LE VOTE DE L’OUTRE-MER LORS DES ELECTIONS PRESIDENTIELLES 1965 / 2012, EVOLUTIONS ET TENDANCES
LE VOTE DE L’OUTRE-MER LORS DES ELECTIONS PRESIDENTIELLES 1965 / 2012, EVOLUTIONS ET TENDANCE
Les élections législatives de 1967 ont beaucoup fait pour le mythe d’un vote ultramarin d’autant plus décisif que le scrutin national est serré.
Rappelons nous en effet que contre toute attente, dans un second tour aux résultats imprévisibles, il s’en était fallu de très peu pour que la majorité gaulliste soit battue. En effet sur 470 sièges en métropole, la majorité n’en avait conquis que 233 et ne disposa in fine d’une très courte majorité de 244 sièges sur 487 que grâce à…l’Outre-mer.
Mais depuis lors, comme auparavant d’ailleurs, jamais le vote de l’Outre-mer n’a fait la différence et a permis de d’inverser les résultats d’un scrutin national.
Comme l’écrit très justement le politologue et historien Yvan Combeau ( Le vote de l’outre-mer, collectif, Éditions Les Quatre Chemins, 2007) : « Dans la pertinence de l’arithmétique électorale et l’analyse des scrutins, il n’en est rien. Les Outre-mers composent des réalités politiques dans l’ensemble national. Leurs votes ne font pas l’élection, ou plus justement ne le font pas plus, pas davantage, que d’autres territoires, départements, régions, dans l’ensemble de la France. Ils participent à dégager un résultat national. L’Outre-mer n’est en rien un « outre-vote ».
Il aurait pu ajouter qu’il est aussi un peu surprenant de parler d’un vote Outre-mer alors que l’Outre-mer est par nature diverse, y compris sur le plan électoral où l’on marque des différences importantes entre le Pacifique et les Antilles, l’Océan Indien où la Guyane.
Le vote Outre-mer est cependant intéressant à analyser car, en l’espace de quelques décennies, il a radicalement basculé du plébiscite à la droite à un vote de gauche affirmé qui devrait encore s’amplifier lors de l’élection présidentielle et des élections législatives de 2012.
En outre, comme le souligne pertinemment un politologue, ce votre Outre-mer, fait pendant longtemps de clientélisme, d’irrégularités nombreuses, d’abstentions massives a contribué à forger dans l’esprit des métropolitains une image négative ou à tout le moins folklorique de l’Outre-mer.
Posons nous donc les questions de savoir comment on est passé passé d’un vote singulier connoté à droite à un vote de « droit commun » ? Comment cette évolution a-t’elle été possible ? Comment expliquer son ampleur ? Est-elle définitive ? Qu’apporte le ou les votes ultramarin(s) dans la compréhension de la vie politique et sur la carte politique française.
Données géographiques, démographiques, et droit électoral
Il convient tout d’abord de rappeler que, dans la période qui nous intéresse 1965 / 2012, le périmètre de l’Outre Mer a quelque peu changé. Les élections de 1965 à 1974 inclus comprenaient entre autres le Territoire Français des Afars et Issas (actuelle République de Djibouti), l’ensemble de l’archipel des Comores et non seulement Mayotte, comme aujourd’hui et les Nouvelles Hébrides (actuelle République du Vanuatu, à l’époque condominium franco britannique, statut sans équivalent sur le globe).
Les conséquences ne sont pas neutres quand on sait que les électeurs inscrits étaient au nombre de 113 014 aux Comores et 30 355 dans la Côte française des Somalis en 1965 et que l’on verra comment ces territoires votaient.
L’autre aspect, c’est évidemment l’évolution à la hausse du nombre des électeurs dans à peu près tous les cas, sauf celui de Saint Pierre et Miquelon. Cette évolution est particulièrement spectaculaire comme le montre le tableau ci-après :
1965 | 2007 | Différence | % | |
Polynésie | 36 973 | 167 577 | 130 604 | 353,2 |
Guyane | 14 690 | 62 727 | 53 037 | 361,0 |
La Réunion | 161 158 | 511 033 | 349 875 | 217,1 |
Martinique | 151 172 | 287 518 | 136 346 | 90,2 |
Guadeloupe | 126 919 | 303 222 | 176 303 | 138,9 |
France entière | 28 913 422 | 44 472 834 | 15 559 412 | 53,8 |
Le dernier aspect « technique » lorsqu’on analyse les résultats conduit à rappeler que jusqu’en 2007 les ultramarins votaient tous le dimanche. Mais, décalage horaire oblige, la plupart de ces territoires accédaient aux bureaux de vote alors que les résultats de la présidentielle étaient déjà proclamés à Paris. De quoi les encourager à s’abstenir…ou à voler au secours de ce que les électeurs anticipent être la victoire et donc d’amplifier les résultats. Pour régler ce problème, les habitants de Polynésie, des Antilles, de Guyane, et de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon votent désormais avec un jour d’avance, le samedi.
L’analyse globale
La France d’Outre-mer de 1965 se caractérise par un très fort niveau d’illettrisme. L’accès aux media, d’ailleurs rares et peu pluralistes, est donc restreint et réservé à une élite. Internet n’existe pas, non plus que les portables. L’accès à l’information et à la chose politique est donc très « intermédié ». C’est l’époque reine du clientélisme politique, plutôt au sens romain du terme ou à l’intermédiation religieuse, celle des « cadis » notamment aux Comores et sur la Côte française des Somalis.
