Baisser le coût du travail est une priorité. Interview du Quotidien de la Réunion

Baisser le coût du travail est une priorité. Interview du Quotidien de la Réunion

Le Quotidien de la Réunion – lundi 02/04/12

La Fedom (fédération des entreprises d’outre-mer) a formulé 20 propositions destinées aux candidats à l’élection présidentielle. Son président, Jean-Pierre Philibert, en détaille les grandes lignes. Lutte contre la vie chère, développement des filières, emploi des jeunes… Pour la Fedom, la baisse du coût du travail est la clef.

Q. Jean-Pierre Philibert, à moins de trois semaines du pre- mier tour, l’outre-mer est-il suffisamment présent dans la cam- pagne présidentielle ?

R. Par rapport à la campagne électorale de 2007, on parle plus de l’outre-mer. Est-ce qu’on en parle bien? Je suis plus réservé. Globalement, les réponses des candidats à ce stade sont des déclarations du style « je vous aime». Elles démontrent qu’il n’y a pas une grande connaissance de l’outre-mer.

Q. Votre projet « les outre- mers, une énergie durable pour la France » dresse les conditions de la reprise et s’adresse aux candidats à l’élection présiden- tielle. Certains se sont-ils déjà emparés de vos propositions ?

R. Tous les candidats ainsi que les élus ultramarins ont été desti- nataires de ce document. Il faut à présent qu’ils le lisent ou que leur entourage le fasse pour eux. Les venues à La Réunion de plusieurs candidats leur permet- tront sans doute de se position- ner (NDLR : cette interview a été réalisée avant la visite de François Hollande).

«Les curseurs mal placés»

Q. Des points importants comme l’octroi de mer ne figurent pas dans votre projet. A-t-il été facile de mettre d’accord vos adhérents ?

R. Les statuts de la Fedom, qui seront peut-être contestés, veulent que toutes les décisions soient prises à l’unanimité. Nous nous sommes mis d’accord rapidement sur 98 % des points. L’octroi de mer, c’est vrai, a fait débat et ne figure pas dans le projet contrairement à ce qui avait été demandé par La Réunion. Non pas que nous pensions que ce sujet n’est pas important. C’est au contraire une question essentielle. Il s’agit néanmoins d’une compétence des Régions et de l’Europe. A ce titre, le sujet s’adresse moins aux candidats à l’élection présidentielle. Nous avons convenu de travailler sur ce sujet avec Eurodom (NDLR : l’équivalent de la Fedom à Bruxelles).

Q. La première partie de vos propositions est d’ordre fiscal (suppression de l’impôt sur les sociétés, développement de fonds d’investissement de proximité, retour de la défiscalisation dans le logement intermédiaire…) Dans le contexte actuel de chasse aux niches fiscales, est-il raisonnable d’espérer des efforts supplémentaires de l’Etat ?

R. La réponse est chiffrée. Dans le cadre de la loi de Finances, il y a des différences considérables entre ce qui était programmé et ce qui a été exécuté. Pour les zones franches d’activité, l’écart est de 140 millions d’euros. Pour la défiscalisation liée aux investissements productifs, il est de 400 millions. Cela signifie que les curseurs des dépenses fiscales n’ont peut-être pas été mis au bon endroit. A dépense égale, on peut les redéployer en redéfinissant le contour des zones franches d’activité mais aussi en intégrant de nouveaux secteurs comme le commerce ou les activités paratouristiques. Notre premier gisement aujourd’hui, c’est l’argent qui n’a pas été dépensé. Le deuxième, c’est un comparatif entre les exonérations de charges sociales et les minima sociaux. Le coût des premières est nette- ment moins élevé.

Q. Un important volet de votre projet concerne la jeunesse. Le patronat ultramarin se dit prêt à embaucher des jeunes de moins de 26 ans, dont 60 % sont au chômage à La Réunion, à condition d’être exonéré de charges sociales. Les entre- prises n’ont elle pas le devoir de développer l’emploi des jeu- nes ?

R. La finalité d’une entreprise n’est pas de créer des emplois mais de développer un projet économique, de produire et de créer des richesses. L’emploi vient naturellement après. Cela n’empêche pas, évidemment, les entreprises d’avoir une cons- cience sociale et de vouloir combattre le chômage qui se traduit par une désespérance des jeunes. Dans ce contexte, les entreprises prennent leur responsabilité mais nous demandons également à l’Etat d’y aller. C’est fifty- fifty. De nombreux entrepreneurs voudraient bien créer des emplois mais ils ne le peuvent pas. La baisse du coût du travail permettra également de revenir sur la priorité donnée ces dernières années à la mécanisation au détriment de l’appel à la richesse humaine.

«Des champions outre-mer »

Q. La Réunion vient de vivre une situation sociale tendue. Sur vos 20 propositions, seules deux concernent la vie chère (réduire le coût du fret et favoriser l’émergence de normes régionales). Est-ce le signe qu’il est difficile de s’attaquer à ce sujet des prix ?

R. La vie chère est présente en filigrane dans de nombreuses propositions. Ce qui conditionne tout, c’est le retour à l’emploi. C’est parce qu’un individu a un revenu bas que les produits lui paraissent inaccessibles. On ne pourra évidemment pas résoudre tous les problèmes mais si plus de gens ont accès à l’emploi, nous en aurons réglé une partie. De la même manière, la valorisation des filières est fondamentale. En divisant le coût du travail, on divise aussi le coût du produit. Les filières ont besoin de gagner en compétitivité. Il n’est pas normal, par exemple, que des fabricants soient obligés d’importer de la poudre de lait de métropole parce que la production locale de lait est trop faible. Cela génère tout de suite un surcoût d’au moins 20 %.

Q. Quelle autre mesure vous paraît fondamentale ?

R. Transformer l’outre-mer en pôle d’excellence dans un grand marché régional. La Réunion est le leader mondial de la recherche sur la canne. Même chose pour les Antilles avec la banane. Nous voulons faire des outre-mers des champions dans le domaine de la tropicalisation des technologies. C’est là aussi un moyen de répondre à la désespérance des jeunes.

Q. La Fedom demande au futur président de la République d’organiser une conférence économique de l’outre-mer « dans les tout premiers jours du quinquennat ». Quelles mesures concrètes pourraient sortir d’un tel rendez-vous ?

R. L’idée est d’organiser une conférence dans les trois mois suivant le deuxième tour. Il ne s’agit pas de faire un nouveau Ciom (NDLR : conseil interministériel de l’outre-mer ayant débouché sur 137 mesures en 2009) ni de sortir une loi immédiatement. Mais plutôt de hiérarchiser et de se donner des priorités d’actions. Ce sera également l’occasion pour le nouveau président d’adresser un signe fort : « J’ai pris la mesure de la crise dans vos territoires et je fais de l’outre- mer l’une des priorités de mon mandat. »

Entretien : Cédric BOULLAND

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