérimentations dans le domaine de la jeunesse
Depuis quelques années, la France met en œuvre, comme les pays anglo-saxons, le concept d’innovation sociale. Après le RSA, le Gouvernement a créé le fonds d’expérimentation pour la jeunesse, doté de 150 M€ sur deux ans et qui doit permettre de repérer toute approche innovante en matière d’insertion des jeunes susceptible de généralisation après évaluation. La loi portant développement économique pour l’outre-mer a, quant à elle, créé un fonds propre à l’outre-mer alimenté par les entreprises en contrepartie de déductions fiscales.
Cette politique connaît cependant deux limites importantes :
– Elle favorise les porteurs de projets les plus expérimentés. Or la faiblesse de l’ingénierie sociale outre-mer est un handicap pour répondre aux appels à projets avec « évaluation embarquée » ;
– Une politique publique aussi complexe suppose une certaine pérennité et ne saurait reposer sur « de bonnes idées financées sur une période par l’Etat » devant ensuite trouver auprès d’autres acteurs les financements de long terme.
Néanmoins des « pactes locaux » pourraient permettre de déterminer les sujets sur lesquels les outre-mers pourraient expérimenter des organisations, mesures ou dispositifs pertinents.
Cela suppose qu’ils puissent bénéficier systématiquement des appels à projet nationaux et européens en faveur des jeunes. Cela implique également que les acteurs locaux puissent dépasser les contraintes juridico-administratives, expérimenter la globalisation des financements et dépasser les répartitions de compétences.
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Proposition n°21 : Faire de l’emploi des jeunes un champ d’expérimentation, y compris en déléguant de plus grandes compétences aux acteurs locaux |
Proposition n°22 : Favoriser la mobilité professionnelle des ultra-marins, en particulier des jeunes en formation et des étudiants, vers l’Hexagone et l’Europe par une politique de continuité territoriale adaptée à leurs besoins |
2.3. POUR UNE VERITABLE POLITIQUE DE PRISE EN CHARGE DES PERSONNES AGEES
Les outre-mer connaissent une nouvelle donne démographique dont les politiques publiques n’ont pas encore pris la mesure. Les perspectives concernant le vieillissement montrent l’importance de ces évolutions, principalement dans trois des cinq DOM (les cas guyanais et mahorais étant à mettre à part, du fait d’une progression du nombre des personnes âgées beaucoup plus mesurée et d’une croissance démographique très forte).
Données sur le vieillissement de la population :
Recensement 2005 et prévisions INSEE 2030 |
Martinique
Guadeloupe
Guyane
Réunion
Polynésie française
Nouvelle- Calédonie
2005
17,5%
12 %
6%
11 %
8%
9%
2030
34 %
31 %
11 %
24 %
17 %
9%
Ces perspectives sont de nature à bouleverser les équilibres démographiques de territoires, longtemps caractérisés par une forte proportion de jeunes et une forte émigration qui palliait les carences du marché local du travail. Si les perspectives dégagées par les différentes directions régionales de l’INSEE se confirment, un département comme la Martinique verrait par exemple sa population croître de 6,5% sur la période 2007/2040 contre 15,1% pour la France entière sur la même période. En termes de croissance démographique, la Martinique se classerait au sixième rang des régions françaises les moins dynamiques. De son côté, la Guadeloupe gagnerait 3000 habitants à l’horizon 2040.
Cette situation antillaise, très prononcée, se retrouve dans l’ensemble des territoires, consacrant (sauf pour la Guyane et Mayotte) la fin de la transition démographique.
Face à ce défi, les différents acteurs (Etat, collectivités) doivent, dès à présent, mettre en place une véritable politique en direction du troisième âge, sous peine de devoir gérer des perspectives financières difficiles. Ainsi on peut se poser la question de la manière dont des collectivités déjà fragiles, pourront assumer financièrement une inévitable progression des allocataires de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA).
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De même cette situation nouvelle met en lumière le déficit de structures d’hébergement pour personnes âgées dans des territoires où elles étaient jusque là relativement peu nombreuses et où les solidarités familiales, comme partout, jouent de moins en moins. Un plan spécifique de soutien à la création de ce type de structures pourrait être initié, en tout cas pour les collectivités les plus en retard.
Au vu de la situation à venir, après le report de la réforme de la dépendance en 2011, la réflexion sur le sujet devra être remise à l’ordre du jour. La préparation d’un plan d’équipement des collectivités en structures d’accueil des anciens est indispensable, au moins pour vérifier la nature des besoins et des efforts à accomplir pour les couvrir dans la décennie à venir.
Proposition n°23 : Elaborer, en concertation avec les collectivités territoriales, un plan d’équipement en structures d’accueil des personnes âgées |
2.4. UNE POLITIQUE DE SANTE PUBLIQUE ADAPTEE AUX REALITES ULTRA-MARINES
Les outre mers sont souvent présentés comme des « terres de champions » car ils comptent en effet de nombreux sportifs parvenant au plus haut niveau. Cette situation véhicule ainsi l’image de territoires où l’activité physique et sportive est massivement pratiquée. Toutefois, la mise en avant de ces sportifs de haut niveau masque un véritable déficit de pratique sportive par l’ensemble de la population.
L’obésité et le surpoids, du fait d’une sédentarité croissante, sont à l’origine d’une incidence et d’une prévalence des maladies cardiovasculaires supérieure à la moyenne nationale ce qui constitue la principale cause de morbi-mortalité. En effet, l’obésité multiplie par 3 la prévalence de l’hypertension artérielle et 75% des risques de diabète sont liés à l’obésité (certains parlent de diabésité).
Aujourd’hui les chiffres de l’obésité sont de plus en plus alarmants. En effet, les habitudes alimentaires des ultramarins semblent avoir considérablement évolué ces dernières années. Parallèlement la population serait devenue plus sédentaire en raison de l’apparition de nouveaux loisirs (Internet, jeux vidéo) et de la place de plus en plus importante occupée par la télévision. Les opportunités de pratiquer une activité physique ont été réduites du fait notamment de l’utilisation croissante de moyens de transport motorisés et des appareils ménagers électriques, de la diminution, au travail, de tâches manuelles demandant un effort physique et de l’apparition de loisirs sédentaires.
La proportion de personnes en situation de précarité dans la population des outre-mers étant plus forte que dans l’Hexagone et le lien obésité-sédentarité-précarité étant confirmé par diverses études, ce phénomène revêt, outre-mer, une acuité particulière.
Il importe donc de définir et mettre en œuvre des politiques adaptées basées notamment sur :
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– un ciblage sur les populations précaires : adaptation des programmes pour tenir compte de leur situation (distribution de tickets fruits et légumes, prise en charge diététique et des séances d’activité physique) ;
– la prévention, le dépistage et la connaissance des effets néfastes de l’obésité et de la sédentarité : renforcement du dépistage de l’obésité et de la sédentarité (information plus systématique par les professionnels de santé et campagnes d’information) ;
– des actions concertées avec les professionnels de l’agroalimentaire afin de diminuer la concentration en sucre dans certains produits (sodas, spécialités laitières…), supérieure à celle des produits identiques fabriqués dans l’Hexagone.. La proposition de loi qui prévoit que « la teneur en sucre d’un même produit alimentaire manufacturé ne peut être outre- mer, supérieure à sa teneur en métropole » devra être soutenue ;
– des actions en milieu scolaire : amélioration de l’alimentation scolaire et développement de l’activité physique à l’école ;
– la promotion de l’activité physique sur les territoires en facilitant l’accès de la population aux infrastructures sportives et en implantant des parcours sportifs de santé encadrés par des éducateurs sportifs formés en activité sportive adaptée ;
– l’éducation des patients atteints de maladies métaboliques et cardiaques afin d’améliorer leur prise en charge et leur qualité de vie ;
– la structuration des liens entre les structures de santé et les organismes sociaux.
Proposition n°24 : Développer une politique de santé publique adaptée aux modes de vie outre-mer et ciblée sur les populations les plus précaires |
2.5. LA NECESSITE D’UNE POLITIQYE ADAPTEE DE LUTTE CONTRE L’EXCLUSION POUR LUTTER CONTRE LES EFFETS D’UN CHOMAGE TRES ELEVE ET DE FORTS TAUX DE PAUVRETE ET D’ILLETTRISME
Un taux de chômage inacceptable
Les taux de croissance des économies ultramarines ont été très élevés aux cours des trois dernières décennies et les taux de création d’emplois ont été supérieurs à ceux observés dans l’Hexagone. Cependant, ces économies ont connu parallèlement une augmentation de la productivité due au progrès technique, d’une part, et à l’amélioration du niveau de qualification de la main d’œuvre, d’autre part, qui explique que cette croissance ait été assez faiblement créatrice d’emplois.
L’alignement progressif du SMIC a incité les entreprises à réaliser des gains de productivité en optant pour un développement intensif en capital de manière à préserver leurs taux de marge. Par ailleurs, on note une forte augmentation de la population active qui s’explique en premier lieu par la pression démographique et la jeunesse de la population, à laquelle s’ajoute un phénomène social : la forte augmentation du taux d’activité des femmes (même s’il est encore inférieur à celui observé en Europe), signe d’une mutation profonde des sociétés ultramarines.