Les grands leaders politiques sont tous à droite, à l’exception d’Aimé Césaire ou de Gaston Monnerville, nous y reviendrons. Sont donc présents ou apparaissent dans le champ politique Michel Debré à La Réunion ; Henri Lafleur puis Jacques Lafleur en Nouvelle-Calédonie, Rudy Bambridge puis Gaston Flosse en Polynésie Française. A noter également qu’en Nouvelle-Calédonie, Roch Pidjot leader de l’Union Calédonienne, premier parti indépendantiste, est proche des partis centristes de métropole et est affilié au groupe du Mouvement Réformateur avant de se rapprocher de la gauche ensuite. La Guadeloupe entre 1968 et 1978 est également représentée par deux députés sur trois et un sénateur ([1]), avant que Lucette Michaux-Chevry ne prenne le leadership du département. On retrouve la même situation en Martinique où, aux cotés de Césaire siègent deux députés de droite et deux sénateurs ([2]).
Les intellectuels, notamment aux Antilles, ont curieusement déserté le champ politique électoral, à l’exception notable d’Aimé Césaire. C’est d’autant plus surprenant que tous se sont fortement engagés très tôt en faveur de la « créolité », contre l’esprit colonial et pour les idéaux tiers-mondistes.
A la fin des années 60 et dans les années 70, peu d’intellectuels émergent donc sur la scène politique. Patrick Chamoiseau est trop jeune de même que Raphaël Confiant ou Daniel Maximin.
Sur la scène culturelle existent bien sur Joseph Zobel, mais il n’est pas tenté par la politique et se tient en retrait, et Max Orville, mais il ne rentrera du Sénégal qu’au début des années 1980 et n’aura pas une influence politique majeure.
Frantz Fanon qui a influencé de nombreux intellectuels du tiers monde et a théorisé l’aliénation psychotique provoquée par l’oppression coloniale aurait pu jouer ce rôle de détonateur. Mais décédé en 1961, son implication au sein du FLN algérien lui vaut un opprobre national et son œuvre est occultée. Il ne sera redécouvert véritablement qu’au début des années 2000. Edouard Glissant qui fut proche des thèses de Fanon fut interdit de séjour en Martinique jusqu’en 1965. Toutefois sa rupture idéologique avec les thèses de Césaire le marginalise un peu, du moins sur le plan politique local. Il quittera d’ailleurs son île dans les années 80 pour vivre quelques années aux Etats Unis.
Le rôle d’Aimé Césaire
Reste donc le cas d’Aimé Césaire. Personne ne conteste l’immensité de son œuvre poétique, mais son parcours politique suscite, surtout parmi ses « amis » politiques quelques réserves. Le poète sénégalais Amadou Lamine Sall le résumera ainsi :
« il sera pardonné à celui qui aura beaucoup donné, car l’engagement politique de CESAIRE a eu ses limites sinon ses interrogations, ses hésitations pour achever un combat total. Mais les raisons existent sans doute pour expliquer l’élan politique mutilé du grand poète et député-maire de Fort-de-France, frileux sur l’indépendance de son pays. Ne lui a-t-on pas prêté ce mot lourd de repentir : « Ma poésie est une revanche sur ma politique »
Un certain nombre d’ultramarins reprochent en effet à Césaire d’avoir contribué à éveiller les consciences mais d’avoir refusé l’affrontement avec la métropole. Il s’en est d’ailleurs justifié à plusieurs reprises : « Pendant des années, j’ai essayé d’amener les Antillais, pas après pas, à une plus grande prise de conscience qui permette des solutions plus hardies. J’ai toujours pensé qu’en politique, un petit pas fait ensemble vaut mieux qu’un grand bond solitaire ».
Césaire, qui respectait en outre le Général de Gaulle et croyait en sa volonté émancipatrice, après que Malraux lui ait apporté un message du Général en 1958 qui laissait espérer une évolution du statut des DOM par un accroissement de leurs franchises locales, a sans doute considéré au début de la Vème République que « le temps n’était pas venu ».
Il écrira plus tard que le Général avait tenu des promesses autrement importantes. « Entre le oui mystique et le non mécanique, entre le oui béat des fanatiques et le non des robots », il choisit le oui de la vigilance et du contrat entre le Général et la Martinique.
Mais il n’y avait rien, en tout cas aucun vrai consensus derrière Césaire sur cette ligne. Le PPM (Parti Progressiste Martiniquais) avait six mois. La gauche était divisée, encore profondément meurtrie des suites de la démission de Césaire du P.C.F.
Césaire rencontra de Gaulle le 23 mars 1964 à la mairie de Fort-de-France, sept jours après le discours du Général à Mexico et alors que le PPM venait résolument de mettre le cap sur l’autonomie. Césaire avait été meurtri par l’échec de Sékou Touré et les débuts tragiques des indépendances en Afrique. Les premiers balbutiements de l’unité retrouvée de la nouvelle gauche autonomiste, autour du procès de l’Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique, ne pouvaient suffire à ébranler l’aura du Général, ovationné par la foule.
Césaire comprit alors que le peuple ne le suivrait pas, du moins pas tout de suite. Le Général obtiendra en 1965, au premier tour, 89,3 % des voix en Martinique, 87,9 % en Guadeloupe et 67,7 % en Guyane.
Césaire, déçu par Pompidou avec lequel il aura peu de relations bien que celui-ci soit un ami de Senghor et grand amateur de poésie, changera radicalement d’attitude à la fin des années 60, à cause de la détérioration de la situation sociale et politique en Martinique qui poussera le PPM à une certaine radicalisation. Cette radicalisation atteindra son paroxysme lors du 7ème congrès du parti en juillet 1977 avec le mot d’ordre « d’autonomie pour la nation martiniquaise, étape vers l’émancipation définitive ».
Mais la victoire de François Mitterrand en mai 1981 le conduira à un nouveau recul sur la question et à décréter un « moratoire » sur la revendication statutaire. En effet avec l’élection de François Mitterrand débute pour l’Outre-mer la troisième phase d’évolution institutionnelle marquée par l’acte 1 de la décentralisation et la création de quatre régions monodépartementales. C’est le temps de la naissance des exécutifs régionaux lors des scrutins de 1983 puis de la dimension européenne avec l’émergence des Régions Ultra-Périphériques dans le Traité de Maastricht en 1992.
La question institutionnelle et les conséquences de l’indépendance Algérienne
La loi du 19 mars 1946, événement fondateur, forme originale d’une décolonisation intra-française selon l’expression d’Yvan Combeau, a transformé les quatre « vieilles colonies » (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) en départements. Elle s’est construite autour des thèmes de l’assimilation, de l’intégration et de l’exigence de l’égalité sociale afin de sortir de la misère coloniale.
S’en est suivi une période un peu curieuse, sous la quatrième République, où les D.O.M. ont continué de vivre dans un statut à mi-chemin entre la colonie et le département et d’accumuler les retards économiques et sociaux. Les quatre îles restent alors pour reprendre l’expression d’André Blanchet (lors de son enquête pour Le Monde en 1949) des départements abandonnés. Ils sont les oubliés, les angles morts de la République.
Les décolonisations, la disparition du projet de la Communauté ouvrent une seconde phase dans laquelle la problématique de l’Outre-mer réapparaît dans le champ de la politique française. En 1959, le premier gouvernement de la cinquième République et l’engagement gaulliste, redonnent force au projet départementaliste. Dès lors les combats institutionnels dominent les années 60 et 70 entre les partisans de l’intégration et de l’autonomie : une bipolarisation droite-gauche dominée par la question de l’autodétermination.
Les élections présidentielles de 1965 et même de 1969 vont donc avoir lieu Outre-mer dans ce contexte « post indépendance » de l’Algérie qui a suscité beaucoup d’espoirs dans certains territoires. Ainsi à la Réunion, Paul Vergès qui a succédé comme député à son père Raymond Vergès lors des élections législatives de 1956, fait clairement campagne pour l’autonomie de La Réunion, ce que beaucoup traduisent par « indépendance ».
Le coup de génie des gaullistes consistera à envoyer dans l’île en 1963, pour des élections législatives partielles, Michel Debré qui avait été battu l’année précédente dans sa circonscription d’Indre et Loire. Le 1er mai 1963, Michel Debré déclarera lors d’un grand rassemblement à St Denis, que le seul espoir de développement, de liberté et d’égalité ne peut se faire que dans l’ensemble français. Porté en triomphe par la foule, il est élu le 5 mai avec 80,75% des votes contre Paul Vergès qui est balayé. Michel Debré sera réélu au 1er tour en 1967 avec 79,14 %, toujours au 1er tour en 1968 avec 80,94 % et en 1973 avec 61,73%. Dans son sillage tous les députés de l’île (Marcel Cerneau, Gabriel Macé puis Jean Fontaine) seront UDR.
Ce scénario du maintien dans la France pour assurer l’avenir se répètera très largement sur tous les territoires, donnant aux élus de droite des majorités très confortables et assurant des scores électoraux impressionnants au Général de Gaulle et à Georges Pompidou.
L’affectif…
Il est un dernier point, si l’on veut bien comprendre l’Outre-mer électoral. Henri Emmanuelli le résume ainsi « Lorsque François Mitterrand m’a nommé à l’Outre-mer, il m’a dit vous verrez l’Outre-mer c’est passionnant et quand on a été ministre de l’Outre-mer on n’oublie jamais. ». Les ultramarins aiment qu’on les aime et qu’on ne les oublie pas.
l’Outre-mer a souvent eu ce sentiment que le proverbe « loin des yeux, loin du cœur » résume bien. « Danseuse de la République », « gouffre financier », « peuples indolents ou contestataires », « royaume de la subvention »…tous ces poncifs et analyses à courte vue blessent les ultramarins. Ils ont eu le sentiment d’être une chance et non une charge pour la République. Alors, quand ils ont le sentiment qu’on les respecte, qu’on les écoute et qu’on les aime, l’affectif balaie parfois la logique politique.
L’analyse des résultats au fil des élections présidentielles
Le plébiscite de 1965
Les résultats de l’élection présidentielle des 5 et 19 décembre 1965 sont sans appel. Le général de Gaulle réunit sur son nom, au premier tour, 441 789 suffrages soit 88,91% des suffrages exprimés, ne laissant à François Mitterrand que la portion congrue de 35 211 voix, 7,09% des exprimés. Et que dire de Jean Lecanuet et ses 1,96% ? Se dégage, dès cette première élection présidentielle, un constat que l’on fera lors de toutes les consultation suivantes : l’Outre-mer vote utile, pour les grands candidats, tous les autres se partageant de maigres miettes.