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Cette conjonction de facteurs explique les fort taux de chômage, La Réunion étant la région de l’Union européenne où le taux de chômage est le plus élevé, suivie par la Guadeloupe. Il faut noter que les statistiques de l’emploi (cf. partie II) ne rendent pas totalement compte de la réalité. En effet, les statistiques ne prennent pas compte les chômeurs découragés, les chômeurs de longue durée qui ne sont plus inscrits à Pôle emploi, et, dans l’inventaire des dégâts collatéraux du chômage, on observe, outre-mer comme en Europe, le développement de ce que l’on appelle des « formes particulières d’emploi » (contrats à durée déterminée, intérim, temps partiel imposé…) et une augmentation des travailleurs pauvres. Aucun dispositif n’est réellement prévu pour l’accompagnement de ces personnes et le suivi de leur parcours. Ce qui interpelle l’observateur dans les DOM, c’est à la fois la durée (depuis les années 70, les taux de chômage sont à deux chiffres) et l’ampleur du phénomène. Le chômage touche massivement les jeunes : plus de la moitié des jeunes de moins de 25 ans sont privés d’emploi.
Les taux de chômage endémiques et la faiblesse de l’économie marchande locale, expliquent le poids des prestations sociales dans les revenus des populations. Ainsi en 2008, le RMI concernait 20,6% des Réunionnais, près de 15% des Guadeloupéens ou Guyanais, 13,7% des Martiniquais, contre 3,1% pour l’Hexagone.
Ce contexte économique et social a contribué à produire des sociétés « fragmentées » avec une première frange de la population, occupant un emploi stable dans l’économie formelle (secteur marchand ou non marchand), bien insérée professionnellement et socialement et pour laquelle le salaire horaire est à peine inférieur à celui observé dans l’Hexagone, une deuxième frange de la population en situation précaire ou de sous-emploi, l’alternance emploi aidé/RMI/indemnités de chômage constituant pour certains une stratégie de survie et enfin, une troisième frange de la population «durablement éloignée de la sphère de l’emploi » et que guette inéluctablement ce que les économistes appellent la « trappe de l’inactivité ».
La lutte contre l’exclusion a nécessité un traitement social du chômage et les emplois aidés ont joué le rôle de « buvard social » dans les DOM. Les projections démographiques à l’horizon 2030 montrent que, malgré un vieillissement relatif des populations, la pression démographique perdurera et la part des jeunes actifs arrivant chaque année sur le marché du travail continuera à augmenter. En 2030, la part des moins de 20 ans est estimée par l’INSEE à 26% à la Martinique, 23% à la Guadeloupe, 43% en Guyane, 27% à La Réunion, et 28% en Polynésie française. La lutte contre l’exclusion suppose un traitement social du chômage et des moyens budgétaires en conséquence.
Des taux de pauvreté très supérieurs à ceux de l’Hexagone et qui s’aggravent
Malgré la politique de redistribution, le taux de pauvreté et les inégalités de revenus se sont accentuées à La Réunion et dans les DFA entre 2001 et 2006. Dans les DOM, la part des revenus situés en deçà du seuil de pauvreté établi pour l’Hexagone en 2006 (880 € par mois) est 37,6 % à la Martinique, 45,8 % à la Guadeloupe, 49,7 % en Guyane et 52 % à La Réunion.
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Les familles mono-parentales sont concernées en premier lieu, la mère étant la personne de référence dans 90 % des cas. Le revenu de ces familles est composé à 50 % de prestations sociales même si un tiers des mères travaillent. En 2008, 38,3 % des familles sont monoparentales à la Martinique contre 36 % à la Guadeloupe, 20 % à La Réunion et 14 % pour la France entière.
Selon l’enquête sur les conditions de vie en Polynésie française de 2009 (ECVPF-2009 publiée par l’AFD fin 2010), 28,2% des ménages sont considérés comme pauvres en termes de conditions de vie. Plus d’un ménage sur quatre vît donc en dessous du seuil de pauvreté. Près de la moitié des ménages (42,1%) arrivent tout juste à équilibrer revenus et dépenses, pouvant à tout moment basculer vers la pauvreté. 6,2% de la population seulement n’ont été touchés par aucune forme de pauvreté. Cela veut dire que 93,8% des ménages ont connu au moins une forme de pauvreté.
La pauvreté touche également les personnes âgées. La part des allocataires du minimum vieillesse dans la population des plus de 60 ans est de 27 % à la Martinique, 31 % à la Guadeloupe, 20 % en Guyane et 32 % à La Réunion (contre 23 % dans l’Hexagone).
La pauvreté peut déboucher sur l’exclusion sociale qui revêt outre-mer comme ailleurs divers aspects non monétaires, tels que les difficultés d’accès à la santé et au logement, l’échec scolaire, l’affaiblissement de liens sociaux, le manque de confiance en soi, le sentiment d’impuissance. Ce sont des processus cumulatifs qui tendent à perpétuer les « handicaps » de certains groupes sociaux d’une génération à l’autre. Plus largement cette exclusion peut se traduire, pour reprendre l’expression de la sociologue Dominique SCHNAPPER, par une absence de « participation réelle ou symbolique à la vie sociale ». Par ailleurs, si des formes de solidarité familiales et de voisinage perdurent outre-mer, on observe dans les espaces urbains un phénomène de décohabitation et de plus en plus de personnes isolées.
Le niveau des prix reste plus élevé que dans l’Hexagone
Le niveau élevé des prix rend difficile le maintien du pouvoir d’achat. Ce niveau des prix s’explique par la structure des marchés où quelques importateurs et distributeurs en situation d’oligopole, parfois de monopole, dominent les marchés dans de nombreux domaines (importation de ciment, grande distribution, carburants…). Une étude publiée par l’INSEE en 2010 portant sur la comparaison des prix entre les DOM et l’Hexagone montre que les écarts de prix sont largement imputables aux produits alimentaires. En considérant le panier de consommation de l’Hexagone, les écarts de prix respectifs sont de 45% en Martinique, 34% en Guadeloupe, 49% en Guyane et 37 % à La Réunion. L’inflation qui suivait une tendance à la baisse depuis 2008 est repartie à la hausse dans les DOM, et surtout dans les COM du Pacifique depuis fin 2009 et à un rythme plus élevé que dans l’Hexagone.
Des taux d’illettrisme excessifs
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L’illettrisme est, dans les sociétés ultramarines, à la fois un symptôme et un facteur indéniable d’exclusion. Il s’agit d’un phénomène de grande ampleur dans les DOM : il concerne massivement La Réunion (21 % de la population contre 4 % dans l’Hexagone, soit 120 000 personnes) et la Guyane, même s’il est difficile à mesurer. Il reste également fort aux Antilles (15 %). Contrairement à l’analphabétisme, l’illettrisme touche des personnes qui ont été scolarisées (pour la moitié d’entre elles, moins de dix ans) mais éloignées de l’emploi et qui ne pratiquant plus ni lecture, ni écriture, désapprennent à lire et à écrire.
Proposition n°25 : Elaborer un plan de lutte contre l’illettrisme fixant comme objectif de diviser le taux d’illettrisme par deux sur la décennie |
2.6. LE LOGEMENT, UN FACTEUR DE L’EGALITE REELLE
La lutte contre l’exclusion suppose également une politique de logement adéquate.
De façon bien plus marquée que dans l’Hexagone, les DOM et les COM souffrent d’un déficit en logements (notamment en logements sociaux) et de la persistance de logements insalubres. Dans les DOM, la demande de logements sociaux non satisfaite concernerait 56.250 ménages (8% des ménages guadeloupéens, 9% des ménages martiniquais et réunionnais et 14% des ménages guyanais).
Sur la période 2007-2013, les besoins en logements sociaux sont estimés à 2.000 logements par an en Guyane et à la Guadeloupe, 5.000 à La Réunion, 1.100 à Mayotte. D’ici 2030, il faudrait construire en moyenne 1.800 logements neufs par an en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, les besoins en logements augmentant à un rythme deux fois plus élevé que la population.
La baisse continue des crédits de la Ligne Budgétaires Unique (LBU) pour le logement social outre-mer depuis 2002 et la mise en place par la LODEOM d’un dispositif inefficace de défiscalisation du logement social accentue encore les effets de cette pénurie.
Cf. proposition n°2 : rebudgétiser en faveur du logement social les dépenses fiscales des dispositifs de défiscalisation. |
2.7. LA NECESSAIRE PRISE EN COMPTE DE LA SITUATION PARTICULIERE DES ULTRAMARINS DE L’HEAGONE
L’émigration, à partir des années soixante, de nombreux ultramarins vers l’Hexagone, a joué un rôle de temporisateur social dans des territoires touchés par un chômage massif alors que fermaient les sucreries et que les habitants des campagnes des Antilles et de La Réunion affluaient vers les villes.
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Elle a contribué à créer dans l’Hexagone des communautés antillaises et réunionnaises nombreuses. L’intégration de ces communautés dans leur ensemble n’a pas posé de problème majeur même si, individuellement, ont pu être observées des situations douloureuses de personnes déracinées, confrontées au racisme ou à la pauvreté. Certains mouvements indépendantistes complètent d’ailleurs volontiers l’histoire de l’esclavage par celle d’une déportation forcée et planifiée des travailleurs des DOM pour mieux vider ces territoires de leurs forces vives et ainsi conforter la domination de la métropole ! La réalité est évidemment plus complexe et si on ne peut nier que, comme dans tout phénomène d’émigration, il y a eu des destins individuels tragiques, il reste que cette émigration est le fruit de la conjonction, à l’époque, d’un fort chômage dans les DOM et d’un fort besoin de main d’œuvre dans l’Hexagone.
Les personnes nées outre-mer et vivant dans l’Hexagone sont ainsi passées de 53.000 en 1962 à près de 390.000 en 2005, ce qui avec les naissances enregistrées sur le sol hexagonal, constitue une population d’ascendance ultramarine de l’ordre du million et fait dire à certains spécialistes qu’on a affaire au « sixième DOM »..