Et de 1969…
Le scénario se reproduit en 1969. Georges Pompidou obtient au premier tour sur l’ensemble de l’Outre-mer 291 216 voix (73,32 %), soit 28,85 points de plus que son score national. Il laisse Alain Poher loin derrière à 67 504 vois (16,99 %) en retrait lui de 6,32 points sur son résultat national. Et que dire de Jacques Duclos à 6,52 % contre 21, 27% au national…
Toutefois, à contre courant, Alain Poher l’emporte en Polynésie Française où le député PDM Francis Sanford avait pris position pour lui, tout en menant le combat contre l’installation du Centre d’expérimentation du Pacifique dans l’atoll de Mururoa…
L’inversion de tendance de 1974
Les résultats de 1974 sont plus contrastés. Au premier tour Chaban devance Giscard et Mitterrand, grâce aux « réseaux » selon le candidat de gauche qui dénoncera dans « la paille et le grain » le rôle d’Ahmed Abdallah, Premier ministre depuis décembre 1972 aux Comores et d’Ali Aref, ancien Premier ministre aux Comores qui « verrouilleraient » à eux deux 90 000 voix.
Au deuxième tour Giscard l’emportera très largement Le Président élu l’a aussi emporté, de peu, en Martinique (57,10%) en Guyane (53,07 % et en Nouvelle-Calédonie et Nouvelles-Hébrides (50,27%).
Il est battu en Guadeloupe ou Mitterrand réunit 56,4 % et en Polynésie Française où il n’obtient 48,77 % des voix.
Il est surtout battu à La Réunion (49,54 %) bien loin des pourcentages obtenus par ses prédécesseurs.
A La Réunion, l’épouvantail de l’autonomie ne fait plus peur. Le journal Le Monde titrera le 21 mai : « Le fait que la gauche soit majoritaire est sans doute de plus grande importance. Le parti communiste, qui a fait l’effort le plus marqué en faveur du candidat de la gauche et qui a même jeté toutes ses forces dans la bataille, est sans aucune ambiguïté, autonomiste et même désigné comme « indépendantiste » par ses adversaires. En conséquence la victoire de la gauche prend ici une dimension qu’elle n’a pas là. D’autant que la question du statut a dominé la campagne électorale. »
Le paradoxe de 1981
Dans la logique d’une victoire possible de François Mitterrand et compte tenu des bons scores réalisés par celui-ci en 1974, On pouvait s’attendre à ce que les deux candidats fassent au moins jeu égal en outre-mer.
Or il n’en est rien.
Bien loin de ses décevant résultats nationaux, Giscard obtient un triomphe dans tous les territoires.
Il est très largement en tête au 1er tour, dépassant même les 50 % dans six territoires sur huit. Il obtient notamment aux Antilles 72,12 % en Martinique et 71,02 % en Guadeloupe, retrouvant ainsi les scores du Général de Gaulle.
Au deuxième tour il réalise partout plus de 60 %, en particulier 80,56 % en Martinique, 78,48 % en Guadeloupe et, tout aussi significatif, 63,17 % à la Réunion.
On considérera comme anecdotiques ses scores de 97,68 % à Wallis et Futuna et 89,93 % à Mayotte.
Si l’on dépasse les considérations habituelles sur le vote légitimiste et le vote utile, ce succès incontestable de Giscard, a selon nous, plusieurs explications.
Tout d ‘abord Giscard aime l’Outre-mer. Il s’y est rendu à plusieurs reprises et a même organisé, le 15 décembre 1974, un sommet avec Gérald Ford en Martinique.
Ensuite, il a confié pendant quatre ans le suivi de l’Outre-mer à Olivier Stirn qui y a été très actif. Stirn négociera notamment l’indépendance des Comores en 1975 et de Djibouti en 1977. Il appliquera avec talent la volonté de Giscard de départementaliser l’Outre-mer, ce qu’il fit pour Saint-Pierre-et-Miquelon, et accorda l’autonomie à la Nouvelle-Calédonie en 1976.
En Polynésie Giscard et Stirn envisagèrent très vite un changement de statut pour le territoire et établirent des relations assez cordiales avec les leaders autonomistes. C’est durant cette phase de discussions que Autahoeraa se rapprochera des autonomistes jusqu’à leur donner la majorité.
Le 12 juillet 1977, la Polynésie française reçevra son nouveau statut, dit d’autonomie de gestion, voté à l’unanimité par le Parlement.
En 1978, le PS a adopté le point de vue gaulliste sur la force de frappe, notamment sous l’influence de Charles Hernu. Dans ces conditions, les autonomistes n’ont plus de motif de soutenir la candidature de François Mitterrand et, anticipant une victoire de Valéry Giscard d’Estaing, ils décident de soutenir celui-ci. Le soutien à François Mitterrand est repris par les indépendantistes, tandis que le Tahoeraa soutiendra logiquement Jacques Chirac.
Giscard aura aussi des liens forts avec la Réunion où, le 20 octobre 1976, à l’occasion d’une visite officielle dans l’île, 100 000 personnes l’acclameront à sa descente d’avion.
Mais naturellement ce succès s’explique aussi par les divisions du camp adverse.
Aux Antilles, les soutiens locaux ont fait largement défaut à François Mitterrand, à l’exception d’un appui bien tardif et encore du bout des lèvres du PPM d’Aimé Césaire la veille du deuxième tour.
A la Réunion, le Parti Communiste réunionnais n’avait pas appelé à voter François Mitterrand au 1er tour, contrairement à 1974. Son soutien au second tour a été, là aussi, tardif et ambigu.