Cette émigration s’est caractérisée par le départ de deux types de populations :
– d’un côté, la majorité, constituée de personnes « étant placées » dans l’Hexagone par l’ex- BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations intéressant les départements d’outre-mer) dont l’existence, entre 1963 et 1981, correspond à l’apogée des migrations ultra-marines vers l’Hexagone, principalement dans des emplois manuels du secteur privé ou des petites catégories de la fonction publique ou hospitalière ;
– de l’autre, une population moindre, constituée d’étudiants poursuivant leurs études dans l’Hexagone et ne revenant pas forcément au pays.
Ces trajectoires croisées avec celles des travailleurs immigrés (pour la plupart issus des anciennes colonies) se traduisent par des sentiments communs concernant le vécu des discriminations. D’après une étude de l’INED d’avril 2010, 31% des natifs d’un DOM et 40% des enfants de natifs d’un DOM répondaient avoir subi parfois ou souvent des discriminations, ce qui les rapproche des personnes d’Afrique subsaharienne, et les placent devant les personnes originaires du monde arabo-musulman. La corrélation entre racisme et couleur de peau occupe une place déterminante dans la liste des motifs de discrimination, citée par 73% des enfants de natifs des DOM.
Face aux autres minorités visibles, les ultramarins se perçoivent parfois comme les oubliés du grand combat pour la diversité. Dans les doléances des ultramarins de l’Hexagone, reviennent souvent les questions d’accès au logement et celles afférentes aux prix trop élevés des billets d’avions, ces deux difficultés constituant des freins forts aux déplacements professionnels ou étudiants des ultramarins.
Concernant l’expression et la visibilité des ultramarins dans l’Hexagone, plusieurs structures spécialement dédiées à eux ont été créées récemment.
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En premier lieu, l’élection de Bertrand DELANOË à la mairie de Paris a été suivie par la création d’une délégation générale à l’outre-mer, qui intervient notamment pour assurer aux Parisiens originaires d’outre-mer un égal traitement par les administrations de la Ville et un meilleur accès aux services ouverts aux habitants de la capitale. Ce choix n’est pas anodin pour une mairie dont 5.400 agents (sur 45.000) sont originaires d’outre-mer et pour une ville où on recense 12.000 agents d’origine ultramarine dans les hôpitaux de Paris et 2.500 au centre d’action sociale de la ville de Paris. D’autre part, l’Ile-de-France concentre plus de la moitié des originaires des DOM de l’ Hexagone (soit 192.000 personnes en 1999). Concernant la représentation politique, la seule élue nationale de l’Hexagone d’origine ultramarine est la députée socialiste du 20ème arrondissement de Paris, George PAU-LANGEVIN. A l’instar d’autres minorités visibles, les ultramarins se sentent encore trop ignorés quand il s’agit d’exercer des responsabilités politiques.
Si la gauche s’est montrée réactive au niveau local avec l’exemple parisien, elle n’a pas su jouer sur les symboles donnant aux ultramarins l’impression d’une meilleure représentation nationale. La droite, quant à elle, a été plus habile dans ce domaine.
Ainsi, en juillet 2007, a été créée la Délégation interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, organisme interministériel français institué auprès du Premier ministre, ayant pour mission d’assurer l’égalité des chances des Français d’outre-mer installés dans l’Hexagone et de prévenir les difficultés spécifiques qu’ils rencontrent en raison de la discrimination, ainsi que de préserver leurs liens avec leur communauté d’origine. La direction de cet organisme a été confiée au Guadeloupéen Patrick KARAM, très impliqué dans les combats associatifs pour les droits de l’homme, et fondateur du Collectif-DOM, dont l’enjeu principal est leur défense contre toute forme de discrimination. Sa démission jette une ombre sur la motivation réelle du Gouvernement à traiter de ce sujet complexe. Il vient d’être remplacé par Claudy SIAR, propriétaire, d’origine guadeloupéenne, de la principale radio parisienne s’adressant aux ultramarins.
La droite a également multiplié les nominations symboliques de hauts-fonctionnaires ultra- marins, affectés dans l’Hexagone comme outre-mer. Le Président de la République n’a pas non plus hésité à briser le tabou qui voulait qu’aucun ministre de l’outre-mer ne soit lui- même ultramarin, en nommant comme titulaire de la rue Oudinot, sa conseillère à l’Elysée pour les questions ultramarines, Marie-Luce PENCHARD qui est originaire de la Guadeloupe. Il a également confié, en 2009, l’administration de l’outre-mer et l’organisation des états-généraux de l’outre-mer à Richard SAMUEL, préfet d’origine guadeloupéenne.
Parmi les mesures intéressant les ultramarins dans l’Hexagone, il semble opportun de relancer le projet d’une cité des outre-mers à Paris. Elle serait à la fois un lieu de rencontre, de découverte et de recherche. Ce projet, décidé début 2002 par Lionel JOSPIN, n’a pas été poursuivi par la droite.
Proposition n°26 : Relancer, avec la ville de Paris, le projet de cité des outre-mers |
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Une place plus importante pourrait également être donnée à l’inclusion de programmes centrés sur l’outre-mer dans les médias de l’Hexagone. Il conviendrait aussi de clarifier les critères d’attribution des congés bonifiés afin de mettre fin à un sentiment d’iniquité entre fonctionnaires.
L’instauration de prix plafonds pour les billets d’avion permettrait également de faciliter les déplacements entre l’Hexagone et les outre-mers.
Enfin, il conviendrait de mesurer concrètement par des études sociologiques et statistiques les discriminations tant pour le logement que pour l’embauche dont peuvent être victimes les originaires des outre-mers, afin de pouvoir lancer des actions correctives en ce sens.
Proposition n°27 : Proposer aux grands médias nationaux des conventions portant sur la place de l’outre-mer dans l’information nationale |
Proposition n°28: Instaurer des prix plafonds pour les billets d’avion pour les vols métropole-outre-mers |
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PARTIE IV
Valoriser les identités et les cultures des outre-mers dans la République
En matière culturelle, la célébration, sans moyens, de l’année 2011, soi-disant « année des outre-mers », masque mal la véritable politique de la droite qui a surtout été marquée par la baisse drastique des moyens : fonds d’ échange, fonds audiovisuel, fonds associatifs, abandon du projet de Cité des outre-mers à Paris, transformation de France Ô qui n’est plus la chaîne des outre-mers…. Les instruments de valorisation des cultures ultramarines, mis en place par la gauche entre 1997 et 2002, ont considérablement perdu de leur intensité. Peut-être faut-il y voir aussi la volonté d’« endogénéïser » le développement culturel…
Or en matière culturelle, l’histoire riche mais quelques fois douloureuse des outre-mers, y a façonné des territoires singuliers, où se sont croisées et mélangées, voire ont même fusionnées les différentes cultures de toutes les communautés qui s’y sont établies.
La « créolisation » née de ces mariages culturels inattendus, a permis la création de sociétés originales. Elles ont forgé leurs propres destins, intégrant progressivement les apports et les richesses des femmes et des hommes qui rejoignaient ce creuset, élaborant ainsi les contours d’une nouvelle identité.
Aussi, les questionnements identitaires ultramarins ont pris racine dans les différentes interactions qui ont érigé les fondements de ces sociétés en perpétuelle construction. Les marqueurs identitaires se sont-ils développés dans une dynamique de brassage, de segmentation, de différentiation, voire même de graduation des contributions culturelles successives ? A ce jour la question reste toujours posée, alors même que s’affirme, comme une nécessité, le projet de parachever la construction de cette identité commune et partagée par tous.
Quoi qu’il en soit, le patrimoine culturel de chaque outre-mer est né de ces dialogues ininterrompus entre les multiples cultures ancestrales (locales et importées) et, de façon distincte selon les bassins géographiques, les composantes sociales et les données historiques.
Les outre-mers représentent aujourd’hui, des lieux d’expérimentation inédits de communion entre communautés et de partage entre les cultures, ouvrant par là même de nouvelles perspectives d’échanges, de diffusion et d’interactions entre les peuples, au cœur des nombreux défis de la mondialisation.
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Mais, entre la mise en partage de cette mosaïque culturelle fondatrice d’un « être ensemble » inédit, et les tentations d’enfermement communautaire, les hésitations sont fréquentes et la frontière se révèle souvent mince. Cette possibilité de dérive peut être évitée si l’Etat joue pleinement son rôle. Il doit donc appréhender plus finement et plus ouvertement les questionnements identitaires, et mettre en place une politique volontariste de valorisation et de meilleure appropriation aux plans local et national.de la richesse culturelle ultramarine.
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1.
La nécessité d’une appréhension plus volontaire par la République de la question des identités plurielle des
Outre-mers
1.1. La nécessité d’une meilleure appréhension des problématiques identitaires des outre-mers par l’Etat pour lutter contre les tentatives d’instrumentalisation
Même si les outre-mers ne partagent pas tous la même histoire, ils ont en commun la colonisation, ses souffrances et ses effets en termes de déconstruction identitaire.
Aussi, les problématiques identitaires des ultramarins, lorsqu’elles sont exacerbées par les tentatives de détournements des représentations passéistes de l’histoire coloniale, peuvent générer de réelles souffrances identitaires.
Entre les négations du passé et les mythifications du présent, l’histoire contrastée des outre- mers fait l’objet, par certains, d’une instrumentalisation à des fins politico-sociales pouvant aboutir à des crispations voire à des crises sociales d’envergure. L’Etat, quant à lui, impuissant ou indifférent, peine à appréhender les problématiques identitaires locales, oscillant entre la reconnaissance de la traite négrière en tant que crime contre l’humanité et celle des effets positifs de la colonisation !