1988, le retour à la « normale »
Le vote surprenant de 1981 avait masqué une réalité : François Mitterrand aimait l’Outre-mer dont il avait eu la responsabilité comme ministre du 17 juillet 1950 au 26 juillet 1951. En charge de la magistrature suprême, il consacrera beaucoup d’attentions à des territoires qu’il aimait à définir comme « La France lointaine et si proche. ».
L’ancien député communiste de la Guadeloupe, Ernest Moutoussamy qui a consacré un ouvrage à l’Outre-mer sous la présidence de François Mitterrand écrit ainsi :
« L’Outre-mer a rompu avec la démission et l’écrasement qu’engendrait l’omniprésence de la puissance d’Etat ». Faisant la chronique de deux septennats, il relève que « les mouvements nationalistes, qui se réclamaient de l’indépendance, ont été les grandes victimes de la décentralisation » une politique voulue par le chef de l’Etat et fondée sur la reconnaissance de l’identité de l’Outre-mer.
François Mitterrand comprit très vite que la décentralisation, axe majeur de sa politique, devait s’accompagner de gestes forts. Henri Emmanuelli qui fut secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-mer de mai 1981 à mars 1983 explique comment est venue l’idée d’instituer un jour de commémoration dans chaque département d’Outre-mer et évoque les rapports de Mitterrand à ces régions :
« J’avais parlé avec Aimé Césaire en disant que je souhaitais que l’on marque de manière formelle et institutionnelle la reconnaissance de ce qu’avait été l’esclavage, et c’est lui qui m’avait suggéré de faire un jour de congé dans chaque département et territoire d’Outre-mer. Comme il y avait de la difficulté à s’accorder, car l’histoire s’est déroulée différemment dans chaque DOM, on avait décidé que chaque département choisirait son jour de commémoration ».
François Mitterrand avait en outre avec Césaire une complicité à la fois politique mais surtout intellectuelle. Interrogé un jour sur ce qui l’avait le plus marqué dans ces relations avec le leader antillais, il répondit que c’était un très bel exposé que Césaire lui avait fait sur la différence entre l’universalité et la singularité.
C’est donc un Président respecté et même aimé qui se présente aux suffrages ultramarins face à Jacques Chirac et Raymond Barre.
On constate que, comme d’habitude, les votes de l’outre-mer sont légitimistes et se portent massivement sur les « grands candidats ». François Mitterrand, Jacques Chirac et Raymond Barre recueillent ainsi au premier tour 92,65 % des suffrages exprimés. Tous trois enregistrent Outre-mer un score supérieur à celui réalisé sur la France entière, + 12,84 pour François Mitterrand, + 7,84 pour Jacques Chirac et + 1,36 pour Raymond Barre. La sanction est particulièrement sévère pour Jean-Marie Le Pen en retrait de 11,66 points par rapport à son résultat national, mais il est vrai que l’extrême droite est assez largement rejetée à chaque élection dans l’Outre-mer, à l’exception de la Nouvelle-Calédonie.
François Mitterrand réussit donc un remarquable premier tour dans les quatre « départements traditionnels » Antilles / Guyane et à La Réunion où, partout, il franchit la barre des 50% avec un pic à 58,88 % en Martinique. Le journal Le Monde, euphorique, osera même ce titre : « Mitterrand souverain dans les DOM »
Le scrutin est marqué, en Guadeloupe, par un appel à l’abstention lancé par le Parti communiste guadeloupéen, mais aussi par l’Union populaire de Libération de la Guadeloupe (UPLG) et son relais syndical, l’Union générale des travailleurs guadeloupéens. L’abstention au Premier tour y sera de 58,42%.
La candidature de François Mitterrand est par contre soutenue par le Parti progressiste démocratique guadeloupéen d’Henri Bangou (alors Sénateur maire de Pointe à Pitre), scission du PCG, le Parti progressiste martiniquais d’Aimé Césaire et le Parti socialiste guyanais d’Antoine Karam.
Il recueille également à nouveau le soutien du Parti communiste réunionnais de Paul Vergès dès le premier tour de l’élection présidentielle, ce qui explique en grande partie le score très élevé atteint par le Président sortant sur l’Ile.
A noter que c’est à Pointe-à-Pitre que François Mitterrand fera le lundi 25 avril son premier meeting public de l’entre-deux tours, tout un symbole.
A Mayotte, où François Mitterrand arrive étonnamment en tête lors du second tour, c’est l’opposition entre départementalistes du MDM et RPR de l’ancien Mouvement populaire mahorais qui provoque, de manière générale, le report des votes Barre en direction du candidat sortant.
En Nouvelle Calédonie, sur un territoire marqué par l’affaire d’Ouvéa entre les deux tours, les conditions de déroulement de l’élection sont particulièrement tendues et conduisent, notamment, à un boycott organisé par le FLNKS. Le vote « identitaire « est donc fort, ne concernant que les Français et Caldoches, plus une partie des immigrés (Chinois devenus Français, Polynésiens, Wallisiens), ce qui explique notamment le score élevé de Le Pen au premier tour (12,38 %)
Sur le boycott, outre l’annulation pure et simple des opérations de vote dans les îles Loyauté (Maré, Ouvéa, Lifou), on constate par exemple qu’aucun électeur ne s’est déplacé dans les îles Belep, à l’extrême Nord de l’archipel. Jacques Chirac réalise en conséquence au deuxième tour un score étonnant de 90,29 %.
Enfin, en Polynésie, 1988 voit la première traduction de la montée en puissance du mouvement indépendantiste, porté par Oscar Temaru et Jacqui Drollet, qui soutient la candidature Mitterrand alors même que la vie politique locale commence d’être marquée par le processus d’interruption des essais nucléaires sur les atolls de Mururoa et Fangataufa.
Le deuxième tour sera conforme aux résultats du premier et François Mitterrand l’emportera Outre-mer avec 58,61 % des voix, soit 4,59 point s de plus que le score qu’il réalisera sur la France entière.
1995, un deuxième tour à contre courant
L’élection présidentielle de 1995 présente plusieurs caractéristiques : Pour la première fois depuis 1981, un Président sortant n’est pas candidat et pour la première fois, le centre et la droite non gaulliste n’ont pas de candidat issu de leur rang, mais la droite gaulliste a deux candidats issus du même parti.
Au premier tour, l’abstention (21,62 %) est la plus élevée de toutes les élections présidentielles à l’exception de celle de 1969 (22,4 %). L’abstention est outre-mer de 49,67 %., un ultramarin sur deux ne s’est pas déplacé, la Guadeloupe enregistre un sommet à 64,53 %.
Si en Métropole les résultats du premier tour sont une surprise par rapport aux derniers sondages publiés une semaine avant le scrutin, qui plaçaient Jacques Chirac en tête devant Lionel Jospin et Edouard Balladur, ils sont conformes Outre-mer à ce que l’on pouvait attendre.
Le vote légitimiste, faute de président sortant, se porte sur Jacques Chirac qui recueille 36,84% des suffrages, soit 16 points de plus que son résultat national (20,84). Chirac l’emporte notamment en Nouvelle-Calédonie mais aussi dans trois DOM su quatre, en Guadeloupe, en Guyane et surtout à la réunion.
Lionel Jospin arrive en seconde position avec 27,31 % des suffrages, soit 4,01 points de plus que son score national. Il arrive notamment en tête à la Martinique avec 36,40 % des suffrages. Enfin Edouard Balladur dont l’image et le style passent mal Outre-mer, n’arrive qu’en troisième position avec 20,13 % soit 1,55 point de plus qu’au national. Comme d’habitude les trois « grands candidats » réunissent sur leurs noms 84,28 % des voix, laissant peu d’espace aux autres.
Jean-Marie Le Pen notamment, est en très net retrait de son score national avec 3,71 % des suffrages, moins 11,29 points.
En fait la petite surprise de ce scrutin présidentiel réside dans les résultats du second tour. Alors qu’on s’attendait à une nette victoire de Jacques Chirac Outre-mer, il n’en est rien. Pis, les deux candidats sont très proches, séparés seulement de 11 430 voix. Jacques Chirac avec 50,73 % est donc en retrait de 1,91 points par rapport à son score national (52,64), une première pour la droite.
Les reports non certes pas été bons entre les électeurs d’Edouard Balladur, de Jean-Marie Le Pen et de Philippe de Villiers, mais surtout les 94 000 abstentionnistes du premier tour qui sont venus voter se sont massivement portés sur Lionel Jospin.
On observe également, sans doute pour la première fois à ce niveau, que l’appartenance revendiquée de nombre d’électeurs à « la gauche » l’emporte sur les habituelles classifications entre progressistes départementalistes, progressistes autonomistes ou autre indépendantistes. Cette nouvelle donne est sans doute une des clés des scrutins futurs.
2002, seul le premier tour compte…
Ce premier mandat de Jacques Chirac, même avec 5 ans de cohabitation, a permis de mesurer l’affection de Jacques Chirac pour l’Outre-mer. Il s’y est rendu souvent, y a passé des vacances, et à noué avec les élus et les populations des relations de confiance et d’estime.
Au Premier tour, le Président sortant arrive en tête dans 6 territoires sur 9. Il n’est devancé en Guadeloupe et surtout en Guyane dont elle est l’élue que par Christine Taubira, alors que Lionel Jospin n’arrive en tête qu’à La Réunion et encore d’une courte tête, 39,01% contre 37,15% à Jacques Chirac.
A noter que le Président candidat dépasse les 50% dans 2 territoires, à Wallis et Futuna et surtout en Polynésie où il obtient 62,38% des suffrages. Il réalise également un excellent premier tour en Nouvelle Calédonie (43,38%) et à Mayotte (42,97%).
Le deuxième constat est que les deux candidats leaders de leur camp, Jacques Chirac et Lionel Jospin, recueillent à eux deux 68,9 % des suffrages. Cela explique que tous les autres candidats (à l’exception de Christine Taubira élue ultramarine), ne recueillent que des miettes, très loin de leur pourcentage national. C’est naturellement vrai pour Jean-Marie Le Pen, en retrait de 12,72 points par rapport à son résultat national, mais François Bayrou est à – 4,75, Arlette Laguiller à – 4, Jean-Pierre Chevènement à – 2,94 etc…
L’Outre-mer confirme qu’elle vote utile et attache en fait peu d’importance à l’étiquette strictement partisane. Ainsi Robert Hue ne recueille qu’un très maigre 0,73% avec un pic, si l’on peut dire à La Réunion avec 1,18%, alors que le Président de la Région, plusieurs députés et sénateurs de l’île et de nombreux élus locaux sont membres du Parti communiste réunionnais.
Pour mémoire signalons qu’au deuxième tour, Jacques Chirac recueillera 90,82 % des voix, soit 8,61 points de plus que sur la France entière, avec en particulier un retentissant 96,15 % en Martinique.