L’Etat ne peut limiter sa politique en la matière à une repentance expiatoire. Il doit jouer pleinement son rôle d’ arbitre afin d’ apaiser les tensions pouvant survenir entre communautés. L’absence de régulation peut en effet favoriser la diffusion d’idéologies utilisant les sentiments d’inégalité et les questionnements identitaires pour exacerber les tentations de repli communautariste voire même cultiver la peur ou la haine de l’autre. L’Etat, pour aborder convenablement ces questions, doit se montrer particulièrement vigilant et respectueux des valeurs et des idéaux républicains.
Au-delà de leur passé colonial partagé, les outre-mers sont différents les uns des autres et les questions d’identité s’y posent évidemment de façon singulière sur chaque territoire.
Dans l’arc antillais, la Guadeloupe, la Martinique partagent une histoire coloniale esclavagiste encore prégnante, qui explique les tensions caractérisant les rapports sociaux et économiques entre les descendants d’esclaves et les autres communautés. Malgré tout, les différentes communautés partagent un socle culturel commun fort.
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La Guyane compte en son sein un nombre plus important de «communautés» (amérindiennes, européennes, créoles, africaines, bushinengué, chinoises). Longtemps le « creuset créole » a assuré la cohésion de la société. Aujourd’hui ces communautés ont parfois plus de mal à se rencontrer, tant les effectifs à intégrer sont importants et les disparités culturelles, sociales, économiques, linguistiques, sont fortes. Bien évidemment des ponts culturels communs existent encore, mais ils méritent d’être renforcés.
A Saint-Pierre-et-Miquelon, c’est une rencontre entre l’Amérique et l’Europe qui s’est instituée, depuis longtemps, en une identité culturelle affirmée. Il convient de la préserver contre les assauts de la mondialisation et de la standardisation à l’américaine.
Au cœur de l’océan indien, deux réalités culturelles bien distinctes coexistent avec La Réunion et Mayotte. D’une part, La Réunion vit l’expérience du multiculturalisme et du multiconfessionnalisme. D’autre part, Mayotte marquée par une organisation coutumière, juridique et sociale influencée par l’islam, doit, départementalisation oblige, mener une révolution culturelle et identitaire en redéfinissant collectivement le rôle et la place du religieux au sein de la société.
Eparpillés dans l’océan Pacifique les îles Wallis et Futuna et de la Polynésie française, sont marquées, à des degrés divers, par des cultures ancestrales fortes et des règles coutumières régissant l’organisation sociale. Les modes de vie modernes entrent en conflit avec de nombreux aspects des identités culturelles locales (architecture, langue, etc.). Il est devenu nécessaire de préserver, voire sanctuariser certains éléments de ces identités afin de les protéger.
La Nouvelle-Calédonie voit, quant à elle, son identité plurielle reconnue par l’accord de Nouméa dont les orientations ont valeur constitutionnelle. Après la lecture partagée, dans le préambule, des « ombres » de la période coloniale qui ne fut toutefois pas « dépourvue de lumières », l’accord reconnaît l’identité kanak et évoque la constitution d’un nouveau pacte social pour l’ensemble du peuple calédonien.
Ces identités culturelles multiples constituent une véritable chance d’enrichissement collectif et mutuel au sein de l’ensemble national mais elles sont encore insuffisamment valorisées, du fait du poids des « représentations » et de la faiblesse de leur exposition.
1.2. LA DIVERSITE CULTURELLE OUTRE-MER, VECTEUR D’APPORTS ET DE RICHESSES PARTAGEES
Les différentiations des divers apports culturels ont souvent partagé les ultramarins dans leur représentation de leurs patrimoines propres. La tradition jacobine française a longtemps conduit l’Etat à exprimer, outre-mer, une volonté assimilationniste, notamment en matière culturelle, érigeant de fait un rapport de hiérarchisation entre les cultures.
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Les temps ont changé et la doctrine centralisatrice a évolué mais les stigmates de ces politiques sont encore présents.
Un effort conséquent de mise en exergue du patrimoine ultramarin est donc indispensable, tant du point de vue du regard des ultramarins sur eux-mêmes, que du point de vue du regard porté par l’extérieur sur les ultramarins.
L’identité questionne notamment le rapport entre la communauté et l’individu. Aussi l’héritage culturel des outre-mers doit-il être perçu non seulement comme une composante à part entière de la diversité culturelle française, mais aussi comme un élément constitutif de la notion même de la citoyenneté, dans un monde de plus en plus dénué de frontières symboliques.
Dans l’Hexagone comme dans les régions ultramarines, chaque témoignage de la culture ultramarine (matériel ou immatériel) peut être potentiellement considéré comme l’ expression d’ un « lien» à la construction de l’homme de demain inexorablement pétri de diversité.
Il importe donc, pour la gauche, de lutter sans complaisance contre les affirmations de supériorité et d’infériorité dans l’expression des représentations culturelles.
Pour cela, l’Etat doit initier une politique permettant à tous les Français (qu’ils soient de Hexagone ou ultramarins) de s’enrichir de la diversité des cultures ultramarines par la diffusion et la promotion au plan national des œuvres ultramarines.
1.3. UNE MEILLEURE VALORISATION DES IDENTITES ET DES CULTURES D’OUTRE-MER
A partir de ces principes, la valorisation des identités et des cultures ultra-marines permettrait d’atteindre un triple objectif politique. Il s’agit en effet :
– de mettre en avant l’imaginaire ultramarin afin de renforcer les rapports sociaux : une diffusionconséquente del’ imaginaire culturel des outre-mers peut permettre la reconnaissance et la réappropriation identitaire. Cela favorisera l’instauration d’un dialogue avec le monde, tout en renforçant ce lien si particulier qui unit les outre-mers à l’Hexagone ;
Proposition n°29 : Réinscrire l’imaginaire ultramarin dans la République et inclure la culture ultramarine dans l’exception culturelle française |
– de constituer du symbole afin de se savoir exemple : dans chaque territoire d’outre-mer, des manifestions de vulgarisation culturelles à caractère symbolique doivent être organisées. Elles révéleront ainsi toute les dimensions mémorielles et historiques des outre-mers façonnées par de grandes luttes d’émancipation, par des valeurs de résistance et par les apports des outre-mers aux avancées sociales, politiques et scientifiques en France et dans le monde;
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Proposition n°30: Mener des actions symboliques de vulgarisation populaire pour témoigner de la richesse de l’histoire des terres d’outre-mer |
– de favoriser la réconciliation par le mémoriel : l’ultramarin est à la croisée de plusieurs histoires. Il s’agit de concourir à ce que chaque communauté se perçoive comme partie structurante d’un ensemble culturel cohérent. La connaissance de son passé et ses origines est une composante essentielle à l’appréhension de la dimension identitaire de chacun. Il faut pour cela faciliter pleinement l’accès à tous les documents d’archives en rapport avec les différentes phases de l’histoire de chaque territoire. Ce travail a d’ailleurs été initié par la région Guadeloupe, avec le projet du Mémorial ACTe que l’Etat devrait accompagner, comme la gauche l’avait fait pour le centre culturel TJIBAOU à Nouméa.
Il est aussi indispensable d’aider à l’appropriation au niveau local des lieux de mémoire et de culture, de développer des actions et des rencontres mémorielles par les écoles, les associations, les centres de loisirs, etc. Enfin il est nécessaire de mettre en œuvre une « culture participative », contribuant à faire de chacun un acteur de sa propre culture, ouvert à la culture de l’autre.
Proposition n°31: Dynamiser la politique du patrimoine outre-mer, notamment en facilitant l’accès aux archives et aux documents relatifs à la période esclavagiste |
Les cultures et les identités ultramarines doivent enfin être mises en dialogue avec les cultures de l’Hexagone, de l’Europe, ainsi qu’avec celles de leurs environnements régionaux de la Caraïbe et des océans Atlantique, Indien et Pacifique, sur la base de l’ouverture, de l’échange, de l’enrichissement réciproque ainsi que de l’égale dignité d’autrui.
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2.
Faire le choix d’une France de la diversité
Comme très souvent, l’outre-mer interroge la République sur elle-même. Quelle France veut-on pour le XXIème siècle ? Quel doit être le rôle et la place des outre-mers dans ce « vivre ensemble » ? L’Etat doit, sur ces sujets, définir la ligne et, pour la gauche, il ne saurait s’agir d’une ligne conservatrice qui transformerait la France en citadelle assiégée. Loin des assertions martiales selon lesquelles la France « doit rester la France », l’outre-mer doit jouer un rôle de laboratoire d’une nouvelle France diverse et ouverte.
2.1. UN PATRIMOINE CULTUREL ULTRAMARIN A PRÉSERVER ET À PROTÉGER
Si les outre-mers sont une source d’enrichissement mutuel, ils sont aussi pour la France un vecteur de rayonnement et de développement. L’Etat doit donc positionner les cultures des outre-mers comme un élément fort d’une politique d’ouverture au monde.
L’affirmation du multiculturalisme ultramarin doit donc être encouragée et reconnue, afin de lui permettre de survivre à une mondialisation toujours plus englobante, toujours plus uniformisatrice et par voie de conséquence, trop réductrice.
Ainsi il convient de protéger les héritages culturels, matériels et immatériels, car ils sont les symboles d’une culture française riche. Des efforts pour recenser, préserver, rechercher, acquérir et diffuser ce patrimoine doivent être multipliés rapidement :
– La sauvegarde du patrimoine matériel : des actions de sauvegarde des édifices anciens et des lieux de mémoire doivent être engagées de toute urgence: habitat traditionnel, cimetières d’esclaves aux Antilles…
Proposition n°32: Faire de la mise en valeur du patrimoine ultramarin un objectif prioritaire, notamment avec la création d’un master en architecture tropicale. |
– La préservation du patrimoine immatériel : la « Convention de sauvegarde du patrimoine mondial immatériel » de l’UNESCO signée le 17 décembre 2003 a permis la reconnaissance du patrimoine culturel immatériel en tant que symbole de la diversité culturelle. La Convention donne droit à une protection particulière de ce patrimoine. Il faudra donc tâcher de préserver certains composants de ce patrimoine voire même les sanctuariser.
La création de répertoires des œuvres culturelles majeures dans les principales disciplines culturelles (par exemple dans les domaines du théâtre et de poésie participerait de cette nécessaire préservation.
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Proposition n°33 : Mettre en place d’un répertoire des œuvres culturelles majeures ultra- marines dans les principales disciplines culturelles. |
– Les langues régionales : les langues, en tant que marqueurs identitaires et symboliques devraient obtenir la protection juridique internationale du patrimoine immatériel. En effet, les langues régionales doivent occuper les espaces où s’expriment librement l’oralité : les structures éducatives et les média.
Lieu d’expression d’une culture vivante, les langues régionales requièrent un cadre législatif garantissant leur usage, leur sauvegarde, et leur diffusion. Dans ce but, l’Etat devra opérer les modifications constitutionnelles indispensables à la signature de la « Charte européenne des langues régionales et minoritaires » du 5 septembre 1992. Il faut noter que, déjà, l’accord de Nouméa constitutionnalisé reconnaît les langues kanakes et a même prévu la création d’une « académie des langues kanak ».
Proposition n°34: Développer un cadre législatif favorable à l’usage des langues régionales, après signature de la charte européenne des langues régionales et minoritaires |
2.2. POUR UNE POLITIQUE CONCERTÉE ET VOLONTARISTE DE SOUTIEN ET DE PROMOTION DES CULTURES ULTRAMARINES
L’Etat, en concertation étroite avec les collectivités territoriales, doit soutenir la création, la diffusion et la promotion des identités culturelles ultramarines, tant au niveau local, national, qu’international. Il doit placer les cultures ultramarines au cœur d’une politique d’ envergure favorisant le rayonnement culturel ultramarin, tout en contribuant au développement des économies locales..
– L’éducation: l’éducation permet la mise en lumière des identités individuelles et collectives. Elle constitue l’une des voies privilégiées à emprunter afin de diffuser la culture ultramarine, à l’échelle locale mais aussi et surtout à l’échelle nationale.
Les livres scolaires doivent relayer l’histoire des outre-mers en tant que partie intégrante de l’histoire nationale. Il s’agit de mettre en œuvre une appropriation mutuelle d’une histoire à partager au sein de l’espace national et une reconnaissance des identités ultramarines.
Dans cette perspective, dans chaque territoire d’outre-mer, un échelon d’approfondissement de l’histoire locale et plus largement ultramarine doit être érigé. A ce titre, l’école doit se faire lieu d’expression de projets artistiques historiques et mémoriels, mais aussi lieu d’apprentissage des œuvres majeures du patrimoine culturel local du monde de la musique, de la danse, du théâtre et du chant.
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Proposition n°35 : Pour promouvoir les cultures ultramarines, l’école doit proposer des ateliers artistiques sur des projets associant la mémoire et la culture |
Proposition n°36: Les programmes scolaires doivent intégrer un socle minimum de connaissance sur les outre-mers et sur leur patrimoine |
– La culture et l’art vivant : Il serait judicieux de procéder à une mise en corrélation des acteurs de la culture en général et de l’art vivant en particulier. Il s’agit de tisser du lien et des liens par tous les espaces de création et de promotion afin d’activer une citoyenneté culturelle territorialisée impliquant l’école, le public, l’enseignement et les artistes.
Il y a lieu aussi de dégager des projets qui relèvent de l’intérêt commun et qui traduisent la volonté partagée de l’Etat et des collectivités locales d’œuvrer au développement harmonisé de la culture dans chaque outre-mer.
Proposition n°37: Assurer la présence des outre-mers dans les principaux grands évènements culturels nationaux ou internationaux (festival d’Avignon, festival d’Automne). |
– La formation professionnelle : C’est par l’accès à une formation de qualité qu’une professionnalisation du monde culturel ultramarin sera possible. La crise économique ne justifie pas à elle seule le faible taux de professionnels parmi les acteurs culturels d’outre- mers. L’expression artistique passe par la maîtrise de savoirs techniques et théoriques indispensables. C’est, par exemple, l’objectif du futur Pôle Régional des Arts du Spectacle de Guadeloupe (PRAS), initié par le conseil régional de Guadeloupe, et qui proposera au niveau de la Caraïbe, une offre de formation de formateurs de les secteurs de la musique, de la danse, du théâtre et de l’audiovisuel. L’Etat devra accompagner ce type d’initiative.
Proposition n°38 : Promouvoir une offre de formation professionnelle dans les domaines artistiques |
– La diffusion : tous les dispositifs ayant vocation à une plus large diffusion des œuvres locales sont à favoriser :
– mise en œuvre d’un véritable réseau local de salles de spectacle,
– création de sites polyvalents et pluridisciplinaires ouverts sur le monde permettant de rompre un éventuel isolement dans l’expression artistique,
– organisation d’expositions d’art contemporain régulières ou permanentes, dans un
cadre marchand ou non,
– création des réseaux dans les environnements régionaux du Pacifique, de l’océan Indien, de la Caraïbe et dans l’Hexagone,
– création, à terme, d’un centre d’art contemporain pour une promotion culturelle réelle des outre-mer,
– reprise du projet, abandonné par la droite, d’une Cité des outre-mers à Paris chargée de valoriser les cultures des outre-mers mais aussi leurs économies,
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– mise en place d’un observatoire des théâtres de la Caraïbe et de banques de données disponibles à tous,
– institution d’une meilleure protection des droits des créateurs (régionalisation des droits SACEM, discussions avec les collectivités compétentes en la matière, notamment en Polynésie française, pour instituer des sociétés d’auteurs /compositeurs/éditeurs de musique …).
– structuration de passerelles entre l’Hexagone et les outre-mers afin d’élargir le champ de diffusion des œuvres ultramarines.
Proposition n°39 : Mettre en œuvre une politique de diffusion de l’offre culturelle |
– La promotion de la création artistique dans et hors les outre-mers : la création artistique doit être davantage soutenue par l’Etat et les collectivités territoriales en raison de l’étroitesse des marchés locaux. Notre culture doit être envisagée comme l’un des vecteurs principaux de rayonnement des outre-mers. Aussi un accompagnement spécifique sur les plans financier, logistique, technique doit être envisagé. Mais au delà les DRAC doiventt aider à mobiliser localement tous les mécanismes de soutien existants : INTERREG, SACEM, Instituts français, OIF, etc.., afin de permettre la création et la production des œuvres dans et hors les outre-mers.
Les DRAC et les collectivités territoriales doivent s’impliquer davantage afin de renforcer les relations entre les structures régionales, nationales et internationales et doivent institutionnaliser la récurrence de la circulation des œuvres et des hommes entre les outre- mers, l’Hexagone et l’international au sein des réseaux existants.
– L’audiovisuel : L’industrie cinématographique et plus largement le monde de l’audiovisuel doivent être appréhendés sur les plans à la fois culturel et économique. Il serait par conséquent, opportun de valoriser les atouts de chaque territoire dans ce secteur et de créer un véritable vivier d’emplois structuré par des conventions partenariales (avec le CNC). Il s’agit par ailleurs, d’ouvrir les portes des sphères nationales et internationales au potentiel d’expressions audiovisuelles locales.
Le Réseau Outre-mer Première (ex-RFO) doit voir sa mission et son rôle redéfinis de manière à bénéficier d’une plus grande autonomie à l’intérieur du groupe France-Télévision qui lui garantisse une capacité d’investissement propre. France Ô doit, quant à elle, rester une chaîne dont la vocation est d’assurer, dans l’Hexagone, la visibilité et la promotion des outre-mers et de leurs cultures. Sa dilution dans une chaîne ghetto de la diversité n’est pas plus satisfaisante que le projet actuel de la transformer en une sorte de chaîne exotique et touristique de présentation des pays tropicaux !
Proposition n°40 : Renforcer l’autonomie du réseau Outre-Mer Première (ex-RFO) et faire de France Ô une chaîne de promotion des outre-mers |
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Un traitement rénové des questions d’identité et de culture outre-mer doit permettre en réalité, de réinventer les relations entre les outre-mers et l’ensemble national dans un dialogue fécond d’enrichissement mutuel et de construction d’un nouveau savoir « vivre ensemble » dans la diversité.
«La recherche d’identité est devant soi, jamais en arrière. Le retour à la tradition est un mythe, aucun peuple ne l’a jamais vécu. Et je dirais que notre lutte actuelle, c’est de pouvoir mettre le plus possible d’éléments appartenant à notre passé, à notre culture, dans la construction du modèle d’homme et de société que nous voulons pour l’édification de la cité. Notre identité, elle est devant nous » (Jean-Marie TJIBAOU).
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PARTIE V
Sur les questions statutaires et institutionnelles, respecter les populations et leurs élus
Les questions de statut (régime législatif) et d’institutions sont souvent au centre du débat politique outre-mer, ceci au détriment des questions de développement économique, social et culturel.
De surcroît, elles peuvent être instrumentalisées notamment par le pouvoir central.
Dans ce domaine comme dans les autres, on note que le Gouvernement, depuis 2007 a surtout pesé en faveur de solutions éloignant les DOM du droit commun. Lorsque ce type d’évolution recueille le consentement des électeurs comme en Guyane et en Martinique, elles ne peuvent faire l’objet d’aucune critique. Lorsque les autorités centrales poussent à des évolutions en dehors du droit commun comme en Guadeloupe alors que la majorité des élus ne les souhaitent pas, on est face à de nouvelles manifestations de la doctrine du développement endogène voire séparé.