2007
Deuxième élection sans candidat sortant, première élection présidentielle où les Français des départements, collectivités ou territoires d’outre-mer ont voté avant la date officielle, le scrutin ayant avancé d’un jour.
S’ils restent des enjeux importants, les grands débats sur l’autonomie ou l’indépendance ne font plus l’élection.
En Outre-mer, comme en Métropole, on se détermine plus en fonction des grands enjeux économiques ou sociaux. Le clivage Droite/Gauche, comme on le pressentait en 1995 est prédominant. Et depuis des années, élection après élection, la Gauche a étendu sa domination sur l’Outre-mer, en particulier aux Antilles, en Guyane et à la Réunion.
Ce qui clive le débat dans ces présidentielles 2007, c’est donc essentiellement le modèle social ultramarin dont la candidate de gauche et ses soutiens se veulent les meilleurs garants, feignant d’oublier au passage que ce thème de l’égalité sociale avait été proposé par Jacques Chirac en 1995 et mis en œuvre au cours de son premier septennat.
1995, c’est aussi la première élection où les media traditionnels sont concurrencés par internet. Les blogueurs, y compris Outre-mer, joueront un rôle important. Certes l’affectif est toujours présent et Ségolène Royal en jouera habilement, en rappelant qu’elle a vécu plusieurs années en Martinique dans son enfance, Martinique où elle effectuera également une partie de son stage ENA. A chaque occasion elle déclare qu’elle y a conservé beaucoup d’attaches et qu’elle aime passionnément l’Outre-mer.
Au premier tour elle obtient, sur l’ensemble des territoires, un très beau score de 41,48 % soit 15,61 points de plus que son score national. Elle distance Nicolas Sarkozy (35,19 %) de 61 000 voix. Elle le devance notamment en Martinique (48,48 %) mais surtout à La Réunion (46,22 %) où l’écart entre les deux candidats atteint 75 664 voix.
Les deux principaux candidats réunissent sur leurs noms 76,67 % des suffrages.
Comme d’habitude, le vote Front national est très bas par rapport à la métropole, avec 3,82 % des voix et l’abstention élevée (35,56 %, contre 16,23 % France entière)
Le deuxième tour confirme les résultats du premier. Ségolène Royal l’emporte avec 55,66 %, devançant son adversaire de 118 646 voix.
Ce vote démontre également, une fois de plus, qu’il n’existe pas un vote ultramarin monolithique. Ségolène Royal a ainsi obtenu d’excellents scores à la Martinique (60,52%), à la Réunion (63,57%), à Saint-Pierre et Miquelon (60,86%) et à Mayotte (60,04%), tandis que Nicolas Sarkozy obtenait 62,98% des voix en Nouvelle-Calédonie. Les résultats dans les autres territoires étaient eux beaucoup plus serrés, avec un avantage pour Nicolas Sarkozy (51,90 % en Polynésie, 53,08 % en Guyane) sauf à la Guadeloupe (Ségolène Royal, 50,83%)
2012 ?
Tout d’abord un chiffre : les inscrits ultramarins sur les listes électorales seront plus de 1,6 millions, chiffre auquel les politologues n’oublient jamais de rajouter plus d’un million d’électeurs votant en Métropole mais issus de l’outre-mer. Ces électeurs représentent donc plus de 7 % du corps électoral, ce qui est loin d’être négligeable.
Ceci explique que tous les candidats se rendront Outre-mer, certains d’entre eux à plusieurs reprises.
Comment vont voter ces électeurs ?
Si l’on tient compte des consultations électorales survenues depuis 2007, et après avoir une nouvelle fois rappelé que le vote reste très différencié selon les territoires, on peut dire que l’Outre-mer est aujourd’hui majoritairement à gauche.
Les grands leaders politiques de l’Outre-mer sont presque tous des personnalités de gauche et les jeux de chaises musicales électoraux ont surtout été internes à la Gauche ?
C’est ainsi que Serge Letchimy en Martinique a écarté deux autres personnalités de gauche, Claude Lise et Alfred Marie-Jeanne pour régner aujourd’hui sans conteste sur son territoire. En Guadeloupe les tensions ont été vives entre le Président de la Région, Victorin Lurel et le Sénateur Jacques Gillot, président du Conseil Général. A la Réunion, le PCR subit une nouvelle crise interne. Pour autant rien ne laisse à penser que ces épisodes électoraux laisseront des traces lors de la présidentielle.
En outre, celle-ci s’effectuera dans un contexte économique et social favorable aux candidats de gauche. La crise économique, la crise sociale de 2009 aux Antilles, le chômage des jeunes très important, la vie chère, constituent un terreau qui n’est pas favorable au candidat sortant.
Nicolas Sarkozy n’a pourtant pas ignoré l’Outre-mer. Les Etats généraux de l’Outre-mer, le vote de la loi de développement économique (LODEOM), l’année de l’Outre-mer ont été de bonnes initiatives.
Mieux, le président de la République qui s’était rendu aux obsèques d’Aimé Césaire en acceptant de ne pas y prendre la parole, lui a rendu un hommage solennel en avril 2011, au Panthéon, où il saluera sa mémoire en ces termes : « La France a perdu l’un de ses enfants qui lui faisait le plus honneur ».
Le Président de la République a eu aussi des mots forts le 10 mai 2011 pour dénoncer l’esclavage « premier crime contre l’humanité »et a su, dans tous ses discours, mettre en avant la richesse de la diversité.