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1.
Des questions politiquement délicates, techniquement
1.1. LES QUESTIONS STATUTAIRES ET INSTITUTIONNELLES DES OUTRE-MERS : DES SUJETS POLITIQUEMENT SENSIBLES ET DÉLICATS À TRAITER POUR L’ÉTAT
L’histoire des outre-mers est marquée voire façonnée par des relations douloureuses avec la France : esclavage, colonisation, révoltes sociales… Ces périodes difficiles de l’histoire commune de la France et des outre-mers se sont souvent soldées par des évolutions statutaires ou institutionnelles ce qui, aujourd’hui encore, laisse penser à certains que c’est dans ce type de solutions institutionnelles que réside la clef de tous les problèmes et que l’évolution institutionnelle est un continuum qui doit mener un jour à une sorte d’état politique parfait.
L’histoire personnelle des hommes politiques ultramarins, en tout cas de la génération qui a été au pouvoir ces 20 dernières années et qui est en train de laisser place progressivement aux plus jeunes, est également marquée par ces questions : étudiants, ils ont souvent côtoyé à Paris les étudiants africains qui se préparaient à l’indépendance de leurs pays et ils ont été influencés par les thèses de 1968. Aux affaires dans leurs territoires, leur action a souvent été guidée par le déterminisme de l’autonomie conçue comme la voie moyenne, le bon équilibre entre une indépendance à laquelle ils renonçaient par réalisme et l’assimilation également perçue comme un renoncement à rester soi-même.
Il en résulte qu’en situation de tension ou de crise, la réponse attendue se formule souvent en termes statutaires ou institutionnels.
Dans ce contexte, l’Etat a longtemps été mal à l’aise, crispé sur des principes binaires : on est dans la République ou on n’y est pas ! On est DOM ou on est TOM ! Il est vrai que toute tentative de l’Etat pour rationaliser le débat étant immédiatement interprétée, de bonne ou de mauvaise foi, comme une volonté d’asseoir une domination ou, au contraire comme le souhait de larguer, les marges de manœuvre étaient étroites.
1.2. LES DÉBATS STATUTAIRES, FACTEURS DE DIVISION
Les questions statutaires et institutionnelles sont l’occasion de prises de position souvent doctrinaires et fortement clivantes entre les élus et entre les citoyens d’outre-mer. Elles sont, pour les responsables publics, à manier avec précaution.
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La question de l’indépendance par exemple constitue, dans plusieurs territoires, un sujet très polémique, voire un objet de luttes politico-syndicales sévères. Dans les DOM, les partis indépendantistes sont, soit quasi-inexistants (La Réunion), soit très minoritaires (Départements Français d’Amérique – DFA). Toutefois, ces partis, par leur activisme, par le contrôle qu’ils exercent sur certains syndicats et par une certaine habileté à sensibiliser l’opinion publique sur des sujets comme les discriminations ou la vie chère, pèsent dans le paysage politique un poids plus fort que celui attaché à leurs seuls résultats électoraux. Paradoxalement, l’indépendance est rarement le but réellement poursuivi par les indépendantistes. Ainsi un sondage réalisé par le Gouvernement à la fin des années 90 montrait que, dans les quatre DOM, les personnes se déclarant proches politiquement des partis indépendantistes étaient très minoritaires (quasi inexistants à La Réunion et de l’ordre de 10% dans les DFA) et que parmi ces personnes, seule une minorité considéraient que l’indépendance était le meilleur statut pour leur territoire. On voit donc que l’affirmation, par ailleurs parfaitement respectable, de positions indépendantistes correspond plus souvent, dans les DOM, à une posture qu’à de véritables convictions. Pour autant, il ne faudrait pas en déduire que la question n’est pas abordée avec force et véhémence dans le débat public.
Elle est le plus souvent reliée à son corollaire qui est la question de la colonie ou de la relation colonisateur/colonisé. Pour pouvoir parler d’indépendance, il faut se prétendre en terre colonisée et présenter le fonctionnaire venant de l’Hexagone ou les entrepreneurs métropolitains comme les colonisateurs. S’en suit un jeu de rôle convenu qui alimente cependant abondamment la vie publique et médiatique de plusieurs territoires et qui complique sérieusement, et sans doute à dessein pour certains, les rapports sociaux et les liens entre communautés. Bien sûr , et nul ne l’ ignore, le temps est révolu où la « métropole » prendrait les armes pour conserver de force et contre son gré un territoire dont la population souhaiterait majoritairement quitter la République. Mais pour les indépendantistes, il faut entretenir le mythe de la Nation opprimée. Ce jeu complexe rend bien entendu extrêmement sensible pour l’Etat l’appréhension de ces questions.
La question de l’autonomie est également très délicate. Les positions autonomistes rassemblent davantage de partisans que les positions indépendantistes. Cependant, rares sont ceux qui mesurent bien les contours d’une telle notion, contours au demeurant flous tant le vocable peut cacher des réalités différentes : en effet, quel rapport peut-il y avoir entre l’autonomie à « l’anglaise, type Montserrat », sorte de vague protectorat où la métropole n’apporte qu’une aide très limitée et l’autonomie « à la française, type Polynésie française » où les élus locaux bénéficient de quasiment tous les attributs du pouvoir d’un Etat, la métropole continuant à payer presque tout ? C’est probablement les incertitudes liées à ce concept d’autonomie aux acceptions multiples qui ont généré, à l’occasion de la consultation des électeurs du 10 janvier 2010 en Guyane et en Martinique, le clivage spectaculaire entre des élus quasiment tous acquis à l’autonomie et des populations qui l’ont rejetée à une immense majorité.
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1.3. DES QUESTIONS TECHNIQUEMENT COMPLEXES
Les débats de ces dernières mois autour de ces questions en Guadeloupe, en Guyane et en Martinique ont montré que la population a du mal à comprendre les enjeux et les implications des réformes envisagées mais que pour autant, elle ne se laisse pas facilement entraîner à l’aventure et choisit le plus souvent les positions les plus prudentes.
Un premier constat est que la population, dans son immense majorité, confond la question statutaire, assez lourde de conséquences, et qui est celle du choix du régime législatif (identité ou spécialité législative) ou, autrement dit, celle du choix du type de lien avec la République (autonomie ou non) et la question institutionnelle, moins déterminante et qui est celle du choix des institutions publiques (région, département, collectivité ou assemblée unique…).
Alors, a fortiori, il est difficile de faire comprendre les mérites comparés des articles 73 et 74 de la Constitution, les subtilités des consultations populaires ou les différences entre collectivité unique et assemblée unique.
La situation contemporaine est d’une complexité jamais atteinte par le passé : avec les statuts particuliers de la Martinique et de la Guyane et l’arrivée de Mayotte, département doté d’une seule collectivité à côté des communes, la catégorie des DOM n’est plus homogène. Aujourd’hui, pour la première fois depuis 1946, chaque collectivité ultra-marine française dispose d’un statut qui lui est propre.
1.4. DES SENSIBILITÉS DIFFÉRENTES SELON LES TERRITOIRES
En Martinique et en Guyane où, depuis trente ans, une partie importante des élus a laissé entendre à la population que le développement ne pouvait résulter que de l’évolution statutaire et institutionnelle, la réforme des institutions est en cours. Les électeurs ont repoussé massivement le passage à un statut d’autonomie de l’article 74 mais ont accepté assez nettement la création d’une collectivité unique se substituant au département et à la région. Le projet de loi créant ces collectivités prévoit qu’elles devraient être en place en 2014 ;
A La Réunion et en Guadeloupe, la population marque une grande méfiance à l’égard des évolutions statutaire ou institutionnelle. A La Réunion, les élus sont sur la même ligne que la population. En Guadeloupe, où existent des mouvements indépendantistes et autonomistes significatifs, certains élus seraient favorables à davantage d’évolution mais ils ne l’expriment qu’avec mesure, craignant de se couper de leur électorat.
A Saint-Barthélemy et Saint-Martin, le pas a été franchi en 2003 et ces deux anciennes communes de Guadeloupe relèvent désormais du statut de Collectivité d’Outre-Mer (COM) de l’article 74 de la Constitution. A Saint-Barthélemy où la situation économique est favorable, il semble que la population se satisfasse de son nouveau statut plus autonome. A
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Saint-Martin où l’économie est moins florissante, des risques financiers se font jour pour la nouvelle collectivité qui pourraient amener les électeurs à s’interroger sur leur choix.
A Mayotte, la population a préféré faire le chemin inverse de celles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin en choisissant de quitter un statut de COM de l’article 74 et de passer au statut de DOM/ROM de l’article 73 de la Constitution. Mayotte est, depuis avril 2011, le 101ème département français exerçant aussi les compétences d’une région. Les Mahorais s’interrogent cependant sur les moyens que le Gouvernement est prêt à mettre en place pour que cette départementalisation se traduise par un véritable rattrapage.
En Polynésie française, la loi du 27 février 2004, fait de l’archipel un « pays » d’outre-mer faisant partie des COM de l’article 74 de la Constitution « dotée de l’autonomie ». De fait, dotée d’une forte autonomie, cette collectivité est marquée par une instabilité institutionnelle et politique qui freine son développement. Une énième loi modifiant le mode de scrutin a d’ailleurs été promulguée le 1er août 2011.
La Nouvelle-Calédonie, depuis l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, est régie par un statut constitutionnel spécifique de forte autonomie dérogeant à plusieurs dispositions et principes constitutionnels et comportant notamment des lois du pays à valeur législative, un transfert progressif des compétences de l’Etat et une citoyenneté calédonienne dans la nationalité française, donnant des droits particuliers en matière électorale et d’emploi. Elle doit se prononcer sur son accession à la pleine souveraineté entre 2014 et 2018.
A Saint-Pierre-et-Miquelon, les questions statutaires et institutionnelles et leurs répercussions sur l’appartenance de l’archipel à l’Union européenne ont longtemps alimenté le débat politique. Passé successivement du statut de TOM, à celui de DOM puis à celui de collectivités sui generis devenue COM en 2007, il a expérimenté plusieurs formules statutaires et institutionnelles. Le débat statutaire n’y est pourtant pas d’une vigueur particulière.
A Wallis et Futuna, le statut de 1961 qui confère une autonomie politique à l’archipel est toujours en vigueur et la crise politique de 2005 a illustré la difficulté à concilier coutume et administration « plus classique ». La modernisation du statut de cette COM est donc une question à appréhender avec circonspection.
La diversité des statuts des outre-mers français et la capacité offerte à certains d’entre eux d’intervenir dans des domaines réservés, au plan national, à la loi ou au règlement confère à notre pays un caractère quasi fédéral souvent ignoré.
La prise en compte désormais assumée des aspirations des élus et des populations à se doter d’institutions adaptées a conduit les administrations centrales à innover sur le plan juridique et l’on peut aujourd’hui considérer l’outre-mer français comme un véritable laboratoire juridique, statutaire et institutionnel, dont l’expérience peut être utile tant au plan national qu’ international.
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On mesure donc la complexité du sujet statutaire et institutionnel des outre-mers. Le débat nourri de méfiance et de ressentiment historique, complexe juridiquement et chargé de symboles politiques doit être abordé par les gouvernements et les élus locaux avec la plus grande prudence.
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2.
Des réponses de l’Etat nécessairement équilibrées et fondées sur des principes forts
Dans son programme pour l’outre-mer, élaboré avant l’élection présidentielle de 2007, le parti socialiste posait quelques principes politiques à l’égard de ces questions qui restent globalement valables aujourd’hui.
2.1. NE FAIRE DES ÉVOLUTIONS STATUTAIRES OU INSTITUTIONNELLES NI LA PRIORITÉ, NI LE FONDEMENT DE LA POLITIQUE ULTRAMARINE
L’Etat doit rester bien entendu à l’écoute des aspirations à faire évoluer les statuts ou les institutions qui pourraient se dégager dans certains territoires. Mais ces évolutions ne sauraient faire office de politique ultramarine et constituer La priorité. On l’a vu, les sensibilités sur ces questions varient selon les territoires et il ne serait pas pertinent de chercher à imposer telle ou telle formule institutionnelle ou de vouloir imposer une direction commune aux évolutions statutaires ou institutionnelles dans l’ensemble de ces territoires.
Les socialistes des années 80 qui, pour certains, imaginaient l’outre-mer comme un ensemble de territoires à émanciper, ont dû se rendre à la réalité et adopter des politiques adaptées à chaque territoire et tenant compte des aspirations des populations.
Pour autant, des réponses claires doivent être apportées lorsque manifestement des blocages statutaires ou institutionnels révélés freinent le développement économique et social, lorsque les élus réclament majoritairement des évolutions et que la population confirme ces souhaits ou lorsqu’il convient de résoudre une crise politique grave.
C’est ce que la gauche a bien réussi, en Nouvelle-Calédonie, en 1988 avec les accords de Matignon et en 1998 avec l’accord de Nouméa, ou, à Mayotte, en 2000 avec l’accord de Paris. La droite, quant à elle, a légitimement donné suite aux demandes des élus et des populations de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin exprimées en 2003 et elle s’emploie aujourd’hui à mettre en place les institutions approuvées par les électeurs de Guyane et de Martinique en janvier 2010.
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2.2. NE PAS SE CRISPER VIS-A-VIS DES QUESTIONS STATUTAIRES ET INSTITUTIONNELLES
Les questions statutaires et institutionnelles ne doivent pas devenir des sujets de crispation entre les collectivités d’outre-mer et l’Etat qui doit pouvoir entendre toutes les aspirations et leur apporter des réponses.
Cela ne signifie pas qu’il doive donner systématiquement satisfaction aux demandes des élus. La voix des électeurs est primordiale en la matière. Mais ce n’est pas parce qu’il pressentirait un décalage entre les élus locaux et la population, que l’Etat devrait refuser un dialogue respectueux avec les élus sur ces questions.
Inversement, l’Etat ne doit pas se laisser inoculer par certains le virus du colonisateur repentant et il doit refuser d’entrer dans une dialectique colonisateur/colonisé. Les aspirations à l’indépendance sont respectables et elles peuvent parfaitement s’exprimer, dans tous les outre-mers, à travers le jeu démocratique classique. C’est le respect des règles démocratiques qui doit systématiquement prévaloir.
Proposition n°41: Rester à l’écoute des demandes sociales relatives aux évolutions statutaires sans jamais en faire un enjeu politicien |
La question se pose toutefois en termes particuliers en Nouvelle-Calédonie, compte tenu des conditions historiques de la colonisation, avec une forte présence du peuple d’origine et sans doute aussi en Polynésie française. Ces spécificités justifient que le corps électoral appelé à se prononcer, le cas échéant, sur l’accession à la pleine souveraineté soit restreint.
2.3. POUR AUTANT NE PAS « JOUER » AVEC CES QUESTIONS
La droite enregistre plusieurs expériences malheureuses d’instrumentalisation des débats statutaires ou institutionnels à des fins politiciennes. En effet, sans remonter aux aventures calédoniennes de la fin des années 1980, il suffit pour s’en convaincre de se rappeler les tentatives d’alliance de la droite avec les indépendantistes pour déstabiliser la gauche en Guadeloupe, début 2009, qui ont eu les résultats calamiteux que l’on sait pour le Gouvernement et pour la société guadeloupéenne.
La tentation est également forte pour la droite, au vu des sondages qui montrent l’inclination cartiériste de son électorat, de tenter de pousser les outre-mers vers la sortie. Pendant la crise de début 2009, en Guadeloupe, Le Figaro avait publié un sondage qui montrait que 51% des Français étaient favorables à l’indépendance de la Guadeloupe. Il était intéressant de noter que chez les électeurs de Nicolas SARKOZY, ce pourcentage montait à 58% alors que chez ceux de Ségolène ROYAL il descendait à 33%. Cela ne signifie pas que la droite serait plus émancipatrice que la gauche ou que la gauche aurait des tendances « colonisatrices ». Cela montre simplement qu’à droite, la proportion de cartiéristes qui considèrent les outre-mers
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comme une charge est importante et que les gens de gauche ont davantage le désir de constituer une Nation composée de métropolitains et d’ultramarins et qu’ils vivent mieux la différence au sein de la République.
Ces questions sont trop importantes, trop sensibles ne pas être abordées par l’Etat dans un esprit de coopération, de transparence, de loyauté et de franchise.
2.4 LE RESPECT DE LA DÉMOCRATIE AVANT TOUT
C’est en effet cette même importance qui a conduit le législateur d’abord, avec le projet de loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000, puis le Constituant ensuite, avec la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, à mettre en place des garanties démocratiques donnant au peuple une sorte de droit de veto sur les choix statutaires ou institutionnels les plus lourds.
Il est opportun de respecter ces garanties car l’histoire récente a montré qu’un clivage net pouvait exister entre les élus d’un territoire qui aspirent à davantage de pouvoir local et leur population, méfiante, qui préfère la sécurité de statuts plus intégrateurs dans la République.
Le choix du Gouvernement actuel, certes validé par le Conseil constitutionnel en décembre 2010 sur des considérations purement politiques, de ne pas consulter les électeurs de Guadeloupe et de La Réunion sur la création, par la loi de réforme des collectivités territoriales, d’une assemblée unique commune au département et à la région constitue à cet égard un recul démocratique inquiétant.
Proposition n°42: Assurer une pleine mise en œuvre des principes posés par la Constitution, notamment dans les règles prévoyant le recueil du consentement de la population |
Un gouvernement de gauche en 2012 devra se montrer particulièrement scrupuleux dans le respect des garanties démocratiques, établies d’ailleurs par la droite en 2003, en faveur des populations d’outre-mer dans la Constitution.
En particulier dans les collectivités qui bénéficient, du fait des réformes institutionnelles, d’ une certaine forme de concentration des pouvoirs, l’Etat doit veiller au bon fonctionnement des contre-pouvoirs, notamment dans les domaines juridictionnels (magistrats, fonctionnement du service public de la justice judiciaire et administrative), mais aussi s’agissant des autorités administratives indépendantes (CSA, HALDE, Contrôleur des lieux de détention…) ou des chambres régionales des comptes.
Proposition n°43 : Veiller au bon fonctionnement des contre-pouvoirs outre-mer |
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2.5. QUELQUES PRINCIPES RÉPUBLICAINS POUR ENCADRER LES ÉVOLUTIONS
On pourrait s’interroger sur les situations de collectivités qui bénéficient de services publics financées par l’Etat sans qu’aucun impôt d’Etat ne soit collecté sur leur territoire, comme en Polynésie française.
Cependant, la compétence en matière fiscale de la collectivité est ancienne dans les collectivités d’outre-mer et, même si le Conseil constitutionnel a reconnu que l’Etat pouvait lever des impôts pour le financement de ses compétences, il ne semble pas possible politiquement ni même techniquement de mettre en place un double système fiscal. Du moins, la fiscalité de ces collectivités doit-elle être juste. La gauche devra, en contrepartie des efforts que la Nation consent à ces collectivités, faire pression sur les institutions locales pour obtenir une modernisation de leurs régimes fiscaux.