En d’autres temps, cela aurait sûrement suffi à lui assurer une confortable majorité. En 2012, rien n’est moins sûr.
D’autres éléments seront également à prendre en compte pour examiner ce scrutin.
Le débat institutionnel est devenu un enjeu secondaire pour les populations.
Certes les questions institutionnelles passionnent toujours élus et juristes, mais force est de constater que neuf ans après la révision constitutionnelle de 2003 qui a marqué une étape importante dans l’histoire de l’outre-mer français, ce quinquennat a achevé un long processus qui a doté chaque collectivité d’un statut sur-mesure, très loin du “prêt-à-porter institutionnel” qui existait jusqu’à la fin des années 2000.
Ce mouvement a été conforme aux souhaits des populations qui ont été consultées, et il y a lieu de le saluer. Mais il n’est pas sûr que le Président sortant en soit gratifié. Au contraire certains observateurs soulignent que le risque existe que l’Etat ne soit pas à la hauteur de cette évolution historique. Concéder aux élus ultramarins les institutions qu’ils souhaitent est une chose ; les accompagner dans la vie démocratique et dans la construction de projets pour leurs collectivités en est une autre.
Les intellectuels sont très mobilisés
Pour avoir souvent constaté la distance qu’ils mettaient avec la chose publique, on se doit de souligner le changement radical survenu depuis 2005, avec le débat sur les apports du colonialisme et surtout 2009 avec la crise aux Antilles. A cette occasion s’est constitué un collectif ([3]) qui a publié un texte largement diffusé et qui a marqué les esprits :
« Nous appelons donc à ces utopies où le Politique ne serait pas réduit à la gestion des misères inadmissibles ni à la régulation des sauvageries du « Marché », mais où il retrouverait son essence au service de tout ce qui confère une âme au prosaïque en le dépassant ou en l’instrumentalisant de la manière la plus étroite.
Nous appelons à une haute politique, à un art politique, qui installe l’individu, sa relation à l’Autre, au centre d’un projet commun où règne ce que la vie a de plus exigeant, de plus intense et de plus éclatant, et donc de plus sensible à la beauté.
Ainsi, chers compatriotes, en nous débarrassant des archaïsmes coloniaux, de la dépendance et de l’assistanat, en nous inscrivant résolument dans l’épanouissement écologique de nos pays et du monde à venir, en contestant la violence économique et le système marchand, nous naîtrons au monde avec une visibilité levée du post-capitalisme et d’un rapport écologique global aux équilibres de la planète….
Alors voici notre vision :
Petits pays, soudain au cœur nouveau du monde, soudain immenses d’être les premiers exemples de sociétés post-capitalistes, capables de mettre en œuvre un épanouissement humain qui s’inscrit dans l’horizontale plénitude du vivant… »
La gauche a salué ces propos, la droite a estimé qu’ils étaient partisans, ce qui est sans doute vrai. Mais cet engagement dans le débat politique Outre-mer de ces intellectuels aura sans nul doute des conséquences sur le scrutin, du moins aux Antilles.
Il ne peut y avoir de conclusions
Si la droite a globalement déçu l’Outre-mer, la responsabilité du candidat de gauche sera énorme face aux défis et aux enjeux rappelés plus haut, notamment la précarité et le chômage.
Le candidat de gauche devra convaincre qu’il aura bien la possibilité, dans un environnement politique européen et mondial qui va contraindre ses marges de manœuvre, de mettre en place la politique volontariste annoncée.
Nicolas Sarkozy devra se faire plus convaincant sur le développement endogène, notamment en expliquant qu’il ne signifie pas le désengagement de l’Etat et le « débrouillez-vous tous seuls ».
A Maryse Condé qui dans un entretien avec Aimé Césaire, en juin 2004, lui demandait s’il ne fallait pas remplacer le mot « foi » par le mot « espoir », Aimé Césaire répondit en parodiant Kant que « la vie se ramène à trois questions fondamentales : Qui suis-je? Que dois-je faire? et Que m’est-il permis d’espérer? ».
Beaucoup d’observateurs relevèrent qu’il n’avait pas dit: « Qu’est-ce que j’espère? »
Cette frontière entre utopie et réalité est désormais mieux marquée Outre-mer. Les blessures de la colonisation et de l’esclavage nourrissent toujours les esprits et les âmes… et il y a parfois quelque surchauffe comme on l’a vu lors de la réponse de Serge Letchimy à Claude Guéant après les propos du ministre de l’intérieur sur les civilisations, mais cette référence à l’histoire et aux racines ne permet plus de gagner une élection.
Finalement, l’Outre-mer ou les outremers ne sont-ils pas devenus des territoires comme les autres, avec leurs richesses et leurs faiblesses, avec certes plus de problèmes qu’ailleurs, mais où la réponse électorale sera donnée, comme en Métropole en fonction de considérations politiques, économiques et sociales ?
Jean Pierre PHILIBERT
Revue Politique et Parlementaire
[1] Gaston Feuillard puis Raymond Guilliod, Léopold Hélène députés, Amédée Valeau, sénateur
[2] Camille Petit et Victor Sablé, députés et François Duval et Georges Marie-Anne, sénateurs
[3] Ernest BRELEUR, Patrick CHAMOISEAU, Serge DOMI, Gérard DELVER, Edouard GLISSANT, Guillaume PIGEARD DE GURBERT, Olivier PORTECOP, Olivier PULVAR, Jean-Claude WILLIAM