Dans le même ordre d’idées, on peut s’interroger sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à ne pas subordonner les transferts de compétences les plus lourds en faveur de Mayotte, à la mise en place effective d’une véritable fiscalité locale.
De manière symétrique, les transferts de compétences résultant d’évolutions statutaires ou institutionnelles doivent être équitablement compensés sur le plan financier. Le cas de Saint- Martin offre l’exemple inverse d’un Gouvernement qui n’a pas joué le jeu.
Parmi les principes à respecter pour traiter des questions statutaires et institutionnelles, figure aussi la nécessaire distinction entre dialogue social et syndical d’une part, et négociation politique, d’autre part. La confusion des genres entretenue pour créer le rapport de force doit être prise en considération mais ne doit pas conduire l’Etat à confondre les enjeux et les techniques de traitement de deux types de question différents.
2.6. POUR UNE ADMINISTRATION DE L’OUTRE-MER TECHNIQUEMENT COMPÉTENTE ET POLITIQUEMENT FORTE
L’évolution différenciée des statuts des outre-mers fait que leur administration est devenue beaucoup plus complexe qu’à l’époque où n’existaient que deux catégories de collectivités, les DOM et les TOM.
Elle nécessite une organisation spécifique au sein de l’appareil d’Etat afin que, dans l’élaboration des textes, la situation statutaire ou institutionnelle particulière de chaque collectivité soit prise en compte.
Le degré de complexité est devenu tel qu’il justifie un ministère des outre-mers à la fois fort politiquement pour que ces spécificités soient convenablement traitées au plan interministériel alors qu’elles sont devenues un facteur de retard dans l’élaboration des textes et donc de tensions entre ministères, et techniquement compétent pour être considéré par les autres ministères légitime à réclamer des adaptations. La création d’un ministère plein se justifie donc.
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Le caractère éminemment interministériel des questions ultramarines plaide aussi pour un ministère relevant directement du Premier ministre. En effet, le rattachement au ministre de l’intérieur, outre qu’il ne reflète pas cette vocation interministérielle du ministère de l’outre-mer lui confère une image trop politique et trop sécuritaire néfaste sur le plan politique.
Proposition n°44 : Créer un ministère de l’outre-mer autonome du ministère de l’intérieur et rattaché directement au Premier ministre |
Le ministère de l’outre-mer doit disposer d’une administration solide dotée de fonctionnaires spécialisés techniquement pour « faire le poids » et être considérés comme légitimes face à leurs interlocuteurs des ministères techniques. La récente création de la Délégation Générale à l’Outre-Mer (DGOM) fruit de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) qui s’est traduite par de nombreuses suppressions de postes ne va pas dans le sens du renforcement de l’ administration de l’outre-mer pourtant rendu indispensable par ces évolutions statutaires et institutionnelles ;
A u plan local, l’ administration est également plus complexe outre-mer du fait des spécificités juridiques, économiques et sociales. Cette complexité nécessite l’affectation de fonctionnaires expérimentés dans les préfectures et les services extérieurs de l’Etat. La réorganisation des services extérieurs de l’Etat consécutive à la RGPP s’est traduite par la réduction des effectifs, de cadres notamment. Présentée comme une rationalisation, il conviendra d’ en surveiller précisément les effets afin de corriger les éventuelles insuffisances.
Par ailleurs, le renforcement des services extérieurs de l’Etat par la nomination de « commissaires au développement endogène » par le Gouvernement actuel aurait pu constituer une innovation administrative intéressante si la conception du développement à promouvoir n’avait pas été restreinte à sa dimension endogène et surtout si elle avait été accompagnée de moyens. Si le Fonds Exceptionnel d’Investissement avait été réellement doté, si un FIP-DOM avait été créé, un commissaire au développement aurait pu disposer de moyens, pour, aux côtés du préfet, agir sur le développement. Il conviendra de reprendre cette idée issue des états-généraux en lui donnant une véritable densité.
2.7. NE PAS AGIR DANS LA PRÉCIPITATION
Les évolutions statutaires et institutionnelles introduisent des changements souvent majeurs dans les méthodes de travail des administrations locales, dans les rapports de travail entre l’Etat et les collectivités. Elles nécessitent aussi des modifications dans le traitement juridique des collectivités concernées par les administrations centrales.
Pour être assimilées, ces changements demandent du temps. Les élus comme les administrations locales, déconcentrées et décentralisées, ont besoin de les « assimiler », de s’approprier les statuts et les institutions. Des réflexes doivent se créer au niveau central. Les montées en charge prennent du temps.
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Il convient donc de concevoir ces évolutions dans la sérénité, de ne pas les précipiter et d’assurer une certaine stabilité institutionnelle aux collectivités d’outre-mer. Lorsque le statut et les institutions d’une collectivité ont été modifiés, il est nécessaire de marquer une pause avant de les faire évoluer à nouveau.
De même, l’Etat doit offrir son accompagnement aux collectivités qui en exprimeraient le besoin pour la mise en place de nouvelles institutions, de nouvelles procédures de travail ou pour la prise en charge de compétences transférées.
Enfin, la situation financière des collectivités territoriales d’outre-mer doit être prise en compte dans les transferts de compétences et il convient d’éviter les transferts « forcés » destinés pour l’Etat à se débarrasser sur les collectivités territoriales de compétences aux coûts difficilement maîtrisables.
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Annexe
Bibliographie
Rapports et études récentes :
Publications annuelles :
• Monographies de l’IEDOM et de l’IEOM, synthèses de la situation économique et monétaire des DOM et les COM.
• Tableaux économiques régionaux TER des directions régionales de l’INSEE Antilles-
Guyane et de La Réunion, les tableaux de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française de l’ISEE et de l’ISPF.
Rapport de l’Autorité de la concurrence « Dynamiser la concurrence au service de tous », Collection Déclic, la documentation française, 2011.
«Le microcrédit professionnel en outre-mer : de la création de mono-entreprises au développement économique durable », Les Notes des Instituts d’émission, IEDOM-IEOM, 2011.
« Le chômage empêche la convergence du revenu des ménages entre régions ultramarines et métropolitaines », Les Notes des Instituts d’émission, IEDOM-IEOM, 2011.
Comparaison des prix entre les DOM et la métropole en 2010, INSEE Première, juillet 2010
«Les collectivités locales des DROM : des acteurs majeurs du développement
économique », Les Notes des Instituts d’émission, IEDOM-IEOM, 2010.
L’outre-mer français : où en sommes-nous ? Regards sur l’actualité, La Documentation
française, novembre 2009.
Les Etats généraux de l’outre-mer, Rapports et décisions du premier Conseil Interministériel de l’Outre-Mer (CIOM), novembre 2009.
Rapport du groupe socialiste à l’Assemblée nationale sur l’état d’avancement des mesures du CIOM, mai 2011.
Rapport sur la fixation des prix du carburant dans les départements d’outre-mer, IGF, IGA, IGIET, mars 2009.
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Rapport d’information de M. Éric Doligé, fait au nom de la Mission commune d’information outre-mer : « Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir », juillet 2009.
Programme du Parti Socialiste pour l’outre-mer, 2007.
Démographie, revenus, pauvreté
Les départements d’outre-mer face aux défis du vieillissement démographique et des migrations, INED, octobre 2009.
« Wallis-et-Futuna : recensement de la population de 2008 : 10% d’habitants en moins depuis 2003 », INSEE Première, n°1251, juillet 2009.
« La croissance démographique reste dynamique », Mayotte Infos, avril 2009.
« Projections de population pour la Polynésie à l’horizon 2027 », Points forts de la Polynésie française, ISPF N°3/2009.
« Projections de population pour la Nouvelle-Calédonie à l’horizon 2030 : une évolution entre croissance et vieillissement », ISEE.
« Les projections de la population aux Antilles-Guyane à l’horizon 2030 », Les Cahiers Antilles- Guyane, INSEE, 2008.
« Population et ménages en 2030 », Economie de La Réunion n°132, INSEE Réunion, avril 2008.
« Les approches de la pauvreté en Polynésie française : résultats et apports de l’enquête sur les conditions de vie en 2009 », Agence Française de Développement, novembre 2010.
« Les inégalités aux Antilles-Guyane : dix ans d’évolution », INSEE Antilles- Guyane, juillet 2009.
« Plus de pauvreté en 2006 qu’en 2001 », Revue économie de la Réunion, INSEE, n° 134, avril 2009.
Logement
« L’habitat dans les outre-mer français : progrès, enjeux, disparités », Les Notes de l’Institut d’émission, IEDOM-IEDOM, 2010.
Rapport « L’habitat insalubre et indigne dans les départements et région d’outre-mer : Un défi à relever », Serge Letchimy, député de Martinique, octobre 2009.
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Rapport d’information « Des ambitions aux réalisations : retour sur deux ans de politique du logement outre-mer », Commission des finances, Sénat, mai 2008.
« L’évaluation de l’impact socio-économique du dispositif de défiscalisation des investissements outre-mer, Inspection générale des Finances et Inspection générale de l’Administration», juillet 2006.
« Le logement en Martinique : des logements de plus en plus confortables, mais des défauts encore fréquents », Premiers résultats n°44, INSEE Antilles-Guyane, juillet 2009.
« Le logement en 2006 », Revue l’Economie de La Réunion, Hors-série n°5, juin 2009.
« De petits logements pour de grands ménages », Mayotte Infos, INSEE, avril 2009.
Santé
L’offre de santé dans les collectivités ultramarines, rapport du CESE, juillet 2009.
Culture
Rapport Colardelle sur la culture outre-mer, 2010.
Rapports, bilans et recommandations du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CPMHE).
Institutions, démocratie
Jean-Philippe Thiellay, Droit des outre-mers, Dalloz, 2ème éd, sept. 2011
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